Chapitre 37 - A jamais, mes mots te seront dédiés
Mars 1942,
Ma chère Élise,
Je suis en train de t'écrire ces courtes lignes tandis que je suis assis dans un camion en route vers une nouvelle base. Je m'éloigne un peu de Londres pendant quelque temps, les supérieurs ont estimé que c'était là une sage décision. Nous sommes donc en plein déménagement entre les hommes, le matériel, les véhicules. J'ai de quoi m'occuper.
Ma dernière lettre est celle de Georges me disant ô combien il a aimé te revoir et tu sais quoi ? J'ai appris que son unité allait fusionner avec la mienne. Nous allons être ensemble, comme avant, et je redoute déjà de ne plus voir en lui le petit garçon qu'il était.
Dis-moi Élise, a-t-il changé ? Je pense que oui. La guerre vous change un jeune homme en homme le temps d'une journée. La plupart reviennent avec le regard vide comme s'il avait vu la mort elle-même sur le champ de bataille et je crois bien que c'est le cas. Moi-même, je crois l'avoir aperçu quelques fois.
Trop de fois même.
Et à chaque fois, j'en ai peur.
À chaque fois je me dis prêt. Je me dis que je n'ai aucun regret et à chaque fois que je ferme les yeux, ton visage vient me hanter et vient me rappeler comme je tiens tant à la vie. Ta seule image est d'un grand réconfort et d'une force incroyable. J'en ai bravé des dangers grâce à toi, tu n'imagines pas.
Jamais je ne me serais cru capable d'autant de choses. C'est fou.
Je ne suis rien de moins qu'un homme, mais des fois, je te vois là, dans ma tête et je me dis que je ne peux pas, non, je ne peux pas te laisser.
Il faut que je me batte. Pour toi. Pour moi et pour ma vie. Pour nous. Il faut que j'essaye, au moins jusqu'au bout de mon aventure, même si cette dernière a une fin préméditée.
Tu le sais, n'est-ce pas ? Nous en avons plus ou moins parlé.
Je ne reviendrais sans doute plus à toi ou plus en étant moi-même. Promets-moi, Élise, que si un jour je reviens à ta porte, par je ne sais quel miracle de Dieu, promets-moi que tu la laisseras fermée. Ne l'ouvre pas.
Ne sois pas tentée de le faire.
Je veux que tu me laisses dehors. Que tu me dises de m'en aller et que l'homme que tu aimais est mort au combat.
Parce que si je reviens, je ne serais sans doute plus le Thomas que tu as jadis aimé. Je serais un autre. Marqué. Défiguré. Hanté.
Je n'ai pas peur de la mort, mais j'ai peur de l'après. Si un jour la guerre se termine, qu'adviendra-t-il de nous ? Que ferons-nous ? Ou irons-nous ? Serons-nous à même de reprendre nos vies ? J'ai un doute sur ça.
J'ai peur que nos anciennes vies ne nous ai pas attendues pour continuer sans nous.
Elles nous ont laissées partir.
Elles nous ont regardés mourir.
Je n'ai pas peur de mourir Élise, mais j'ai peur du regard que tu puisses alors avoir sur moi. J'ai peur que ton regard ne reflète plus ce même éclat. C'est terrible et rien que d'y penser, j'en ai des frissons. Des sueurs froides. Pourtant, je veux être lucide et me dire que si c'est possible de m'en sortir vivant, c'est impossible de m'en sortir sain d'esprit.
J'y laisserais quelque chose, faute d'y laisser ma peau.
J'ai peur de ça Élise. Peur de me transformer en monstre, même si le monstre fait partie intégrante de moi. Il est celui qui me fait me relever quand je tombe. Il est celui qui me permet d'avancer au milieu des tirs ennemis. Il est celui qui me permet de tirer sur un gars étant certainement le même que moi.
Un qui a la trouille et pourtant, qui est là, un jeudi de pluie, à obéir à un ordre lui disant « Vas-y. »
C'est terrible Élise. Les ordres que l'on reçoit. Ces gens qui restent là, derrière, qui nous commandent sans prendre conscience de la chair à canon que l'on est devenu. Même à leurs yeux, nous ne sommes plus des hommes. Nous ne sommes que des mains tenant des armes. Nous sommes chacun, à nous seuls, une chance d'avancer ou de détruire un poste important.
Nous sommes, à nous seuls, un moyen de gagner la guerre.
Et quelle guerre vivons-nous Élise.
Un massacre sans nom. Une véritable boucherie.
Le camion s'arrête. Cette lettre va partir dès que je trouverais quelqu'un pour l'envoyer et c'est sans doute la dernière que tu auras avant un petit moment. Pardonne-moi. Je te communiquerais ma nouvelle adresse dès que je le pourrais.
Si mon corps n'est pas capable de retourner à toi, mes mots, eux sauront toujours te trouver alors soit en rassurée.
Je reviendrais.
Tendrement Thomas.
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