Chapitre 36 - Un dernier rendez-vous
Février 1942,
J'aimais Georges comme un petit frère et avoir de ses nouvelles après autant de temps m'a plus que ravie. Georges, comme beaucoup d'autres, fait partie des victimes de la guerre. Il a tout perdu. Comme nous et bien plus encore. Il a perdu sa mère lors de ce bombardement sur Londres. Il s'est retrouvé seul face à l'horreur, à la perte. Seul dans sa douleur et dans sa haine.
Je m'en suis toujours voulue depuis lors, de ne pas avoir pris le temps pour lui. De ne pas avoir pu prendre le temps. Je me suis concentrée sur ma propre survie. Sur ma misérable petite vie et j'ai oubliée que j'aurai pu faire quelque chose pour lui.
Alors, le savoir aujourd'hui à côté de moi, assis dans l'herbe du près, me laisse à croire que j'ai encore une chance de faire les choses correctement. Thomas m'a donné cette chance, je ne la gâcherais pas.
« - Alors, raconte-moi ! Il paraît que tu as eu deux jours de permission ? Tu sais, ça me fait drôlement plaisir que tu sois venu jusqu'ici.
- Quand Thomas m'a dit que tu étais là, je ne pouvais pas rester dans mon coin Élise. Tu m'as tellement manqué. Thomas me manque aussi. J'ai l'impression que vous êtes ces frères et sœurs que je n'aurai jamais. Quand je lui ai dit que je voulais m'engager, Thomas m'a regardé sévèrement et m'a dit « non ». Sur le moment, ça ne m'a pas plu, tu sais ? Je veux dire, j'ai autant à protéger que lui. J'ai une sœur, Marie. Tu te souviens de Marie? Elle a bien grandi. Elle m'écrit souvent ! Je suis content de ne pas perdre contact avec elle.
- Tu as raison, c'est important. Et dis-moi, comment tu vas ?
- Coup-ci, coup ça. Je n'ai pas à me plaindre, non...le plus juste à dire serait que j'essaye de ne pas me plaindre. On pensait la guerre finie en quelques mois et regarde nous Élise. Des ravages sur le visage et sur le corps. Des marques à jamais inscrites dans nos vies. J'aimerais me dire que tout ira bien, que l'on se retrouvera tous les quatre. Marie, Thomas, toi et moi. Mais...
- Mais ça ne sera probablement pas le cas, n'est-ce pas ? »
Nous en avons tous conscience maintenant.
Nous ne gagnerons probablement pas ce combat-là. C'est bien trop dur et nous sommes épuisés.
Thomas ne reviendra probablement pas.
Georges repartira bientôt et je ne le reverrais sans doute jamais.
La guerre nous aura tout pris.
Nos maisons. Nos familles.
Jusqu'à même nos vies.
« - Et toi Élise ? Thomas m'a dit que tu étais là grâce à Antoine ? Ce même Antoine que Thomas ne supportait déjà pas au village ? »
Un rire m'échappe tandis que je repense à toutes ces fois où ces deux-là se sont battus. Ils se tapaient dessus constamment, incapables de communiquer, de se comprendre, agissant avec leurs poings. Pourtant, Antoine et Thomas ont beaucoup en commun. Peut-être même trop et c'est sans doute pour ça qu'ils ne peuvent se supporter. Ça m'attriste, mais je sais que c'est grâce à eux si aujourd'hui, je peux avoir cette vie.
Antoine ne m'a pas écrit depuis plusieurs mois. Je me demande s'il va bien. Ce qu'il fait. Ce qu'il devient. J'aimerais entendre parler de lui et me dire que son combat n'est pas différent de celui que mène Thomas. Ils ont chacun un front, chacun des objectifs, mais sans doute ai-je été trop aveuglée par mon amour pour Thomas, pour ne pas faire attention à Antoine. Il était dévoué. Passionné. Peut-être même trop pour moi, mais il ne méritait pas que je le laisse tout seul là-bas.
« - Tu sais Georges, la guerre marque, mais les gens le font tout autant. J'ai pris conscience bien trop tard que j'ai peut-être deux cicatrices à hauteur du cœur. J'aime un homme comme jamais il n'est possible d'aimer, mais il y en a un autre à qui je pourrais tout donner s'il me le demandait aussi. C'est d'un compliqué. Je détestais quand nous disait que la vie allait se compliquer, parce que je ne le voulais pas, mais aujourd'hui, je le comprends seulement. La vie en elle-même est aussi une guerre à mener. Un combat à gagner. Une lutte acharnée. »
Dis-moi Georges, es-tu toujours ce petit garçon qui nous poursuivait dans les champs de blé et de lavandes ? Es-tu toujours ce petit être sur qui l'on veillait ?
Ou es-tu devenu cet homme qui, un jour, afin de nous protéger, se sacrifiera corps et âme ?
Oh Georges, j'aimerais pouvoir remonter en ces temps où la vie ne ressemblait pas à un champ de mines. J'aimerais pouvoir te retenir auprès de moi et te garder tout près.
Mais je sais que ça ne marche pas comme ça et tu sais pourquoi? Tu as ce même éclat dans les yeux que Thomas.
Celui qui sait qu'il ne reviendra probablement pas.
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