Chapitre 19 - Mensonge
Mars 1941
« Cher Thomas,
Voilà deux semaines qu'Antoine et moi sommes installés dans un nouveau village. Antoine y connait déjà quelques personnes tandis que moi, je suis à la phase d'exploration. On me regarde comme la dernière des curiosités. On se pose des questions. Antoine joue le jeu et je ne sais pas comment il fait, je l'envie, mais moi je n'y arrive pas. Je n'ai jamais réussi à mentir, tu le sais. Je ne suis pas à l'aise avec ça. Pourtant, tout est mensonge de nos jours.
Je dois me mentir tous les jours en disant que demain sera meilleur.
Je dois me mentir tous les jours en disant que quoiqu'il arrive nous serons réunis un jour prochain.
Ce sont des mensonges qui me font garder espoir. Je pense qu'ils sont devenus nécessaires. La vérité n'est pas belle à entendre et personne n'aimerait l'entendre.
Car la vérité s'est que demain est incertain. Pour toi. Pour moi. Pour nous tous. Nous ne savons pas si nous serons en mesure d'être encore là. Alors, je profite de cette lettre pour te transmettre mes doutes. J'ai besoin que tu me rassures Thomas, maintenant plus que jamais. J'ai besoin que tu me dises que tout ira bien. J'ai besoin que tu me demandes d'y croire. D'y croire encore et toujours. J'ai besoin de toi.
Si tu savais comme tu me manques chaque jour un peu plus.
Je ne sais pas encore ce que je vais faire ici. Antoine m'assure une place parmi les femmes du village et m'introduit peu à peu, mais selon lui, ça ne peut marcher que si je fais des efforts. Je suis tellement fatiguée d'en faire. De sourire à toutes ces bonnes femmes qui me regardent avec un grand sourire en face et qui murmurent dans mon dos. Je suis fatiguée de prétendre être quelqu'un que je ne suis pas. Je ne suis pas aussi gentille qu'on peut le croire.
Je n'ai jamais été vraiment gentille. La gentillesse n'a pas de place dans ce monde. On ne le sait que trop bien toi et moi. Notamment avec cet incident lors de l'été de nos 8 ans. On a essayé d'être gentils, mais te rappelles-tu comment ça a fini ? Ça a fini par un drame.
Un drame nous pointant du doigt. Encore et toujours. Nous serons toujours pointés du doigt.
Alors, autant vivre la vie dont on veut se souvenir. Si l'on vit assez vieux pour se souvenir de quoi que ce soit.
De temps à autre, j'essaye d'écouter la radio, les potins, j'essaye de gagner une information ou deux. J'essaye de savoir ce qu'il se passe là-bas. Là-bas pour toi. Parle-moi Thomas. Raconte-moi. Je veux savoir. Je ne veux plus être épargné de ces détails morbides et cruels. Je ne veux pas finir idiote. Je veux savoir, non, j'en ai besoin.
J'ai besoin de me dire que l'on se bat vraiment pour quelque chose. J'ai besoin de me dire que même si dans cinquante ans on ne se souviendra pas de nous, nous, on se souviendra de ce qu'il s'est vraiment passé. On mourra sans doute avec tout ça. Mais on saura.
On saura jusqu'où la barbarie de l'homme peut aller.
On saura jusqu'où le monde peut faillir. »
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