Chapitre 17 - Seulement "merci"
Février 1941
C'est la dernière lettre de Thomas. La dernière que je recevrais avant un petit moment maintenant et il le sait. Ces moments de coupures, où l'on ne peut s'écrire l'un à l'autre, me font toujours un petit quelque chose. La naissance d'une angoisse, je dirais. J'ai peur que durant l'un de ces moments, il arrive quelque chose. J'ai peur qu'il nous arrive quelque chose. À lui. À moi. À nous. Ce que nous faisons et ce que nous nous apprêtons à faire n'est pas sans danger. Tous les matins nous n'avons pas cette sécurité de nous réveiller en pleine santé.
Et pourtant, tous les matins, on ne saurait dire comment, on se lève.
On se lève et on se bat.
Je range la lettre entre les pages d'un vieux livre que j'ai gardé avec moi. Un livre appartenant à ma mère. Je ne suis pas très roman d'amour, mais ce livre, je le conserve précieusement. N'ont pas parce qu'il était à ma mère, mais parce qu'il me fait penser à Thomas. Le héros de l'histoire est un garçon aventureux qui s'attire toujours tous les ennuis du monde, mais qui, d'une certaine façon, arrive toujours à s'en sortir et à revenir chez lui. Ce livre, je veux que ce soit l'histoire de Thomas.
Thomas mérite d'avoir ses lignes. Peut-être un jour m'y attacherais-je à l'écrire.
« - Élise, si tu ne te dépêches pas, nous allons rater le train ! »
Antoine s'impatiente en bas, je l'entends faire les cent pas devant les escaliers. Les planches craquent à chacun de ses mouvements. Il est prêt à partir. Pas moi.
Encore un endroit que je quitte. Encore une maison que je laisse vide. Encore des personnes que je laisse derrière moi. Je ne sais pas si un jour, on sera capable de tous se revoir. Pierre et Laura viennent nous dire au revoir. Je n'ai jamais pu apprécier Laura, mais néanmoins, en ce moment même j'éprouve une certaine tristesse à devoir la quitter.
Elle me demande de lui écrire de temps en temps. Comme si j'allais avoir le temps. Je l'aurais, mais je ne le ferais qu'une fois je pense. Je n'aurais rien à lui dire. Le seul à qui j'écris et à qui je raconte ma vie c'est Thomas. Thomas lui seul a le droit de savoir ce que je pense, ce que j'éprouve, ce que je traverse. C'est un peu son privilège comme c'est le mien de tout savoir sur sa vie. C'est comme ça.
Antoine s'occupe des valises à la gare, des papiers et je me contente de monter dans le wagon silencieusement, l'air boudeur.
« - Tu ne m'as toujours pas dit où nous allions.
- Il est préférable que tu ne le saches pas. Du moins pas pour l'instant.
- Pourquoi ? Parce que je l'aurais forcément dit à Thomas ?
- Pour ça et pour plein d'autres raisons. Écoute Élise, j'ai bien compris que je n'avais pas une place bien importante dans ton cœur, mais j'espère juste que tu me fais assez confiance pour assurer ta sécurité. Notre sécurité. »
C'est vrai, maintenant que j'y pense, depuis le départ de Thomas, j'ai été particulièrement exécrable avec Antoine. Je le pensais responsable. Je me suis répété que si Thomas était parti aussi vite, aussi loin, c'était de sa faute à lui. À lui et à sa jalousie maladive. Pourtant, ce n'est pas le cas. Antoine, comme Thomas, ne fait que s'assurer que je survive aussi longtemps que possible.
Parce qu'au fond de nous-mêmes, on le savait. On savait qu'à la fin de cette histoire, un seul d'entre nous serait encore là pour raconter la vie des autres. Un seul d'entre nous se tiendra encore debout pour conter l'histoire de ces gens qui n'ont pas sauvé le monde. De ceux qui n'ont rien fait, qui sont restés dans l'ombre. Qui ont tout donnés, mais de qui on a oubliés les noms.
Ces gens qui ont tant sacrifié et à qui on dira plus tard seulement...
« merci ».
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