Chapitre 14 - Thomas repartira
Décembre 1940
Je me suis assise dans le froid. Seule. Je me suis assise dans le froid, ce froid qui vous oppresse, qui vous fait vibrer. Trembler. Je me suis assise dans le froid et j'ai réfléchi aux paroles de Thomas. Du moins, je n'ai cessé de me les repasser en boucle comme une vieille chanson que l'on entend à la radio.
Pour lui se battre avec Antoine était devenue une nécessité. Un besoin. Une fierté. Se battre contre lui avait été avant tout une question de « récompense ». Moi. Ils se sont battus pour moi. Ils se sont battus en pensant que je n'étais qu'une vulgaire récompense de tournoi ou un misérable prix de foire que l'on pouvait remporter comme ça. Mais je ne suis rien de tout cela.
Je suis humaine. Dans un monde qui semble perdre petit à petit son humanité... Moi, je le suis encore et toujours. Du moins, j'aime à le penser.
« - Es-tu fâchée ? »
Thomas est là. À côté de moi, il s'assoit. Thomas m'a trouvé là où je pensais pouvoir m'égarer.
Thomas est là mais je ne le regarde pas. Pourquoi ? Pourquoi suis-je autant offusquée ? Pourquoi ?
« - Élise... Écoute... À propos de la bagarre...
- Tais-toi. »
C'est vrai. Tais-toi. Je ne veux rien savoir. Je ne veux pas savoir. Parce que si tu me le dis, alors je devrais trouver une raison, dans tes mots certainement, pour ne pas t'en vouloir. Mais tu vois Thomas, présentement, je t'en veux. Je ne peux pas l'expliquer. Je vous en veux à tous les deux.
Je ne suis pas un jouet que deux enfants peuvent se disputer aussi aisément.
« - Je suis désolé. Je t'en supplie ne m'en veux pas. Je ne veux pas que l'on se dispute tous les deux. Pas avec ce qui arrive. Élise, s'il te plaît. »
Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas quoi lui répondre. Je ne sais comment lui faire face, tout simplement. J'hésite. J'ai été envahie par cette vague de joie et de bonheur quand je l'ai vu au détour de ma porte mais maintenant... Maintenant, j'ai l'impression que ces sentiments ont disparu.
« - Dis-moi Thomas... N'en as-tu pas marre ? Marre de tout ça ? Marre de te battre quotidiennement ? »
Il ne me répond pas mais j'entends son soupir. Son silence en dit plus long que n'importe quel mot.
« - Tu sais, pour être honnête, je te dirais que non, je ne suis pas fatigué de me battre. Parce que, tu vois, il y a des causes qui en valent la peine. Il y a des choses pour lesquelles il est impératif que l'on se batte.
- En suis-je une ? Suis-je une « cause » à défendre ? Ou l'une de ces choses qui en vaut la peine ? Suis-je quelque chose dans ce genre-là à tes yeux ?
- Non. Rien de tout ça. Toi Élise, tu es plus. Tu es spéciale... Du moins pour moi. Tu sais quand je t'ai dit que je ne t'en voudrais pas si tu tombais amoureuse d'Antoine, je te mentais. En fait, cette pensée m'a déchiré. Te savoir avec lui, te voir rire à ses blagues et lui sourire, ça m'a rendu fou. Mais lui... Aussi révoltant que cela puisse paraître, lui, il est là pour toi.
- Et toi tu es là pour le monde. Pourquoi te compares-tu sans cesse à Antoine ? Pourquoi ne me crois-tu pas quand je hurle sur tous les toits que c'est toi que j'aime ? Pourquoi n'as-tu pas confiance en moi ? Hein ? Dis-moi Thomas... As-tu suffisamment confiance en moi ? En nous ?
- Ce n'est pas aussi simple... J'aimerais que ça le soit mais ce n'est pas le cas. Bien sûr que j'ai confiance en toi, bien sûr que j'ai foi en tes mots mais tu sais, je sais ce que pensent les hommes Élise. Pour en côtoyer tous les jours, certains ayant l'esprit bien plus tordus que d'autres, je sais ce qu'ils pensent. Tous. Aucun ne fait exception à la règle. Pas même moi. Je te le dis Élise, les hommes sont dangereux.
- Me feras-tu du mal ?
- Bien sûr que non !
- Alors je n'ai pas peur. Tant que tu es là, je n'aurai pas peur.
- Mais je ne serai pas toujours là pour veiller sur toi. Tu le sais ça.
- Je ne te parle pas du moment présent. Je te parle de cette place toute particulière que tu as dans mon cœur. Cette place qui, je crois, depuis le début, n'a toujours attendu que toi. »
Et avant que je n'aie le temps de terminer ma pensée, j'ai senti sa main contre la mienne, ses lèvres sur les miennes. Avant que je ne détourne le regard, Thomas m'avait capturé de son emprise. Sans aucune violence, sans aucun mal. Thomas ne peut pas être de ceux qui font du mal.
Je le sais. J'en ai l'intime conviction. Ô combien il se pense dangereux, ce n'est pas le cas.
Parce que Thomas repartira, je sais que ces moments sont précieux. Parce que Thomas repartira une nouvelle fois, je sais qu'il me glissera entre les doigts avant que je n'ai eu le temps de l'enchaîner.
Thomas repartira, bientôt. Je ne sais quand. Je ne sais où. Mais Thomas y retournera et cette pensée me hante. Même si Thomas est là, j'ai peur de ce que la guerre peut lui faire.
Parce que la guerre, elle, fait mal.
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