Chapitre 13 - Qui sème le vent ...

Décembre 1940

On dit que les meilleurs instants sont les plus courts. On dit que pour savoir se retrouver, il faut savoir se quitter. Je trouve que l'on dit beaucoup de choses. Peut-être même trop à mon goût car je n'aime pas ce genre de « on dit... ». Je ne veux pas que Thomas parte. Je ne veux pas qu'il s'en aille et encore moins qu'il retourne là-bas.

Alors qu'il pourrait être celui qui fait la différence à un moment donné. Je sais. J'en suis consciente. Mais malgré tous mes efforts, je m'y refuse. Le laisser partir, c'est lui laisser une nouvelle occasion de mourir.

Et je refuse. Je ne supporterai pas cette douleur une nouvelle fois.

Assise près de la fenêtre du salon, la tête dans les nuages, je n'écoute pas ce qu'il se dit dans la pièce. Certaines filles du village se sont réunies ici aujourd'hui pour faire un point et parler d'autre chose que de la guerre mais moi, je n'écoute pas.

Je n'ai pas envie de fuir la réalité. Cela ne servirait à rien. Où que l'on aille, quoi que l'on pense, la guerre est là. Devant nos portes, à l'intérieur de nos cœurs.

« - Qu'en penses-tu Élise ? »

Laura me regarde avec ses grands yeux gris. Elle a cet air contrarié qu'elle a d'habitude quand je n'écoute rien. Je ne l'aime pas. Enfin, non, ce n'est pas que je ne l'aime pas mais Laura et moi, nous ne serons jamais de grandes amies. C'est ma voisine et je la respecte mais ça s'arrête là.

Laura était de ces femmes qui prévoyaient tout. Vraiment tout. Absolument tout. Du sous-vêtement qu'elle mettra sous sa robe à carreaux au déroulement des jours à venir au sein de notre communauté. Elle est maniaque et très à cheval sur une tonne de détails.

Tout mon inverse. Mon exact inverse pour être franche. Comme si elle était l'huile et moi l'eau.

« - Je suis désolée... Je pensais à autre chose ?
- Écoute. Cela va faire une semaine que Thomas est parmi nous et on ne peut que comprendre que tu puisses « penser » à autre chose mais ici, nous demandons de la concentration. C'est important, tu le sais n'est-ce pas ?
- Oui... Pardon. De quoi vous parliez ?
- En parlant de Thomas... Vous n'avez pas remarqué cette petite tension qui s'est installée entre lui et Antoine ?
- Maintenant que tu en parles Viviane, pas plus tard qu'hier, il me semble les avoir vus se disputer derrière le magasin !
- Noon ! C'est vrai ?
- Je les ai vus comme je te vois !
- C'est étrange ça... Deux beaux hommes comme eux... »

Soudainement, j'ai senti tous les regards me dévisageant comme si pour une raison X ou Y, j'étais la cause de tous ces ragots. Je sais que je le suis. Je veux dire depuis que je suis arrivée ici, depuis que j'ai rejoint Antoine, il n'y a pas une journée qui ne se passe sans que j'entende des murmures dès que je tourne au coin d'une rue. Je m'y suis fait sur le long terme mais je n'ai jamais compris le comment du pourquoi. Pourquoi moi plus qu'une autre ? Qu'avais-je de plus ? Étais-je si bizarre ?

«- Bref, mesdemoiselles, si nous pouvions reprendre. »

On ne pouvait que difficilement manquer l'agacement dans le ton de Laura. La conversation ne tourne pas autour d'elle ou de Pierre, forcément. C'est frustrant de ne pas être le centre de l'attention.

Quand la « réunion » prit fin, Laura me demanda de rester tandis que toutes les autres prirent la porte.

Elle s'approcha de moi, m'adressa l'un de ces fameux sourires plus courtois que sincères avant de me dire :

« - Tu sais, tu devrais mettre de l'ordre dans ton cœur avant de semer la pagaille au village. Il serait fâcheux qu'il se passe quelque chose de grave à cause de toi non ? Il est temps que tu sois honnête envers Antoine tu ne crois pas ? »

Au fond, j'étais choquée. Choquée que l'on puisse me dire ça à moi, comme si j'avais osé mentir à Antoine depuis tout ce temps. J'ai toujours été honnête. Je ne lui ai jamais laissé espérer quoi que ce soit... Jamais, alors à cet instant, j'aurais voulu gifler le beau visage aux traits fins de Laura comme j'avais heurté celui de Thomas. Mais je ne l'ai pas fait. Je n'ai rien fait à vrai dire.
Je me suis contenté de lui sourire timidement, poliment, avant de sortir à mon tour de la maison. J'avais besoin de prendre l'air avant d'avoir à expliquer ce que j'ai fait du corps de cette femme.

Perdue dans ma frustration de ne pas pouvoir dire ses quatre vérités à Laura, j'ai marché bêtement, sans but et sans réfléchir à travers le village. De la place publique au marché. De l'épicerie au bar du coin.

Au fond, j'étais tout simplement énervée.

« - Élise ? »

La voix de Thomas me rappelle à l'ordre. Je ne m'attendais pas à le trouver là. Je ne m'attendais pas à voir ces marques sur son visage et sur ses mains.

Thomas s'est battu. Encore. Toujours.

« - Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi tu es dans un état pareil ?
- Tu verrais la tête de l'autre... Ahahaha, je l'ai pas raté ce minable !
- Thomas ! Tu t'es battu contre qui ? Antoine ?

- C'est lui qui a commencé par ses provocations là... »

Mon Dieu. Laura avait raison. Ça va être la zizanie au village et les vieilles du marché pourront s'en donner à cœur joie niveau rumeurs et ragots en tout genre.

Qu'ai-je fait ?

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