Chapitre 1 - Cher Thomas
Avril 1940
" Cher Thomas,
J'aurais aimé te dire qu'ici tout va bien. Mais la vérité est tout autre. La vérité est que tu me manques. Tu vas trouver ça bizarre mais je me suis souvenue, il y a peu, de nos jeux dans les champs de lavande. Je me souviens ô combien on riait aux éclats, combien on était heureux juste toi et moi et combien le monde nous importait peu. Je ne sais pas pourquoi je me suis souvenue de ça tout particulièrement, peut-être parce que je suis retombée sur de vieilles photos de nous ? Va savoir.
La vieille Huguette qui tenait l'épicerie au coin de la rue est décédée il y a de cela quelques jours. Te souviens-tu quand elle nous tapait dessus avec son balai ? C'était drôle. Elle nous tapait et nous battait tellement fort que par moments, on rentrait avec des bleus sur les bras, enfin toi. Toi tu rentrais avec des bleus. Parce que tu te mettais toujours devant pour moi. Tu prenais les coups pour moi. Tu affrontais cette vieille sorcière pour moi. Oh oui, je l'ai méprisée Huguette mais aujourd'hui, les choses sont différentes et sa mort me rendrait presque triste. Parce que son souvenir me ramène au tien.
Cela va faire quelques mois seulement que tu es parti maintenant. Pour moi, c'est tellement plus. Je me souviens du jour où tu es parti. Quand tu as franchi le seuil de ta porte, que tu m'as regardée, l'air abattu et que tu m'as dit « Je reviendrai ». Je pensais que tu reviendrais, oui. Je le pensais sincèrement. Mais maintenant, on dit que la guerre est dans une impasse et que les choses ne s'arrangeront pas. Je les entends discuter tu sais . Les vieux du quartier. Ma mère aussi. Elle s'inquiète beaucoup pour toi. Mon père étant trop vieux, il est resté derrière, avec d'autres mais toi et tous ceux de notre âge... Vous êtes tous partis.
Tu es parti. Honnêtement... Je me sens abandonnée. Je me sens délaissée. J'aurais aimé partir avec toi. J'aurais aimé être avec toi. J'aurais aimé te prendre dans mes bras. J'aurais aimé être là pour toi.
Mais ce n'est pas possible, pas vrai ?
Depuis que tu es parti, je me suis trouvée une nouvelle occupation! Tu vas être surpris d'ailleurs. Tu es prêt ? J'ai repris la ferme en charge ! Ce n'est pas mal hein ? Tu me vois, moi, sur un tracteur alors que je n'ai jamais réussi à pousser une brouette ? C'est ridicule n'est-ce pas ? Mais bon, ça m'occupe et j'en ai besoin. J'en ai besoin pour ne pas penser à toi. Pour ne pas m'inquiéter pour toi.
En ce moment, la météo est mauvaise et avec les récentes pluies, la rivière menace de déborder. Il faut que l'on creuse une tranchée non loin de la ferme pour éviter que l'eau ne vienne sur les terres. On n'a déjà plus beaucoup de bestiaux. Quelques vaches, quelques moutons. Les poules ont été massacrées par les chiens du coin. Des chiens errants on suppose . Georges, m'aide beaucoup pour tout remettre en état. Te souviens-tu de Georges, Thomas ? Ce petit rouquin pleurnicheur qui nous suivait tout le temps et qui nous voyait mariés. Il a bien grandi depuis. Disons qu'être l'un des rares « hommes » à ne pas être partis, lui pèse sur la conscience. Il aimerait te rejoindre mais personnellement, je préférerais qu'il reste ici. Avec nous. Avec moi.
Georges n'a que 15 ans.
Nous... Nous n'en avons que 19.
J'ai eu ta dernière lettre tu sais ? Enfin, au début je ne voulais pas l'ouvrir et puis maman me l'a lue, un soir. Pour l'instant, j'ai du mal, pardonne-moi. Alors pendant qu'elle me faisait la lecture, je fermais les yeux et j'imaginais à chaque mot, à chaque son, le timbre de ta voix. J'imaginais que tu me racontais tes aventures de vive voix.
Et tu le feras n'est-ce pas ? Tu me raconteras tout ça, hein Thomas ?
Dis-moi... Comment c'est là-bas ?"
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