Lettres XXI - XXIV


Lettre Ving-et-Une : Samedi 2 juin

Cher Grand-père, comment vas-tu ?

Je reviens de Paris à l'instant, j'ai convaincu Casper de venir avec moi après les cours, je ne pense pas que ce soit bénéfique pour lui de fuir Marine, qui a réellement besoin de soutien aussi. Il est d'accord avec moi, même si c'est compliqué pour lui de la voir dans cet état. Mais il m'a dit ''raison de plus pour l'aider, si elle est triste !'' J'ai déjà dit que j'adorais ce mec ? Il est fort, mon Casper.

Bref, donc on a pris le train tous les deux (Rose avait une obligation avec ses parents, elle m'a demandé de transmettre à Marine ses encouragements et son amitié) et on est arrivé aux alentours des seize heures là-bas. C'est Gabriel - le plus jeune des deux cousins - qui nous a ouvert. Il nous a alors annoncé avec un air désolé qui contrastait avec la fierté évidente sur son visage que Marine était sortie avec Lilia pour faire quelques courses. Son sourire s'est aussitôt dédoublé sur nos visages alors qu'il nous faisait entrer dans le salon. Il nous a proposé une partie de jeu sur console, et quand les deux filles sont rentrées, elles nous ont trouvés les uns sur les autres dans des positions improbables sur le canapé, des manettes dans les mains et en train de pousser des cris de frustration ou de victoire. Je venais de gagner la course, alors j'ai tourné la tête, et j'ai surpris l'ombre d'un sourire attendri sur le visage de Marine. Je me suis levé et suis allé la serrer dans mes bras, vite suivi par Casper qui n'a pas voulu rallonger leur étreinte.

Marine avait mauvaise mine, des cernes marquée et semblait toute frêle, déjà que d'ordinaire elle n'est pas épaisse... Mais ce sont surtout ses yeux qui m'ont frappé : ils paraissaient avoir perdu une certaine... détermination ? Malgré ça, elle s'est enquise de notre santé, et nous a demandé si ça allait avec la fac. Impressionnante cette fille, Grand-père. On est retourné sur le sofa, auprès de Gabriel qui a déposé un baiser sur le front de sa cousine avant de la prendre dans ses bras. Lilia a disparu dans la cuisine, je suis allé la rejoindre. Je l'ai trouvée adossée au frigo, le regard dans le vague. Elle a sursauté quand je lui ai demandé comment elle se sentait, s'est retournée vers moi puis est venue déposer un bisou sur ma joue. Après quoi, elle m'a répondu qu'elle s'appliquait à être présente pour Marine, mais que celle-ci avait encore beaucoup de mal. Je lui ai conseillé de prendre aussi du temps pour elle, sans quoi elle se retrouverait elle aussi à déprimer, ce qui n'arrangerait personne. Elle a éclaté de rire et m'a assuré qu'elle faisait attention et que tout ce qu'elle faisait, c'était aussi pour elle.

On est retourné dans la salle où les trois autres étaient installés, et on s'est amusé à les déconcentrer, puisqu'ils avaient repris les manettes et, par conséquent, les courses. Quand Casper a passé la ligne d'arrivée, il m'a sauté dessus en faisant semblant d'être en colère, donnant au passage un coup de coude à Marine qui, loin de se laisser faire, est entrée dans la bataille. Elle a vite été assistée par Lilia qui ne s'est pas gênée pour me faire finir par terre, sous les yeux ahuris de Gabriel. Le pauvre a dû se demander si tous les étudiants étaient aussi fous que nous, lui qui est encore au lycée... Même si je suis persuadé que c'est pareil avec ses potes.

Au final, on a beaucoup joué, beaucoup parlé (beaucoup mangé aussi mais bon, il ne faut pas le dire) ; et la soirée s'est installée plus tôt que ce qu'on pensait. Cass et moi avons décidé de rentrer quand Armand (le grand frère de Gaby) est arrivé à l'appartement, et avons repris le train dans une bonne humeur évidente. Mon meilleur ami était fier d'avoir su faire rire Marine à plusieurs reprises, et moi j'étais simplement heureux de voir qu'elle commençait doucement à remonter la pente, à se changer les idées. J'avoue que j'étais un peu inquiet pour Lilia aussi, mais elle a l'air de s'en sortir, c'est une fille forte qui reste campée sur ses décisions et ne se laisse pas marcher sur les pieds.

Quand on est arrivé, j'ai proposé à Casper de dormir à la maison, il a aussitôt accepté ; il dort déjà ce gros bébé. Je lui donnerai le bracelet demain matin, pour qu'il le transmette à Elric. Elric qui m'a confié que ses parents lui interdisent de fréquenter une de ses amies pour la simple raison qu'elle se fiche du regard des autres et s'habille avec des vêtements toujours très extravagants... Je n'étais pas entré dans les détails quand je t'en ai parlé la première fois, mais ses parents sont tout sauf tolérants ; Elric en a pris plein la figure quand il leur a appris son homosexualité. Seulement, ils l'aiment alors ils essaient de faire des efforts (surtout son père) si j'ai bien saisi, mais tu peux te douter que ce n'est pas facile tous les jours. Bon sang, heureusement que je sais que Papa et Maman sont très ouverts, je ne sais pas ce que je ferais s'ils me rejetaient pour ce que je suis. Quels parents peuvent faire ça ? C'est atroce !

D'ailleurs, il faudrait peut-être que j'explique aux miens les sinuosités de mes attirances, puisque jusque là ils ne se doutent que de mon apparente homosexualité, puisque je ne suis sorti qu'avec des garçons depuis le collège. Peut-être te demandes-tu comment ils le savent, mais tout simplement car je n'ai jamais caché à Maman quand j'avais des copains, sans jamais pour autant faire de ''coming-out'' ; je n'en voyais pas l'utilité. Est-ce qu'un hétéro doit expliquer à ses parents qu'il l'est ? Et là, tu te dis ''mais pourquoi tu veux leur parler de ta sexualité dans ce cas ?'' La réponse est que je n'en ai aucune idée, je pense que j'ai simplement besoin de l'avis objectif et de l'expérience d'un adulte. À ton avis, pourquoi je t'écris toutes ces lettres ?

J'aimerais bien rencontrer Elric...

Je t'embrasse,
Gabin.

PS : J'aimerais bien rejoindre Cass au pays des rêves, mais la question est : vais-je y arriver ? Parce que ce type ronfle plus fort que toi, c'est l'horreur !



Lettre Ving-Deux : Dimanche 10 juin

Cher Grand-père, comment vas-tu ?

Voilà un mois que les parents de Marine sont partis. T'ai-je raconté qu'ils ont été incinérés ? Je ne sais plus... Enfin bon, je ne suis pas sûr que ça t'importe beaucoup. En tous cas, notre championne reprend doucement la course à pied, son sport de prédilection ; apparemment ça lui permet de se vider la tête et de se détendre. Lilia ne supporte pas le footing donc elle court seule, mais ça n'a pas l'air de lui poser de réel problème. Quant à sa copine, elle pense revenir chez elle dans peu de temps ; sa mère lui manque et n'arrête pas de lui répéter qu'elle voudrait qu'elle revienne, mais elle ne veut pas quitter Marine. Dilemme assez compliqué, mais je suis sûr qu'elle parviendra à trouver un compromis qui arrangera tout le monde. Je ne sais pas si elle va reprendre la fac, elle a accumulé beaucoup de retard, d'autant plus que les examens de fin d'année vont arriver vite.

Je suis retourné servir de modèle à Rose, cet après-midi ! Elle m'a appelé juste après le déjeuner en me demandant si je pouvais venir chez elle dès que je serais prêt. Évidemment, j'ai accepté et je m'en suis mordu les doigts : je me suis retrouvé à trimballer du matos dans la rue, puisque mademoiselle voulait peindre au parc. Elle trouvait que la luminosité était parfaite pour une œuvre en plein air, et on s'est installé dans l'herbe, non-loin de la grand fontaine. Elle m'avait demandé de mettre une chemise, que j'ai ouverte sous ses directives, et un panta-court que j'ai eu du mal à trouver dans mes affaires. Je n'en porte jamais... Rose m'a demandé de me déchausser, d'abandonner mes chaussettes dans mes tennis, et de m'adosser à un arbre, la tête tournée à l'opposé d'elle et les jambes en tailleurs. Je peux te dire qu'à la fin de son tableau, je ne sentais plus mes pieds ! Des fourmis partout dans les muscles, c'était désagréable.

L'avantage, comme on était en extérieur, c'est qu'elle a fait le tout en vitesse accélérée pour éviter que la lumière ne varie trop ; et je n'ai pas dû rester plus de trois heures dans cette position, heureusement pas trop inconfortable. En me relevant pour aller vers elle, je me suis fait lâcher par mes jambes et me suis éclaté au sol sous son éclat de rire. Elle s'est foutu de moi pendant tout le reste de notre temps ensemble...

En tous cas, sa peinture était magnifique, j'ai adoré sa façon de flouter la limite entre ma chemise et la peau de mon torse, comme si elles se fondaient l'une dans l'autre. Ce tableau dégage une sérénité que j'ai trouvée belle. Il faudra que je te montre ce qu'ils rendent en vrai, quand tu viendras à la maison ; tu vas être bluffé ! Rose a réellement un talent monstre. Et il faut croire qu'elle n'arrête jamais de dessiner, elle a des carnets et des carnets remplis de croquis, de flèches, d'essais et, parfois, de dessins finis.

Elric a reçu mon bracelet, dans l'enveloppe sur laquelle j'avais marqué ''devine qui c'est'' tel l'enfant que je suis. Figure toi qu'il l'adore, il m'a remercié au moins un million de fois depuis ; c'est trop chou, je t'assure. Je suis heureux qu'il lui plaise, il m'a envoyé une photo de son avant-bras avec ; j'ai éclaté de rire à la mention ''première nude'' qui accompagnait l'image.

Je t'embrasse,
Gabin.

PS : Est-ce que Grand-mère continue à lire des romans sur la Seconde Guerre ? Si oui, je lui recommande ''Inconnu à cette adresse'' que j'ai retrouvé tout à l'heure en faisant le tri dans ma bibliothèque. Des souvenirs du lycée remontent...



Lettre Vingt-Trois : Samedi 16 juin

Cher Grand-père, comment vas-tu ?

Le mois de juin va bon train, le temps passe beaucoup trop vite ! Lilia est finalement revenue, Marine compte faire de même au début des vacances d'été ; et le soleil est au rendez-vous, accompagné de la chaleur presque caniculaire dont on a fini par avoir l'habitude. Je me replonge dans mes révisions, notre dernière série d'examens de l'année s'approche bien trop vite, et Casper ne sort presque plus. Il aimerait bien, mais son père le convainc continuellement de rester chez lui pour travailler etc. D'ailleurs j'ai constaté récemment qu'on vivait encore tous dans nos familles, à vingt ans. Moi qui m'imaginais que le post-bac, c'était une colocation, la vie libre et des soirées à n'en plus savoir ce qu'est le sommeil ; en fait pas tant que ça. Moi, ça me va très bien, mais je sais que Casper ne s'attendait pas à ça, il voudrait être autonome, indépendant du moins. Parce qu'effectivement, son père ne le lâche pas pour ce qui est du travail, et il ne peut pas toujours venir nous rejoindre.

Pour ça, j'ai de la chance : Papa et Maman ont décidé, depuis que je suis majeur, de me laisser décider moi-même de ce que je considérais comme étant important. En soi, ils me laissent gérer, et ça me va très bien.

Ilias va beaucoup mieux depuis que Papa a arrêté de l'engueuler pour tout et rien (il s'est même excusé et essaie de se rattraper en l'aidant du mieux qu'il peut), et que le directeur est au courant du semblant de harcèlement qu'il subissait au lycée. Il s'est rapproché de la sœur d'un de ses amis, et je crois bien qu'ils s'entendent comme les doigts de la main, je suis content pour mon frangin. J'espère qu'il saura se rendre compte que Marion n'a rien à voir avec son ex, qu'il ne faut pas qu'il fasse d'amalgame. Mais c'est un futé, le petit frère, donc je ne fais pas trop de soucis.

Casper a l'air de réussir à s'en sortir par rapport à ses sentiments, on en a reparlé il y a deux jours et il m'a assuré qu'il gérait et qu'il ne ferait pas de connerie. J'ai appris que Rose l'avait démasqué, d'ailleurs. Elle ne le connaît pourtant pas depuis si longtemps, et elle a compris en même temps que moi... cette fille a un sixième sens monstrueux.

Je t'embrasse,
Gabin.

PS : Je ne sais pas à quand la prochaine lettre, mais promis, je ne t'oublie pas !



Lettre Vingt-Quatre : Dimanche 1 juillet

Cher Grand-père, bon sang, déjà le premier juillet !

Je suis désolé pour mon absence, je ne saurais même pas te dire à quoi elle est due... Par contre, je suis en vacances !! Après ma semaine d'examens, je suis vraiment heureux que cette année se soit terminée ! Le temps est passé tellement vite, Grand-père ! Cette année a été bien remplie, pour le meilleur comme pour le pire... Mais deux filles sont venues s'ajouter à notre petit trio depuis septembre, et personne ne regrette l'arrivée de Marine et Rose parmi nous. On est le club des cinq, maintenant ! (Oui, j'arrête de dire des bêtises, ne t'en fais pas.)

Marine est de retour ! Elle vit chez Lilia, sous la demande répétée de la mère de celle-ci ; et tout a l'air de bien se passer - aussi bien que ça puisse se passer, en tous cas. Évidemment, elle court très régulièrement, et compte bien revenir en cours l'année prochaine, seulement elle s'est rendu compte qu'elle voudrait s'axer principalement sur la psychologie ; alors on ne suivra plus les mêmes cours. Je suis un peu déçu qu'on s'éloigne mais en même temps très heureux qu'elle trouve sa voie. Alerte, je tombe dans le cliché ! (D'ailleurs, qu'est-ce qu'un cliché, au final?)

Je me suis défoulé à la batterie, hier soir, pour faire retomber tout le stress ; et Ilias m'a rejoint pour chanter. On s'est fait quelques duos avant que Papa ne nous rejoigne, sa guitare à la main. Papa a joué avec nous ! Maman, étonnée de tout le vacarme, est montée et a eu les larmes aux yeux en nous voyant tous les trois à hocher la tête en rythme, dans une ambiance de complicité disparue depuis quelques mois. J'étais heureux, Grand-père, et Ilias aussi. Papa avait un sourire qui lui mangeait tout le visage. On a joué longtemps, jusqu'à ce que Maman ne nous arrête en nous rappelant que les voisins ne supportent pas le bruit, le soir ; et à ce moment-là, Papa nous a tous les deux ébouriffé les cheveux en nous soufflant qu'il était fier de nous. Si tu avais vu Ilias ! Il brillait presque, le frangin.

Je suis d'une humeur merveilleuse aujourd'hui, j'espère que ça va durer. Et sinon, Elric m'a avoué qu'il avait autant envie de me voir que moi, c'est super ! Je me demande si j'ai une chance avec lui, Grand-père ; après tout on s'entend bien, très bien même, on a des goûts proches sans pour autant être identiques, et... je ne sais pas, il y a un courant qui passe entre nous, qui est passé dès notre première conversation. J'aviserai après l'avoir rencontré en face, je pense. Je vais demander son avis à Casper, même si je sais qu'il ne sera pas très objectif...

À partir de demain, j'aide au déménagement de Cass, enfin pour l'instant on va surtout repeindre dans la nouvelle maison, décoller et recoller du papier-peint, ce genre de choses. Avec la chaleur, on va se liquéfier, par contre... Mais bon, tant pis. Si j'ai bien compris, Lilia nous aidera aussi quand elle sera libre, et Marine passera probablement une fois ou deux, si elle a la motivation. En parlant d'elle, elle m'impressionne. Je veux dire, elle se reprend en main, elle va de l'avant, c'est incroyable ! La plupart des gens ne réagiraient pas comme ça, moi le premier. Elle se remet petit à petit à ses activités, reprend une vie (avec des gros guillemets) ''normale''.

Je vais me préparer psychologiquement à suer des journées entière dans des pièces sentant la peinture ou le refermé.

Je t'embrasse,
Gabin.

PS : J'ai enfin trouvé une utilité à cette vieille chemise que tonton m'a offerte, elle fera parfaitement l'affaire !





Salut à tous, désolée de ne pas avoir posté hier.

Je vais pas parler beaucoup mais j'espère que ça vous a plu. Je suis épuisée et j'ai vraiment besoin de vacances, surtout après le bac blanc...

Courage pour la dernière semaine, bonnes vacances pour ceux qui le sont :3

Relire les passages de cette histoire qui se passe en été me donne hâte d'être aux beaux jours xD

Gros bisous à tous,
Nezy

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