Chapitre 5

Trois lunes passent au fil du temps. Trois jours de désespoir où Chépô n'est plus que l'ombre de lui-même. Au quatrième matin, il se lève, mais ne prend plus la peine de s'entretenir. À quoi bon, en étant bloqué dans cette maudite cage géante ? L'écureuil avance, d'un pas lent, traînant ses pattes, le museau baissé. Son pelage si lustré paraît rêche, sale et ébouriffé. Les puces et les tiques se font un malin plaisir de s'immiscer entre ses poils, provoquant démangeaison et fatigue. Même les disputes d'Ignace et Mariette ne l'atteignent plus. Ne le font plus réagir.

Ce spectacle désolant est observé par le propriétaire des lieux qui s'inquiète de son état. Caché derrière la vitre de la cuisine, les bras croisés sur son torse, le nez plissé en même temps que sa moustache. Il le scrute.

Dans un effort considérable, l'écureuil lève la tête en se sentant épié. Il fixe dans les yeux l'homme qui lui fait souffrir le martyre. Bien que le lendemain de sa captivité il s'était juré de se venger, Chépô s'est vite rendu à l'évidence qu'il ne fera jamais le poids face à Ignace. Cela lui apprendra à se moquer de lui à sa prochaine partie de pêche. S'il est toujours de ce monde à ce moment-là...

Ses épaules s'affaissent. Son regard glisse sur le sol poussiéreux où les feuilles jonchent ici et là. Il fixe un instant le tracé de son passage à force de tourner en rond dans l'enclos. Son cœur meurtri est brisé, ne trouvant plus grâce aux alentours, et reprend sa marche.

Une semaine. Son état léthargique a laissé place à l'abandon total. Chépô ne se lève plus, ne se nourrit plus. Il reste allongé en boule au pied du tronc. Plus de désir, plus d'appétit, plus rien. La dure réalité de sa courte existence lui fait face. Il compte les battements de son petit cœur qui bat plus lentement, mais en constant. Il attend, patiemment, que le dernier battement sonne le glas.

Le cliquetis de la serrure résonne. Le grincement de la porte se répercute en échos. Les pas lourds d'Ignace ne le font pas réagir, de même que son soupir qu'il laisse échapper en étalant son ombre funeste au-dessus de son corps. Est-ce que l'ange de la mort des écureuils s'est enfin décidé à venir le cueillir ? Chépô sent son maigre corps se soulever, mais ses yeux n'arrivent plus à s'ouvrir. La force de ce geste l'a abandonnée depuis longtemps. Il ne ressent plus que le froid.

Le vent effleure les nœuds de son pelage, alors qu'il se dit être bien mal entretenu pour se présenter devant son créateur. Il rejoindra sûrement son défunt frère, voire ses parents, qui sait s'ils ont survécu en l'abandonnant dans son chêne.

Chaleur. À moins que ce soit en enfer. Sa misérable existence à être moqué de tous l'aura conduit dans les bas-fonds de la terre. Peut-être que les taupes lui rendront visite entre deux tortures. Torture... Oui, il le sent, ça commence. La sensation qu'on lui retire ses nœuds, les tiques, qu'on le peigne, lui étage du liquide puant qui ferait fuir les puces, lui font plissés le museau. Le diable des écureuils veut le rendre aussi nu qu'un ver avant de parfaire son humiliation.

Nourriture. Étrange... Voilà qu'on lui force à ouvrir la bouche pour lui enfoncer une seringue à embout et le faire avaler de force une substance au goût de gland. Cela l'apaise, mais son esprit reste en alerte. Chépô ne veut pas de l'enfer. Il tente d'ouvrir un œil, mais il aperçoit un gros nuage blanc cotonneux s'approcher. Il referme immédiatement sa paupière se disant qu'il va percuter les cieux, mais celui-ci le caresse délicatement les yeux. Le nettoyeur. L'écureuil ne sait plus lequel des deux univers veut de lui regrettant encore plus son trou de chêne.

« Laisse-le donc reposer, pauv' p'tite bête. » grommelle Ignace. Va la charcher, pis dès qu'il s'sentira mié, on l'y r'métra. »

Épuisé par cette torture, Chépô s'endort sur la voix de son tortionnaire.

La brise effleure les pointes des oreilles de Chépô. Une énergie nouvelle l'aide à dresser sa tête pour y découvrir une nouvelle fois ce lieu qu'il maudit tant. En s'appuyant sur ses pattes arrière, il remarque que son pelage est lustré, soyeux, toutes les bestioles ayant trouvé refuge entre ses poils se sont volatilisées. Il baisse le regard sur son ventre, ses côtes ne sont plus apparentes. Il a repris du poil de la bête. Étrange, que s'est-il passé durant son sommeil comateux ?

Il grimpe sur le tronc, doucement, pour ne pas brusquer ses muscles restés longtemps atrophiés et observe les alentours. Le grillage à disparu. Illusion ? Mirage ? Il saute sur le sol et s'approche précautionneusement pour ne pas se faire, une fois de plus, avoir. L'écureuil tend la patte, ferme les yeux et dans un effort circulaire, la tourne et ne rencontre aucune résistance. Ce n'est pas un rêve. Plus aucune barrière ne le sépare de son chêne.

Une douce amertume l'étreint. Il va pouvoir se délester de cet endroit de malheur et retrouver sa liberté. Or au moment de s'élancer, un couinement attire son attention. Chépô s'avance un peu plus vers son chez lui, mais un autre bruit le fait s'arrêter. Il veut sa liberté, il veut s'échapper, fuir loin d'ici, mais sa curiosité l'emporte sur sa réflexion. Il se retourne. Cours et grimpe sur le tronc couché. Se fige. Son cœur bat la chamade dès qu'il l'aperçoit.

Elle s'étire sur ses pattes, allongeant son corps et redressant son postérieur. Son pelage d'un brun roux clair fait fondre l'organe de Chépô. Elle se redresse, sur ses pattes et s'étend vers une branche pour y attraper une feuille, sous le regard de l'écureuil qui en perd tous ses moyens. Une femelle, là, sous ses yeux, rien que pour lui.

Elle s'approche de lui avec la feuille et la lui tend. Chépô l'attrape, mais ne réagit pas. Il tombe littéralement amoureux de cette belle créature qui se met à bondir de tronc en tronc avant de franchir la fenêtre de la cuisine et de disparaître dans l'antre d'Ignace et Mariette. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top