Chapitre 4
Le bruit insupportable d'un marteau tapant le métal résonne dans la tête de Chépô qui se réveille groggy. Sa patte se positionne sur son crâne, tandis que ses yeux peinent à s'ouvrir. En se redressant, il bascule, perdant son équilibre et couinant de la douleur qui se propage dans l'arrière-train. Le marteau continue de frapper, chaque coup résonnant comme un écho douloureux dans son esprit.
Cependant, c'est la voix de Mariette qui lui fait redresser les poils de sa fourrure.
« Ignace, qu'est-ce que tu veux pour l'déj'nèr ? »
La vision embrouillée, Chépô observe les barreaux qui se dédoublent. Le juron lointain d'Ignace, pestant contre sa bonne femme, se répand en échos dans le cabanon.
« Chépô, sketuveux ! »
Le soleil filtre ses rayons à travers les rideaux à carreaux roses, réchauffant à peine l'animal. Il est piégé. Loin de son chez lui. Loin de son arbre. Entre les mains de ces deux tortionnaires. Il se roule en boule dans un coin de la cage, ignorant le distributeur d'eau et les graines mises à disposition. La tristesse et les calmants ont raison de lui et de ses pensées sombres. Une nouvelle saison sans partenaire.
La brise matinale d'une nouvelle journée effleure ses poils, apportant avec elle l'odeur fraîche des feuilles et de la terre humide. La veille, il l'avait passée à dormir dans son coin, sur le sol de la cage froide, trop assommé pour réagir au tumulte entre Ignace et Mariette. Ses paupières clignent plusieurs fois, se réhabituant au ciel teinté de bleu pastel et de rose.
Liberté. Les barreaux sont tombés. Chépô inspire un grand coup l'air frais qui se faufile dans ses narines et ses poumons, avant de souffler cette joie intense. Plus de Ignace. Plus de Mariette. Le calme absolu, laissant le feuillage de la forêt bruire entre eux. Retrouvant le chant des oiseaux, la mélodie des merles et des pinsons, oubliant l'odeur du bois poussiéreux du cabanon et des relents de moisissure. Oui, Chépô se sent bien.
Il cambre le dos, s'étire, entame sa toilette matinale, prenant soin d'éviter sa plaie cicatrisante. Plaisir intense qu'il sent afin d'enfouir ce maudit cauchemar qu'il a vécu après s'être fait piéger. Son fastidieux travail fini, il observe enfin autour de lui, ne reconnaissant pas son trou d'arbre, son chez lui. Trop de feuillage est présent parmi ces troncs posés l'un sur l'autre.
Posant d'abord une patte en avant, il renifle en tendant son museau, humant le nouvel environnement. L'odeur des pins et des chênes remplit ses narines. Aucun danger présent. Son autre patte s'avance, prend appui, son arrière-train se baisse, il s'élance. Les sensations de bondir de tronc en tronc lui réchauffent le cœur.
Liberté.
Le vent s'engouffrant dans ses poils et sa queue touffue le fait frémir de plaisir.
Liberté.
Ses griffes s'accrochant après son bond accueillent l'écorce craquelant.
Liberté.
Il ferme les yeux, savourant sa liberté tant chérie, mais ne perçoit pas l'obstacle de taille que quand il se cogne contre le grillage de métal.
Emprisonné.
Ses pattes entourent le grillage qui le sépare de la prairie et de son arbre. Ses sourcils se froncent, il n'en est pas question pour Chépô d'être loin de chez lui. Il escalade le grillage, grimpant de plus en plus haut, de plus en plus vite, se cognant à un lourd filet vert aux mailles resserrées.
Malheur.
L'écureuil se penche sur le côté, et entame une course effrénée sur le grillage au rythme de la Campanella de Liszt, faisant quasiment le tour de la cage géante jusqu'à rencontrer une surface lisse en bois à la peinture écaillée. Il s'arrête brusquement. Observe. Un trou, géant, recouvert de vitre reflétant le soleil levant. Chépô s'approche, penche la tête pour regarder à l'intérieur et sursaute en glissant sur la paroi. La frayeur de faire face à Mariette faisant la vaisselle lui fait battre son cœur dans un rythme fou.
Les humains qu'il supporte depuis sa naissance ont dépassé les bornes. Le pétarade d'une camionnette ne ralentit pas le tambour de son organe vital. Les bruits lourds des pas sortant du cabanon ne le rassurent encore moins. Les pneus crissant sur la terre le figent contre le bois. La nouvelle voix grinçante lui redresse les poils.
« Ti s'est pô ti du bon boulot ça ? »
« Un trôvail de maître, mon chti René. Ti veux un canon ? »
Chépô les écoute d'une oreille attentive. Ignace a de la visite. Il les ignore autant que ceux habitant le cabanon ignorent sa présence. Fouiller pour trouver une échappatoire, une faille et se carapater d'ici. Il saute et atterrit sur la terre meuble fraîchement parsemée d'herbes folles, de feuilles de chêne, de brindilles et de branches. Le filet du haut lui bloque toute évasion par le ciel, reste la possibilité de creuser la terre. Ses pattes fouillent, retournent, creusent des heures durant. À chaque tentative, le grillage rigide enfoncé profondément dans la terre lui bloque le passage.
Une pensée fugace de devenir une taupe dans une prochaine vie lui traverse l'esprit. Chépô secoue la tête, il a horreur de ces bestioles qui ne vivent que sous terre. L'écureuil préfère l'air du grand frais.
Essoufflé, les griffes abîmées, il regarde derrière lui les tranchées qu'il a creusées. Aucune solution. Pourtant, sur son parcours, il a découvert une porte grillagée donnant vue sur la rivière et la forêt la longeant sur la rive opposée. Loin d'être l'écureuil le plus apprécié de la contrée, si l'un de ses congénères passe près de chez lui, sa réputation sera littéralement achevée.
Lentement, il s'approche, la peine l'étreignant. Il s'accroche au barreau, couinant sa détresse. Visualise le paradis dont il est à présent séparé. Loin, très loin de le retrouver un jour. Ses moustaches frétillent, ses yeux noirs luisent de chagrin. La solitude, il la vit depuis ses premiers jours dans ce monde. L'abandon de sa nature tant aimée l'éloigne autant que sa patte se tend à travers le grillage.
Une goutte s'écrase sur le feuillage. Suivie d'une autre avant de se transformer en trombe d'eau. Le beau ciel bleu de la liberté s'est recouvert d'épais nuages sombres. Chépô observe les branches s'agiter, son paradis s'envoler, le tout le cœur serré. Seul sous la pluie, trempé jusqu'aux os, grelottant de froid, il n'aurait jamais imaginé vivre cela dans sa courte vie.
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