Chapitre 3

Arrivant près de son arbre, Chépô repère un tas de glands sur le perron. Il n'avait pas filé directement dans son nid, voulant à tout prix échapper à Ignace qui l'avait longuement observé. Cela lui a hérissé le poil jusqu'à la pointe de ses oreilles et il a déguerpi au plus vite malgré ses blessures.

Les moustaches frétillant, les pattes se posant délicatement, il s'avance prudemment vers le petit tas reflétant l'éclat du soleil de midi. Son arrière-train se soulevant avec douleur, il boîte suite à l'attaque du mâle qui ne l'a pas épargné. Son nez remue, essayant de repérer la moindre menace, laissant ses yeux fureter de gauche à droite. La voiture de Mariette n'impose pas sa hauteur terrifiante, lui indiquant que la bonne femme n'est pas dans le coin. Le silence règne autour et dans le cabanon, laissant la voie libre à l'écureuil.

Chépô saute sur le perron, s'approche du tas et s'arrête, le poil se dressant d'un coup. Une ombre imposante se dessine au-dessus de lui. Les épaules tremblant, l'écureuil dresse sa tête vers le prédateur en la rentrant dans ses épaules. Ignace le domine de sa hauteur en le fixant durement.

L'animal ne sait s'il doit prendre ses pattes à son cou ou tenter tout de même de chiper un gland pour prouver une fois de plus sa bravoure auprès des femelles. Sur un air de Grieg : Peer Gynt suite n°1, In the Hall of the Mountain King, il tend ses griffes vers le petit tas qui se trouve à quelques centimètres, tout en gardant ses prunelles sombres sur le petit homme, paraissant une montagne au-dessus de lui.

Ignace plisse les yeux, les poings posés sur les hanches. Il tente un léger pas, faisant craquer le bois du perron, arrachant un hoquet aigu à Chépô qui arrête tout mouvement, la griffe suspendue au-dessus d'un gland. La moustache d'Ignace part sur le côté en même temps que sa bouche. Il se penche en avant, voulant attraper l'écureuil, un geste paraissant lent aux yeux de l'animal mais rapide pour l'homme qui ne veut pas le laisser s'échapper.

Comme une sonnette d'alarme retentissant, et avant que la main d'Ignace ne lui effleure le poil, Chépô fait un bond en arrière, déguerpissant au plus vite de ce piège infâme. Cependant, son temps de stupéfaction lui a endormi la douleur de sa cuisse, qui se réveille d'un coup, lui faisant couiner de souffrance et ralentir sa course. L'écureuil arrive tout de même à éviter la première prise de l'homme en se mettant en boule, avant de se remettre à courir.

Ignace le poursuit à travers les hautes herbes, râlant sur la témérité de l'écureuil qui ne cesse de lui échapper. Parcourant le chemin sinueux tout en boitant, Chépô sursaute en entendant le pétarade de la voiture. Il tourne sa tête dans tous les sens pour tenter de se repérer, apercevant son arbre à quelques mètres de lui.

Une ombre d'abord petite au-dessus de lui grossit de plus en plus. Quand il redresse la tête, l'écureuil découvre, choqué, Ignace dans les airs se rapprochant trop rapidement. Il ne pensait pas que les humains pouvaient voler. Chépô se décale rapidement de sa position, ressentant le sol vibrer suite à l'écrasement de l'homme sur la terre. Il le nargue en couinant avant de se diriger vers le chêne sous les complaintes d'Ignace.

« Je vas t'attraper, maudit rata ! » grogne-t-il.

Chépô grimpe difficilement dans l'arbre sous les jurons du petit homme qui se relève en dressant la tête. Arrivé à son trou, l'écureuil le regarde puis se détourne en levant son postérieur pour le narguer.

« Te vas vère c'que te vas vère ! » rechigne Ignace pendant que Mariette se gare derrière lui.

« T'as r'ussi à l'attraper ? » demande sa bonne femme.

La conversation se meurt entre le couple, tandis que Chépô s'installe sur ses feuilles de chêne, reposant enfin sa patte arrière endolorie. Il nettoie le sang qui s'écoule depuis sa course folle contre le petit homme, prenant ensuite un repos bien mérité.

En cette fin d'après-midi, une oreille de l'écureuil tique pendant qu'il dort. Un bruit étrange se profile à l'extérieur. Étrange soit, mais ne l'inquiétant pas le moins du monde, car il est protégé tout en haut de son arbre, il se remet confortablement sur son lit de feuilles. Soudain, un craquement sec retentit, suivi du cliquetis métallique de l'échelle frottant contre le tronc. Chépô ouvre un œil, ses oreilles frémissent au son des pas pesants s'approchant. Le bruissement des feuilles et le souffle haletant de l'homme montent jusqu'à lui. Un sentiment d'alerte le traverse, ses sens se réveillent en sursaut. Un dernier grincement sinistre résonne, et avant qu'il ne puisse réagir, une main s'empare de lui.

Chépô se débat férocement, ses griffes raclant la paume d'Ignace, mais l'homme tient bon. En un instant, il se retrouve enfermé dans une petite cage en fer, la porte claquant avec un bruit métallique effrayant. L'écureuil se recroqueville, ses yeux grands ouverts de terreur. La cage est placée sur la table du cabanon, où les outils de jardinage et les pots de peinture semblent former un décor menaçant.

Ignace et Mariette se tiennent près de lui, chuchotant des mots incompréhensibles à ses oreilles effrayées. Chaque son lui semble un murmure de danger imminent. La lumière crue de l'ampoule au plafond crée des ombres inquiétantes qui dansent sur les murs.

Mariette s'approche de la cage, une seringue à la main. Chépô, pris de panique, se met à courir frénétiquement en rond, heurtant les barreaux de la cage. Son cœur bat la chamade, chaque battement résonnant comme un tambour dans sa poitrine. Ses blessures le lancent, exacerbées par ses mouvements désespérés.

« T'as vu c'qu'il m'a fait, c'ptit maudit ! » grogne Ignace, en montrant les égratignures sur sa main. « Faut l'soigner sinon y va y passer. »

Mariette, la mine renfrognée, acquiesce. « Fais pas l'finot, on va t'arranger ça vite fait. »

Ignace, les bras croisés, observe avec une expression sévère. « Si y continue à s'débattre comme ça, y va s'faire plus de mal qu'autre chose. »

Mariette ouvre doucement la cage, tendant la main avec précaution. « T'vas voir, c'est pour ton bien, p'tit. Bouge pas trop. »

Chépô recule au fond de la cage, ses moustaches frémissantes, les yeux fixés sur la seringue. Il ne comprend pas leurs intentions, chaque geste humain amplifiant sa peur. La seringue lui semble être un instrument de torture.

Ignace pose une main rugueuse sur l'épaule de Mariette. « Essaye d'le calmer avec du tissu. »

Mariette hoche la tête et sort un petit morceau de tissu doux d'un tiroir. Elle le dépose délicatement sur Chépô, qui cesse de bouger, surpris par la douceur du tissu. Ses yeux continuent de surveiller chaque mouvement des humains, mais la chaleur du tissu semble apaiser légèrement sa panique.

Mariette prend la seringue et, d'un geste expert, injecte un sédatif léger dans la patte de Chépô. « Là, t'vas voir, ça va passer. »

L'effet est presque immédiat. Chépô sent ses muscles se relâcher, sa vision se brouiller légèrement. La panique cède lentement la place à une lourde fatigue. Alors qu'il sombre dans un sommeil apaisant, ses dernières pensées sont des images de fuite et de liberté.

Ignace et Mariette travaillent en silence, nettoyant les plaies de l'écureuil et appliquant des onguents cicatrisants. Ignace murmure d'une voix bourrue :

 « J'espère qu'il comprendra qu'on fait c'qu'on peut pour l'sauver. »

Le cabanon, habituellement un lieu de guerre impitoyable entre le couple, devient pour un moment une infirmerie improvisée, où les gestes sont rapides et efficaces. Chépô, endormi, est inconscient des soins attentifs qu'on lui prodigue.

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