47 - Greer

— Tu pourrais dire merci, tu ne crois pas ?

Avec sa facilité habituelle, Jaxen avait réussi à apaiser ma mère qui, sans y réfléchir à deux fois, nous avait laissé dans les toilettes des femmes. Voici donc Jaxen, en terrain presque conquis, content de sa prestation, en attente de remerciements qui ne franchiraient pas mes lèvres. Plutôt crever. Il allait déjà me tirer le oui de trop, je n'étais pas prête à abandonner le reste.

— Ne fais pas cette tête, Greer chérie ! Tu aurais dû voir Alby venir à moi pour que je te tire des griffes de ta propre mère. Ce garçon n'a aucun égo, c'est surprenant.

Je ne cachais pas ma surprise. Alby, aller voir Jaxen ? À quel point je me fourvoyais en ce qui concernait ma décision ? Je donnais à Jaxen ce que Jaxen voulait. Ma soumission.

Non.

Un oui ne signifiait pas toujours qu'on était d'accord. Ce n'était pas la preuve d'un quelconque consentement.

Jaxen appuya le bas de son dos contre les lavabos, face à moi. Il souriait, arborant son éternel air fier. Il pensait qu'il était en train de gagner. Le prix à la clé ? Moi. C'était si archaïque, machiste. Comme s'il pensait que je devais lui appartenir.

— Tu es prête ?

À le piétiner ? Oh que oui. J'étais prête à agir, enfin. La présence d'Alby m'avait réveillée. Lutter plutôt que subir. J'avais des cartes en main, pas les mêmes que Jaxen mais il suffisait que j'apprenne à jouer avec mes propres règles.

À moi de me faire des alliés, de me sortir moi-même de ma propre tombe.

Un sourire fendilla mon masque, puis un éclat de rire franc, sincère. Le premier depuis longtemps face à Jaxen. Ce dernier fronça les sourcils.

— Ça fait un moment que je me demande comment je peux lutter face à toi. Comment je peux m'affranchir de ton jeu pervers.

— Tu as trouvé un semblant de réponse ?

Je m'avançai jusqu'à me retrouver à ça de lui.

Il était beau, Jaxen. Létal. Le genre à vous pousser à vous arracher les yeux pour cesser de le contempler. Une vraie tragédie gréco-romaine.

Cette beauté, c'était son poison.

Son arme.

Tout comme son sourire.

Mais moi, j'en étais venu à le haïr, à fuir sa gueule d'ange. Parce que les êtres les plus beaux étaient bien souvent ceux qui purulaient à l'intérieur.

— Je ne me soumettrai plus, murmurai-je. Je ne tendrai plus l'autre joue lorsque tu porteras un coup. Que crois-tu que ton cher papa dise quand il verra que tu es incapable de discipliner ce qui t'appartient ?

Jaxen ne tiqua pas. Son visage resta lisse, impassible.

— Tu ne crains plus les coups de ceinture, Greer chérie ?

— S'il faut ça pour que je me détache de ton emprise malsaine, alors qu'on m'arrache la peau, qu'on m'écartèle jusqu'à ce que j'en crève.

Une étincèle dans ses yeux.

Les prémices d'un doute ? D'une peur cachée ?

— Je ne serais plus la marionnette de tes désirs, de ta colère refoulée. Une fois ta bague au doigt, si je dois tomber, tu tomberas avec moi.

Le silence.

Avant que les doigts de Jaxen ne caressent ma joue. Un toucher léger, presque agréable.

— On entame un nouveau jeu alors ?

— Celui-ci, j'escompte bien le gagner.

Une promesse, scellée.

Les gens applaudirent avant même que Jaxen ne parle. Ne fasse sa demande.

Il jouait bien son rôle de garçon transi d'amour.

Un oui tremblotant m'échappa et lorsqu'il glissa la bague à mon doigt, je ne vis plus que ça. Ce bijou. Ce lien.

Cette cage.

Il m'embrassa à pleine bouche, me fit tournoyer dans les airs. Je ris, ris, ris jusqu'à avoir du papier de verre dans la gorge.

Je m'agrippai à ses épaules, fort, pour lui faire mal.

Nous dansâmes et je cherchai Alby du regard. Je ne le vis nulle part. Adrian leva son verre dans ma direction, un sourire étrange aux lèvres.

Nos parents vinrent nous féliciter. Des embrassades, des rires, de la joie.

Conneries.

J'avais chaud, évitai l'alcool. Mon monde tanguait dangereusement même sans ça. Les gens nous félicitèrent de toute part. J'avais la tête qui tournait et besoin de m'asseoir. Besoin de faire une pause.

Besoin de...

Mes pieds se prirent dans un obstacle et Adrian se matérialisa à mes côtés avant que je ne m'étale devant la salle entière. L'heure qu'il était, je n'en avais aucune idée.

— Attention, souffla mon sauveur.

Son souffle chaud passa sur ma joue.

— Des félicitations sont de mises, je crois.

— Je peux m'en passer.

Il rit. J'eus à peine conscience qu'il m'entraînait pour danser. Du mouvement dans la salle m'indiqua que les convives commençaient à partir. Mais pas tous.

— Cette danse vaut-elle ce que vous étiez prêt à mettre dedans ?

J'appréciai la compagnie d'Adrian, aussi étrange que cela puisse paraître. Il dégageait quelque chose de terriblement rassurant.

— Ce n'est pas la danse qui compte, mais la cavalière.

— Ces hommes qui pensent pouvoir acheter une belle femme juste parce qu'ils en ont envie...

Il rit. Un vrai rire, qui ne sonnait pas faux, surjoué.

— En réalité, je voulais juste embêter votre fiancé. Il n'est pas du genre à aimer perdre, n'est-ce pas ?

Je le laissai me conduire, mon corps étonnamment à l'aise entre ses mains. Il savait mener la danse, sans aucun doute.

— Pourquoi avoir accepté ? demanda alors Adrian.

Il fallait croire que nos masques ne le leurraient pas.

— Pour mieux lui damner le pion le moment venu.

Lentement, la danse cessa. Adrian recula d'un pas, sans lâcher ma main qu'il porta d'ailleurs à ses lèvres. Je sentis à peine ces dernières.

— Bonne fin de soirée, Greer. À très bientôt.

Et il s'éloigna, le dos droit, se perdant dans la foule. Je tournai sur moi-même. Certains convives se dirigeaient vers un coin de la scène pour déposer leur chèque, déjà rempli et signer. D'autres marchaient vers la sortie de la salle, sans se presser. Je crus apercevoir un carton dans les mains de quelqu'un, sans savoir de quoi il s'agissait.

Je voulais trouver Alby. Se pouvait-il qu'il soit déjà parti ? Je discernai son père, un peu plus loin, ainsi que d'autres pièces de l'Échiquier. Le père de Jaxen avait-il prévu autre chose pour la fin de soirée ?

Je ne trouvai même pas mes propres parents.

Une main s'enroula autour de mon avant-bras.

— Il est temps de rentrer, chère fiancée.

Je me dégageais de la prise de Jaxen.

— Rentre si tu veux, je partirai quand je l'aurai décidé.

Je le plantai, n'ayant aucune envie de passer une minute de plus avec lui. Je crus discerner le dos d'Alby, qui tournait dans le couloir pour prendre la direction des toilettes. Aux tables, il restait quelques personnes. Des gens qui s'attardaient, qui finissaient leur verre, qui riaient.

Je retournai à notre table, ayant trop mal aux pieds pour courir après Alby. Dans le hall, les convives récupéraient manteaux et affaires avant de quitter l'immeuble. Bientôt, il ne resta plus tant de monde que ça. Je me servis un verre d'eau, profitant de ce calme pour retirer mes chaussures. Un bruit attira mon attention au moment où les portes de la salle se refermaient. Je soufflai, la peau moite, me demandant s'il fallait que je trouve ma mère ou au moins notre chauffeur pour rentrer. Je ne verrais pas plus Alby.

Tant pis.

Je me penchai pour attraper mes chaussures et les remettre lorsqu'un homme se matérialisa à mes côtés.

Alistair Cornwell.

— Mademoiselle McCray, me salua-t-il d'une voix blanche, froide.

Il était encore ici ?

— Bonsoir, dis-je, pas très sûre de son approche à mon encontre.

— Votre père et celui de votre fiancé n'ont pas lésiné sur les moyens pour cette vente de charité.

Je le regardai. Que voulait-il que je réponde au juste ?

— J'ignore quel était le but de mon invitation, surtout en sachant que je cherche à faire tomber des hommes corrompus et que...

Un homme s'approcha de notre table, si discret que je le vis à peine. Il sourit, se pencha en avant et sembla fouiller de la main sous la table.

Là, il en sortit non plus quelque chose qui aurait pu tomber, mais une arme.

Une arme à feu.

Cornwell sembla aussi surpris que moi.

Le moment sembla s'étirer, irréaliste.

Un coup de feu résonna dans la salle, suivie d'un cri perçant.

L'adrénaline explosa. L'homme à côté de nous souriait toujours. Cornwell me retint par le bras. Il allait dire quelque chose, mais du sang gicla entre nous. Le poids de son corps m'entraîna dans sa chute et je n'entendis plus que les battements de mon cœur.

Des coups de feu.

Des coups de feu.

Du sang sur ma robe, sur mon visage. Du sang, du sangdusangdusangdusang.

Et l'homme, juste à côté, qui venait de sortir une arme à feu de sous la table.

Mon souffle vrilla mes oreilles. Je ne parvenais plus à respirer correctement. Je réussis à ramper jusqu'à une autre table, pour y découvrir une femme qui s'accrochait à son châle comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage.

Un cri.

Un coup de feu.

Il n'y avait aucune réplique, personne pour lutter.

Parce qu'il ne restait quasiment personne dans cette salle.

Je plaquai une main sur ma bouche, pour m'empêcher de crier, pour m'empêcher de faire du bruit.

Un coup à chaque fois.

Unique.

Ils tuaient les personnes présentes. Toutes, sans exception.

Et j'étais là.

Dans cette salle, la mort rôdant.

Je tremblai, je tremblai et je pleurai, du sang sur moi. La femme face à moi fut alors extirpée de sous la table et un hurlement jaillit de sa gorge avant qu'elle ne se fige totalement. Pour de bon, les yeux écarquillés, la mort dans le regard.

— À ton tour, ma jolie.

Une prise sur mon mollet. Je ruai. Je ruai et hurlai.

L'homme grogna. Je ne vis pas son visage. Ne vis rien.

Mais ressenti une horrible douleur lorsqu'un énième coup retentit. Je cherchai à fuir. À me cacher.

Mais déjà, on me forçait à quitter ma cachette.

J'allais mourir.

J'allais mourir, recouverte du sang d'un autre.

Mourir. Mourir.

J'allais... 

**

On entame les quatre derniers chapitres ❤️

La bise 😘

Taki et Ada'

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