42 - Greer

Je ne cessai de grignoter les peaux autour de mes ongles, ravagée par le stress de n'avoir aucune nouvelle d'Alby. J'avais bien compris qu'un truc clochait et que Jaxen était impliqué, de près ou de loin. Mais personne ne semblait savoir, pas même Kacey qui d'habitude arrivait à trouver n'importe quelle information quand elle y mettait du sien. Personne ne vit Alby de la journée. Pas simplement de la matinée. Non, c'eut été trop simple. Doug semblait particulièrement content de lui, mais je ne me voyais pas franchement aller lui demander pourquoi.

Je n'avais aucune réponse à mes nombreux messages et plus les heures passaient, moins je parvenais à me concentrer.

Je ne tins pas une fois installée à la bibliothèque. Est-ce que quelque chose de grave était arrivé ? Alby aurait trouvé un moyen de m'écrire, de me répondre. Ma jambe tressautait et je me sentais à fleur de peau.

L'affirmation de Jaxen tournoyait.

Étais-je amoureuse d'Alby ?

Jusque-là, je ne m'étais pas vraiment posé la question, peut-être parce que tout était si récent, que c'était arrivé si vite surtout. La semaine durant la pause hivernale, le week-end passé chez lui. Avec la présence imposée de Jaxen dans ma vie, j'évitais de mettre les autres en danger. Kacey avait toujours été l'exception. Alby ? Il fallait croire que lui aussi. Pour le meilleur et pour le pire. Souvent on rencontrait des gens au mauvais moment de notre existence et on passait à côté de la relation de notre vie. Et parfois cette personne entrait sans prévenir, sans s'inviter non plus. Pour ne plus jamais repartir.

Oui, peut-être que j'étais amoureuse d'Alby sans trop savoir pourquoi. Fallait-il une raison ? Une explication ?

Je craignais l'amour, parce que c'était lui qui avait fait de ma vie un enfer. Aimer parfois était plus destructeur que salvateur. Je ne pouvais pas l'oublier. De toute façon Jaxen se faisait un devoir de me le rappeler, jour après jour. Je n'avais aucun intérêt à afficher une telle faiblesse aux yeux de mes ennemis. Parce que je finirais par le payer, par un moyen ou un autre.

J'évitai la case cafétéria en fin de journée, me faisant un sang d'encre pour un garçon qui prenait trop de place dans ma vie.

Là où avant j'aurais rasé les murs en cherchant à fuir Jaxen et sa bande, je me retrouvai à vouloir prendre mon envol, m'affranchir des chaînes qui me retenaient au sol. Mais je savais que rien n'était plus terrible que l'espoir et l'idée de liberté.

Après les révélations sur l'Échiquier et l'implication de nos pères respectifs, j'avais conscience que rien n'était simple, que ma liberté aurait un prix, sans encore savoir ce que je devrais abandonner pour ça.

Pour autant, j'y croyais.

J'étais jeune. Je pouvais espérer. Rêver. Non ?

— Tu es sûre que ça va ? me demanda pour la millième fois Kacey.

— Je n'ai aucune nouvelle d'Alby. Rien, pas un seul message.

Je tenais mon téléphone, incapable de le lâcher, craignant trop de louper un message, une seule notification. Kacey soupira :

— Il est peut-être parti, dit-elle.

— Parti ? Où ça ?

— Chez lui, Greer. Tu sais... il est peut-être premier du classement, mais il n'est pas vraiment comme... nous.

Elle ne pouvait pas plus se tromper. Je n'avais aucune envie de polémiquer avec elle sur le sujet alors préférai me lever et partir. Elle ne me retint pas, parce que son point de vue l'intéressait plus que la vérité. Je ne lui en tenais pas rigueur. Kacey faisait face avec moi depuis des années, sans faiblir, sans chercher à m'abandonner. Elle ne savait pas grand-chose d'Alby ou même de l'Échiquier et, d'une certaine manière, je l'enviais. J'enviais sa naïveté, bien plus encore son ignorance, même si parfois j'avais envie de la secouer pour qu'elle m'écoute, qu'elle m'entende surtout. Aucune amitié n'était parfaite.

Je quittai les dortoirs sans trop savoir où j'allais, mais j'avais besoin d'espace, d'air, de silence.

Mon téléphone vibra dans ma main et je me jetai littéralement dessus pour découvrir un message d'un numéro inconnu.

Quelques mots.

Il va bien.

Je fronçai les sourcils. Il ? Alby ?

— Greer.

Je levai la tête pour le trouver devant moi, sa capuche relevée sur son crâne. Toute mon inquiétude disparut dans la seconde et je fondis dans sa direction pour qu'il referme ses bras autour de moi. Rien n'était cohérent lorsque j'étais avec Alby. Tout me dépassait, plus fort que moi, plus fort que ma raison.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? soufflai-je.

Son odeur m'apaisa plus que des mots.

— J'ai été drogué.

La surprise me fit le repousser, pour être sûre de lire la vérité dans ses yeux. Pourquoi mentirait-il de toute façon ?

La tolérance de l'académie question consommation de stupéfiants était connue de tous : un seul faux pas et c'était le renvoi automatique, sans passer par la case explication. Bon sang.

Jaxen ? Il voulait voir Alby dégager à ce point ? Non. Sinon pourquoi me proposer un marché ? Ça n'avait aucun sens.

— J'ai demandé une faveur et... monsieur Landy m'a sorti de ce mauvais pas.

Le professeur d'informatique ? Qu'est-ce qu'il venait faire dans l'histoire ?

— Une faveur ? À celui qui t'a aidé à effacer la vidéo ?

Alby hocha la tête.

— C'était ça ou le renvoi.

Je passai une main dans mes cheveux.

— Ça va trop loin, soufflai-je. Tu aurais pu risquer gros sur ce coup-là. C'est...

— Je sais. Mais je ne vais pas me laisser faire. Hors de question qu'on me pousse vers la sortie.

Il paraissait si sûr de lui, si déterminé.

— Ça va aller, OK ?

— Tu n'en sais rien, paniquai-je, à deux doigts de fondre en larmes. Tu avais raison, on n'aurait jamais dû passer du temps ensemble et... et...

Il m'embrassa.

Pas pour me faire taire, mais pour me montrer que nous n'en étions plus là. Que maintenant, il n'y avait pas vraiment de retour en arrière possible, qu'on le veille ou non.

Nous étions dans le même bateau.

Le retour à la maison familial s'apparenta à un retour à la réalité. L'académie ne rechigna pas à nous laisser partir dans l'optique de participer au gala de charité. Une demande qui devait venir du Roi, ce qui prouvait que Riverview était impliqué dans cette partie, sans aucune surprise. Le chauffeur tenta de faire la conversation, mais j'avais la gorge trop nouée pour répondre. Je savais très bien ce que j'allais subir, m'y préparais mentalement. Je regrettai déjà les murs de Riverview. La présence d'Alby surtout. Il avait rejoint son père directement à New York d'après ce que j'avais compris, ce qui faisait qu'il n'était pas si loin de moi que ça. Le gala se déroulant ici, nombreux étaient les « amis » de mon père à s'être déjà déplacés. Les festivités promettaient de réunir du bon monde, quand bien même je n'en avais foutrement rien à faire. Personne ne me demandait mon avis, alors comme à mon habitude, je devrais enfiler mon masque et subir. Cette fois serait sûrement la plus difficile de toutes. Parce que je me sentais différente. Je ne souhaitais plus être la bonne petite Greer McCray. Plus maintenant.

Mais lorsque je gravis les marches de la villa pour découvrir ma mère qui m'attendait, je sus que ce ne serait pas facile. Dans sa main, un mètre pour mesurer le tour de taille ; son arme préférée avec la baguette. Je pouvais au moins m'estimer chanceuse sur ce point.

J'ouvris la bouche, prête à saluer ma génitrice, mais sa gifle m'en dissuada. Forcément. Ma joue me brûla, les larmes montèrent. Je ne bronchais pas. On ne répondait pas à Elizabeth McCray.

Pas un mot plus haut que l'autre, pas une seule tentative de rébellion. Jamais.

— Tu es une honte, Greer. Te rendre chez un garçon ? Tu imagines ce que ton comportement signifie pour Jaxen ? Pour ton père et moi ?

Elle agrippa mon bras de sa main libre pour me tirer à l'intérieur. Là, dans le hall, elle passa le mètre autour de mes hanches avant de le remonter.

— Et tu t'empiffres en plus de ça ?

Deuxième gifle. Mes affaires m'attendaient encore dans la voiture.

Ce fut l'attaque de trop.

— Tu te fou royalement de ce que je fais d'habitude, alors qu'est-ce qui te dérange, mère ? Que tout le monde sache que ta fille est une traînée ?

Mon père se racla la gorge à ce moment exact. Il était là ? À cette heure ? De la sueur roula sur ma peau et ma bouche s'assécha dans la seconde.

Mon corps se mit à trembler. Je ne voulais pas qu'il utilise la ceinture, je ne... Je me mordis l'intérieur de la bouche jusqu'à avoir le goût métallique du sang sur ma langue.

La peur me tétanisait, preuve suffisante que mes envies de liberté n'étaient qu'un fantasme qui ne deviendrait jamais réalité.

— Dans mon bureau.

— Je n'ai pas fini avec...

— J'ai dit : dans mon bureau.

Ma mère se tut. Je déglutis pour suivre mon père dans son antre. La porte se referma derrière lui et j'attendis. J'attendis qu'il me demande de baisser mon jean, j'attendis un son qui ne vint pas.

— Tu me mets dans une très mauvaise position, ma chérie. Te rapprocher de Thaddeus Cooper ne sert aucun de mes intérêts et va faire penser à ta belle famille que tu te fiches de tes engagements. Est-ce le cas, Greer ? Tu ficherais-tu du garçon que nous avons choisi pour toi ? Ta mère est dans tous ses états. La pauvre. Tu as pensé à elle ne serait-ce qu'une minute ?

Dans une autre vie, dans un autre univers, aurais-je pu enfin faire entendre ma voix ? C'était quelque chose que je ne saurais jamais.

— Tu es jeune, c'est normal que tu t'intéresses à d'autres garçons, mais une fois le gala passé, je ne veux plus entendre parler de Thaddeus Cooper, je suis clair ?

— Oui, père.

— Va te changer, nous avons du monde avec nous ce soir.

Je trouvai mon sac aux pieds des escaliers. Je le saisis avant d'aller m'enfermer dans ma chambre. Je tremblai, incapable de tenir quelque chose. Je fis les cent pas, cherchant mon souffle.

Je finis par me figer, le souffle erratique, les larmes au bord des yeux.

Je remplis mon rôle de parfaite fille unique toute la soirée. Souriant, mangeant à peine. Mon père ne cessa de me féliciter devant ses invités avant de me renvoyer dans ma chambre. Je trouvai plusieurs messages d'Alby et lui répondis sans attendre. Je retirai ma robe pour enfiler un pyjama et lorsque mon téléphone sonna pour m'indiquer un appel entrant, je pris bien soin de m'enfermer dans ma salle de bain.

— Hey, soufflai-je. Comment c'est, de ton côté ?

Je l'entendis qui fermait une porte lui aussi, pour se couper des autres.

— Je crois que je préfère encore subir Jax et sa bande que les histoires de gang.

J'eus un drôle de sourire qu'il ne vit pas.

— Tu crois... qu'on pourrait se voir demain ? Dans un café ou quelque chose comme ça.

Si j'évoquai une séance shopping, ma mère ne m'arrêterait pas. Et je le savais trop occupé pour m'accompagner. Pas la peine de parler de mon père ; une fois ici, il se fichait bien de mes allées et venues.

— Je peux m'arranger, répondit Alby.

— Juste t'arranger ?

Il rit et ce son me fit du bien. Tellement, tellement de bien.

— Je te laisse trouver le lieu. Tu as mangé ?

Question piège sous le toit de mes parents.

— Suffisamment.

— Greer...

— Ça va, je t'assure.

— Si tu le dis...

Je m'appuyai contre la porte, assise par terre. Devais-je lui dire pour la demande de Jaxen ? Je n'en savais rien.

— Je vais devoir y aller, mon père m'attend, soupira Alby.

— On se voit demain, hein ?

— Promis.

Comme prévu, ma mère ne broncha pas lorsque je lui annonçai le programme de mon samedi après-midi. Elle me dit même de m'amuser et de me faire plaisir. Je demandai donc à notre chauffeur de me déposer en ville et lui indiquait que je l'appellerais lorsque j'aurais terminé. Alby me prévint qu'il décollait et qu'il serait sûrement là avant moi. Nous devions nous retrouver dans un café en plein cœur de New York, là où il y avait toujours du monde et où personne ne risquait de venir me chercher, si tant est que ma sortie intéresse suffisamment mon père.

Je découvris Alby juché sur un tabouret, la carte du lieu entre les mains. Nous étions sur une chaine équivalente à Starbucks, mais en un peu plus développées. Il me sentit et me trouva sans souci. Son sourire fit chavirer mon cœur. Il m'embrassa lorsque j'arrivai à son niveau et je m'installai en face de lui, nos genoux ne cessant de s'effleurer sous la table haute. Il y avait un monde fou et donc un brouhaha de tous les diables. Alby me demanda ce que je voulais et j'optai pour un Macchiato. Il disparut donc à la caisse pour passer commande et revint, sans surprise avec de quoi grignoter.

Nous étions vraiment entre deux mondes : celui de Riverview et celui de nos vies respectives. Et parce que le diable aimait s'inviter dans les moments les plus inopportuns, découvrir Jaxen, debout à côté d'Alby, ne fut pas complètement un coup de théâtre.

— Mais quelle surprise !

Jaxen savait feindre cette dernière à la perfection.

M'avait-il fait suivre ? Ou Alby ?

Un clin d'œil dans ma direction, un sourire à Alby.

Le petit roi entrait en jeu. 

**

On se lance dans la dernière partie 😎👌

Jaxen toujours la où on l'attends pas 😆😆

La bise 😘

Taki et Ada'

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