38 - Greer

— Pas grand-chose j'imagine, répondis-je avec un haussement d'épaules.

Cette chambre-là était bien différente de celle chez les parents d'Alby. Je notais aussi que l'école lui avait donné la plus petite, pour bien lui faire comprendre qu'il n'était qu'un boursier ? Sûrement.

— Je sais que c'est le père de Jaxen qui contrôle tout. Les soirées ne sont que des prétextes pour réunir tout le monde. C'est souvent chez les Ross ou chez moi. Mon père doit jouer un rôle dans tout ça, sinon pourquoi vouloir être à ce point dans les bonnes grâces de Colton Ross ?

Je faisais les cent pas. Ça m'aidait à réfléchir, à ordonner mes pensées. J'avais la sensation d'être dans un jeu vidéo, dans un livre où la réalité flirtait de trop près avec l'imaginaire. L'Échiquier... une sorte de mafia moderne ? D'organisation secrète qui contrôlait le pays ?

Je me tournai vers Alby, qui attendait que je lui dise tout ce que je savais.

— Ton père en fait partie aussi. Ronin en est aussi, mais pas Cornwell. Lui, c'est quelqu'un qui peut mettre des bâtons dans les roues des politiques. Mon père ne l'estime pas beaucoup, sûrement parce que c'est une menace.

Lors des soirées où je devais me tenir aux côtés de Jaxen, j'avais appris à être attentive, à écouter les conversations pour saisir n'importe quels détails. Jusque-là, j'avais juste tout enfermé dans une boîte, pas sûre que ça me servirait, mais pas décidée à tout jeter non plus. J'évoluais dans une drôle de sphère depuis ma naissance.

Celle où les apparences n'étaient jamais ce qu'elles semblaient être et où les secrets côtoyaient les grands de ce monde. Les jeux de la politique. C'était forcément une question de pouvoir et d'argent.

— Chaque personne que tu as pu rencontrer lors de ces soirées est une pièce de l'Échiquier, avec un rôle qui lui est attribué, m'apprit Alby, une fesse contre son bureau, les bras croisés.

— Tu veux dire comme le roi ou la tour ?

Il hocha la tête, très sérieux quand je pensais qu'il s'amusait de moi. Mais ce n'était pas le genre d'Alby. Alors je savais qu'il disait la vérité.

— Colton Ross est le Roi. Toutes les autres pièces doivent lui rendre des comptes. Les identités de certaines pièces sont tenues secrètes, mais pas celles des Pions. Ton père fait partie de ces derniers. Il gère les questions juridiques de l'Échiquier et tout le monde s'attache à dire qu'il à un lien privilégié avec le Roi. Les Pions sont plus facilement remplaçables que les autres pièces.

— Ton père est un Pion lui aussi ?

— Il gère un gang, une main-d'œuvre essentielle pour le Roi. Un autre Pion gère le blanchiment d'argent quand un autre s'occupe de trafics plus... particuliers.

— De quel genre ?

— Trafic humain.

De la bile acide remonta mon œsophage. Il y avait quelque chose d'agréable à ne rien savoir, à garder des œillères toute sa vie. Surtout pour découvrir une pareille vérité. Je savais que mon père trempait dans beaucoup d'affaires sordides, mais du trafic d'êtres humains ? Cette idée même me rendait malade. Je ne regrettai pas de n'avoir rien avalé depuis ce midi. Je frottai ma paume contre ma nuque.

— Et nos rôles à nous dans tout ça ? soufflai-je, la gorge serrée.

Alby s'approcha, voyant sûrement que j'étais à deux doigts de m'effondrer. Composer avec le comportement de Jaxen, je pouvais le faire, mais ingérer un tel degré d'informations ? Je n'étais pas sûre d'y parvenir sans y laisser quelques plumes. Ou sans échapper à la cuvette pour rendre un dîner inexistant.

Bon sang !

— Qu'on le veuille ou non, on est impliqué. Parce que nos pères sont des rouages de l'engrenage. Nous sommes tributaires de leurs décisions. De la vision qu'ils ont de notre avenir.

Mes prochaines fiançailles avec Jaxen n'étaient donc qu'une façon de cimenter une alliance entre mon père et le sien.

Entre le Roi et l'un de ses Pions.

Là, maintenant tout de suite, je ne me sentais pas de me retrouver une nouvelle fois parmi des gens qui s'adonnaient à des trafics qui dépassaient notre humanité.

— Tu es toute pâle.

Les doigts d'Alby effleurèrent ma joue. Je me sentais glacée jusque dans mes os.

— Je savais que mon père était un tordu, mais pas à ce point-là.

Est-ce que l'aigreur dans ma bouche finirait par partir ? Est-ce que ma naissance ne répondait qu'à un but de mes parents ? De mon père ?

— Est-ce que... est-ce que je peux dormir avec toi ? Je... Jaxen a la clé de ma chambre et je...

— La clé de ta chambre ?

La voix d'Alby trancha l'air.

— Je savais qu'il était revenu parce qu'il... qu'il est venu me voir.

Dans ta chambre ?

Je hochai la tête, le cœur au bord des lèvres.

— Je ne voulais pas te le dire, surtout pas après que tu sois entré par effraction dans la sienne. Qu'est-ce que tu vas faire s'il le découvre ?

— Tout ce qu'il faudra. Il va falloir qu'on s'occupe de ta serrure. En attendant, il faut que tu dormes un peu.

Oui. Mais épuisée comme je l'étais, je n'étais pas sûre de trouver le sommeil. Je bazardai mes chaussures et grimpai dans le lit d'Alby sans attendre. Les draps portaient son odeur et ça me fit du bien. Ici, j'avais l'illusion d'être en sécurité, loin des machinations de Jax, loin de celles de mon père. Mais qu'en était-il de celui d'Alby ?

Ce dernier se glissa à mes côtés et m'attira sur son torse.

— Demain, plus personne n'entendra parler de cette sex tape, je te le promets.

Je savais pouvoir le croire. Et ça me suffit pour plonger dans un sommeil de plomb, rythmé par les battements du cœur d'Alby.

La disparition de la sex tape ne sembla pas faire réagir plus que ça. Ce fut Kacey qui m'en parla la première et qui me demanda si j'avais quelque chose à voir là-dedans, où s'il s'agissait d'Alby. Je ne répondis rien. Je ne voulais pas le mettre plus en danger qu'il ne l'était déjà. Je savais, je savais que son intrusion dans la chambre de Jaxen ne resterait pas impunie, mais Alby n'était pas vraiment du genre à écouter. Maintenant cette épée de Damoclès effacée, je m'interrogeai sur le prochain coup de Jaxen. Il n'allait certainement pas laisser passer ça. Mais je ne pouvais pas concentrer toute mon attention sur lui pour découvrir ce qu'il manigançait. Je n'oubliais pas les cours, pas plus que le classement. Ce qui paraissait si trivial quand on savait dans quoi nos familles trempaient.

Je repensai à cet Adrian, lors de la dernière soirée. Faisait-il lui aussi partie de l'Échiquier ?

Je n'arrivai plus à regarder mes camarades sans m'interroger. Combien savaient ? Combien subissaient la même chose que moi ?

Je reposai mon plateau et quittai la cafétéria avant de reprendre la direction des dortoirs. Kacey bossait avec son groupe de travail pour la soirée, ce qui me laissait tranquille pour quelques heures. Je refermai la porte derrière moi et découvris une enveloppe noire posée sur mon lit. Il n'y avait que mon nom et prénom dessus, rien sur un éventuel expéditeur.

Je m'avançai, la décachetai et découvris deux cartons d'invitation à l'intérieur. Le premier indiquait la date et le lieu où se tiendrait un gala. Une adresse huppée pour un lieu féérique.

Sur le deuxième, on m'indiquait que pour récolter des fonds au profit d'une association écran – quoi d'autre sinon ? – je serais mise aux enchères avec d'autres jeunes femmes lors de la soirée.

Mauvais remake de fifty shades...

Je balançai les cartons sur mon bureau avec cette impression d'avoir perdu une part de mon innocence. Ou du moins ce qu'il en restait jusque-là. Impossible à expliquer, mais la sensation de cette perte se logea partout.

Je frottai mes poignets.

Maintenant, je ne pouvais plus faire semblant.

Maintenant, je connaissais une partie de la vérité, sans savoir encore que ce n'était que la partie immergée de l'iceberg. 

**

On se dirige tout doucement vers la fin ❤️ cette soirée sera l'apogée du tome 1 😎

Que va bien pouvoir faire jaxen pour se venger d'Alby ? 😳😳

La bise 😘

Taki et Ada'

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