35 - Jaxen

Spencer se redressa sur son lit au moment où la porte de la chambre que nous partagions claqua pour se refermer derrière moi.

Je sentis son regard suivre mes pas, jaugeant ma personne d'une œillade experte. Il était habitué à mes allées et venues. De celles qui me tenaient éloigner de Riverview des semaines durant. Il ne m'interrogeait jamais à ce sujet, parce qu'il savait, enfin, en partie. Ce qui le rendait à la fois utile et, d'une certaine façon, dangereux. Mais s'il y avait bien quelqu'un sur qui je pouvais compter, c'était sur le cousin de notre Fou. Ce dernier chérissait la famille à un niveau qui me dépassait, mais que je respectais.

— Tu as loupé pas mal de trucs, m'apprit-il.

Je bazardai mon sac sur mon matelas et expirai un long soupir, pas mécontent d'être de retour. Je venais à peine de raccrocher avec le paternel, ce qui me mettait, sans surprise, d'une humeur de dogue. Je savais par avance que les nouvelles de Spenc ne me donneraient pas le sourire, bien au contraire.

Je détestais rester loin de l'académie trop longtemps ; certains prenaient trop de libertés. Pas bon pour les affaires. Les miennes et par extension, celle de mon père.

— Doug a pris une petite dérouillée par le nouveau. Rien de méchant. Ce dernier a écopé de travaux d'intérêt généraux.

Alby faisait donc partie des abrutis à profiter que la laisse se relâchait ? Pas si malin le boursier.

— Lui et Greer reviennent d'un week-end passé chez lui. Et ils traînent ensemble depuis ton départ.

Spencer se faisait un devoir de m'annoncer tous les petits changements, tout ce qui sortait de l'ordinaire. Il prenait son rôle très au sérieux. Il suffisait donc que je parte quelques semaines pour que Greer pense s'en sortir. Je savais très bien où elle avait passée le week-end, et ce, bien avant que Spencer ne me l'annonce à l'instant. Mon père se voyait mis au courant de tout. Et lorsque c'était à lui de m'apprendre les choses, je pouvais déjà prédire que les répercussions ne seraient pas belles à voir.

J'attrapai une serviette et de quoi me fringuer après ma douche. Spencer me regarda quitter la chambre, la mâchoire tendue. Il me préférait loquace.

Je traversai les couloirs, déserts à cette heure ; il n'était pas loin de minuit. Les parties communes ne laissaient résonner aucun bruit, hormis le ploc d'un tuyau qui laissait s'échapper des gouttes d'eau par intermittence. Ce silence me fit du bien après les derniers jours. Même si j'abhorrai Riverview, ça restait mon endroit sûr. Enfin, jusqu'à un certain point. Trop de personnes étaient les pions de mon père, même ici, pour que je dorme sur mes deux oreilles. Un jeu de pouvoir constant. Me laisser croire que j'avais main mise sur l'académie n'était qu'une stratégie du paternel pour me contrôler. Il ne laissait rien au hasard, encore moins son unique fils. Qu'il aille au diable.

Je trouvai les lumières allumées dans la pièce et la porte d'une cabine s'ouvrit à ce moment-là sur Alby. Il cacha très bien sa surprise de me trouver là après mon absence. Une serviette autour des hanches, il choisit de la jouer cool. Il s'avança vers ses affaires, laissées sur l'un des bancs. J'y posai les miennes et me déshabillai sans empressement.

Les bleus sur le côté gauche de mon corps ne lui échappèrent pas. Un véritable tableau d'ecchymoses de toutes les teintes, de toutes les nuances. Elles me faisaient un mal de chien, et ce, au moindre geste. Lever les bras pour retirer mon t-shirt me força à retenir un grognement qui n'aurait fait qu'indiquer une faiblesse à mon ennemi. Je n'avais pas eu l'intention de le considérer comme tel au départ, mais avouons-le, Alby ne m'aidait pas beaucoup. Il aurait dû m'écouter dès le départ, se la jouer bon petit toutou, un mouton qui suivait les ordres. Ou, à défaut raser les murs et fermer sa gueule. Mais non, il y avait de ces gens qui ne savaient pas écouter ce qu'on leur disait, même pour leur propre bien.

J'actionnai l'eau une fois sous le jet et fermai les yeux, pour me laisser le temps de me détendre. J'entendis clairement Alby partir, ne resta alors plus que moi.

Je traînai un moment, content de me trouver là, sans personne pour me faire chier. Mes muscles restèrent bandés, comme si j'étais prêt à attaquer, à sauter à la gorge du premier venu. Une sorte de déformation me concernant. Je baignai dans le sang depuis que mon père en avait décidé ainsi.

On forgeait une arme à son image, pour quelle soit mortelle et infaillible. Je me faisais néanmoins plus l'effet d'un pantin que d'un instrument létal. Une poupée de chiffons qui réagissait aux ordres et à rien d'autre. Mon père était un artiste. Pas le meilleur dans son domaine, mais celui qu'on avait placé au-dessus des autres, ce qui faisait à faire de son règne la parole de tous. Ou presque.

Sinon un Pion ne serait pas mort sans autre sentence qu'un couperet.

Eau coupée, serviette en boule par terre, je passai mon pull dans une grimace désagréable. La fatigue rendait chacun de mes mouvements plus difficiles, mais je pressentais que je n'arriverais pas à dormir. Pas tout de suite en tout cas. Il n'était pas rare que je fasse une nuit blanche lorsque je revenais à Riverview. Impossible pour moi de fermer les yeux et de me laisser aller.

— Tu ne vas rien dire ?

Spencer ne dormait pas. Assis sur son lit, il attendait que je bronche. Il me connaissait pourtant mieux que ça. Les problèmes inhérents à mon absence, je les règlerai demain. Même si quelque chose me disait que le petit boursier ne me laisserait pas faire. Il pourrait vite s'avérer bien plus dangereux que prévu. Il était le fils d'un Pion très utile à mon père. Loyal ? Qui l'était vraiment ?

J'attrapai une clé camouflée dans un de mes tiroirs et me barrai une nouvelle fois ; rien à foutre de Spencer.

L'air glacial de cette nuit me heurta de plein fouet et mon souffle se transforma en de la buée épaisse, presque compacte. Je me faufilai sans aucun mal dans le dortoir des filles, personne dans les couloirs pour surveiller. Le moment idéal pour faire le mur ou pour s'amuser à braver les interdits. Je grimpai les marches quatre à quatre, l'extrémité des doigts glacée. Mon ombre se trouvait projetée sur les murs, unique témoin de ma présence. Il régnait, ici aussi, un calme appréciable. Qui accompagnait chacun de mes pas, qui habillait chacune de mes inspirations. Je m'arrêtai devant une porte et y insérai la clé. Je refermai derrière moi et avisai le lit désert de Kacey. Elle faisait donc partie de ceux qui faisaient si facilement le mur. Une veilleuse – pas vraiment le même genre qu'on trouvait dans la chambre des enfants – apportait une lumière un peu tamisée à l'espace. Dans le second lit, la forme de Greer, dont la couette recouvrait presque sa tête. Elle semblait en position fœtale, aucune partie de son corps ne dépassant de la chaleur de son cocon. Sans un bruit, je m'avançai vers elle d'un pas tranquille, pas inquiet que Kacey rentre à ce moment-là. Elle devait se trouver avec Vaughn, qui aimait dépeindre les exploits sexuels de la jeune femme.

Lentement, je m'assis sur le bord du lit, dont le matelas s'affaissa un peu plus sous mon poids. Greer grommela dans son sommeil, mais ne bougea pas d'un iota, pas plus qu'elle ne sembla se réveiller.

Il avait suffi qu'Alby lui montre de l'intérêt pour qu'elle pense pouvoir s'affranchir de son rôle, qu'elle pense pouvoir se dépouiller de son costume.

Idiote.

Elle me mettait dans une colère sans nom, ravivant les braises d'un feu dormant, mais pas étouffé.

Je gardais ce ressentiment en moi, pas encore prêt à tout lâcher. Mais ça n'allait pas tarder. Parce que dans ce jeu des plus malsains, Greer devait rester la poupée que je faisais tournoyer, celle que je faisais danser jusqu'à l'épuisement.

Mes doigts effleurèrent sa tempe et ce fut comme un électrochoc pour elle. Son corps tout entier se tendit, dans l'expectative d'un coup qui ne vint pas, mais qui flottait dans l'air. Étais-je capable de la frapper ?

Ses yeux me trouvèrent en une fraction de seconde et mon sourire fut celui du fils de Satan en personne.

Je marchais dans les pas de Lucifer, bras droit d'un Ange Déchu.

— J'espère que tu faisais de beaux rêves, Greer chérie.

Elle ne bougea pas, respira à peine. Le danger courrait sur sa peau, allumait toutes ses terminaisons nerveuses en autant de fanions de danger que nécessaire.

— Qu'est-ce que tu...

Elle coula un regard en direction du lit de sa colocataire et compris que l'absence de Kacey jouait en ma faveur.

— Dis-moi, depuis quand es-tu devenue une petite idiote écervelée ?

Elle frappa mon bras du dos de sa main pour me forcer à reculer.

— Sors de ma chambre, Jaxen.

Mes yeux brulèrent de colère.

Mon sang se transforma en de la lave en fusion qui lécha mon épiderme. Et laissa des sillons brûlants.

— Tu n'es pourtant pas si bête d'habitude. Aller chez un Pion de ton plein gré ? J'espère au moins qu'Alby a su se montrer tendre avec toi. Pauvre petite chose...

La couette fut repoussée et la gifle de Greer brûla ma joue. Debout l'un en face de l'autre, je la vis exulter. Elle me haïssait si fort, si fort... Je pouvais respirer son aigreur, me gorger de son animosité.

Vas-y, Greer, exècre-moi.

— Qu'est-ce que ça change pour toi ? cingla-t-elle. Que ce soit lui ou un autre ? C'est toi qui as fait de mon corps un jeu sexuel. Toi. Personne d'autre !

Je pouvais lui concéder ce point. Mais sans l'avouer. Aucun aveu de faiblesse. Aucune marque de regret. De remords.

— J'en ai assez de jouer avec tes règles, Jaxen, asséna-t-elle. Assez de faire ce qu'on me demande.

— Parce que tu crois que tu peux tout arrêter simplement parce que tu en as envie ? crachai-je.

— Regarde-moi faire.

Une bravade.

Je la vis en elle, la flamme de sa nouvelle résolution.

Qui n'était que folie. Que pure divagation.

Mes doigts se refermèrent sur son bras trop fin et je l'attirai à moi. Elle résista, sa détermination me brûlant au passage.

Elle brûlait si fort, avec une telle intensité !

Qu'est-ce qui te donne autant d'ardeur ?

Ce sale merdeux ? Maudit sois-tu, Thaddeus Cooper !

— Ce n'est pas nous qui décidons, Greer. Ne fais pas mine de l'ignorer, de l'oublier. Ce n'est pas toi qui décides. Ne laisse pas Alby te mettre des idées dans la tête !

Elle s'extirpa de ma prise et recula de plusieurs pas, se sentant sûrement plus en sécurité loin de moi.

— J'ai le droit de vivre. Et ce n'est pas ça qui te met en colère, n'est-ce pas ?

— Et qu'est-ce que c'est alors ?

Mon cœur pompait tout mon sang, tel un vampire trop vorace, qui n'était pas capable de contrôle.

— Tu ne peux rien faire contre Alby. Tu ne peux pas lui réserver le même sort qu'à Saint. Parce que son père est un Pion. Et parce que papa n'aimerait pas, n'est-ce pas ?

Sa crânerie ne m'échappa pas.

Voilà ce que donnait une Greer qui passait trop de temps avec le petit nouveau ?

Je fondis sur elle, rapide et véloce, ma paume contre sa nuque pour la forcer à ne pas bouger, à ne pas broncher.

Elle aboyait plus qu'elle ne mordait. Parce qu'ici, entre ses murs et après un week-end en compagnie de son sauveur, elle se croyait libérée de toutes entraves. Et je le comprenais. Trop bien, même. Mais je ne pouvais pas lui dire.

Je devais rester dans mon rôle. Ne montrer aucune faiblesse. Parce que moi, je ne pouvais pas oublier.

Son souffle caressa ma peau.

Un toucher qui me fit frémir, qui fit courir la chair de poule sur ma peau.

— Dis-moi, douce Greer, chuchotai-je. Combien de coups de ceinture te vaudras ta petite escapade tu crois ?

Appuyer là où ça faisait mal.

Mettre les doigts dans la plaie pour qu'elle hurle.

Qu'elle abdique.

Qu'elle oublie son idée de rébellion.

— Cinq ? Dix ? Plus encore ?

Elle ne répondit rien, stoïque, immobile. Une véritable statue.

— Parce que si je suis au courant, ton père l'est aussi.

Je reculai de quelques pas. Elle avait les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. Sa détresse nourrit le monstre en moi.

L'abreuva jusqu'à le noyer.

Il grandit, grandit. Mais elle ne pouvait le voir, juste l'imaginer.

J'étais sa bête à elle. Son cauchemar.

Je me gorgeai de l'agonie de Greer. Lente, terrible.

Je m'en nourrissais pour mieux l'accabler, l'acculer.

J'étais le bourreau et la victime.

J'étais le nocher de sa perdition. 

**

Retour en fanfare 😳😳😳

Aaah jaxen... 😂🙄

La bise 😘

Taki et Ada'

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