3 - Jaxen

— Tu ne m'as pas appelé du week-end, pesta Vanessa, une moue qui aurait pu paraître adorable à d'autres, mais pas à moi.

Avachie contre les casiers, elle faisait claquer ses mâchoires sur son chewing-gum, avant de faire éclater une bulle, manie que j'abhorrai au possible. Elle avait détaché ses cheveux, une masse de boucles rousses qui lui descendait dans le dos. Elle portait un foulard autour du cou et sa longueur de jupe ne devait clairement pas figurer dans les règles vestimentaires de l'établissement. Mieux valait qu'elle ne se baisse pas trop, hormis pour que je lui fourre ma queue. Pas le moment.

Son chemisier déboutonné laissait entrevoir la dentelle de sous soutif et quelques mecs de la bande ne se privaient pas de lorgner dessus. Sans déc.

— Il était occupé, répondit Spencer pour moi.

Je le fusillai du regard pour lui faire comprendre que je n'avais pas besoin qu'on parle à ma place. Vanessa arqua un sourcil et soupira. Elle attrapa une mèche de cheveux pour l'enrouler autour de son index et papillonna des cils.

— Tu as pensé à moi au moins ?

Son sourire graveleux ne m'échappa pas. Vanessa ne pensait qu'à deux choses dans une journée ; son maquillage et le sexe. Elle ne manquait pas d'appétit et pas d'envie non plus.

Elle m'occupait. Mais ne comprenait pas encore qu'elle franchissait une limite à m'interroger sur mes occupations lorsque je n'étais plus à Riverview. Je me demandais ce qu'elle foutait ici, avant de me rappeler que sa mère présentait le JT le plus regarder par la population, ce qui faisait d'elle une gosse de riche au même titre que nous tous. D'où notre présence. D'où le fait qu'on se connaissait tous plus ou moins depuis que nous étions gamins.

Certains étaient des amis.

D'autres de simples visages vus et revus dans une foule.

Et il y avait...

— Tu pourrais faire semblant de m'écouter, grinça Vanessa, mécontente, les sourcils froncés, la bouche en cul de poule.

Spencer tenta de l'apaiser, parce que c'était son truc ça. Concilier les envies des uns et des autres. De la bande, il était sûrement le plus gentil, si on pouvait vraiment lui mettre cette étiquette. D'après nos parents, nous n'étions que des petits cons, pour d'autres personnes, j'étais le diable en personne.

— On se voit plus tard, finis-je par dire en me redressant.

Je m'éloignai sans attendre une quelconque réaction de Vanessa. Elle dut en être offusquée. Elle me cassait les couilles, ouais. Les autres m'emboîtèrent le pas, Spencer à mes côtés, sa cravate un peu défaite, les cheveux en bataille et son sourire de petit con.

Il avait une gueule d'ange, ce qui avait tendance à pousser les gens à lui faire confiance. Grossière erreur. Parce que malgré son envie de faire plaisir, il était de loin le pire. Le plus fourbe. Les coups par derrière. Tout lui.

— Si elle devient plus agaçante qu'utile, tu m'expliques ?

Je haussai les épaules, conscient de tous les regards qui convergeaient vers nous. Nous étions des rois ici, tout le monde marchant au pas à notre passage. À quelques exceptions près. Mais le jeu aurait été bien moins drôle sans un peu de révolte. Ou d'ignorance.

Je détestais m'ennuyer, encore plus au bahut. Et les gars autour de moi le savaient parfaitement. Ils trouvaient toujours les pires idées, les meilleurs défis. De quoi me tenir éveillé en quelque sorte.

— Elle m'amuse, avouai-je. Vanessa est la plus obéissante de toutes, tu ne trouves pas ?

Spencer coula un regard dans ma direction. Lui et moi, on était amis depuis le jardin d'enfants. Famille influente, parents démissionnaires au possible, un frangin plongé dans les pires vices et un besoin inconditionnel d'être reconnu.

Un paumé. En quête d'attention, d'admiration.

Il finit par hocher la tête, satisfait de ma réponse. Je glissai mes mains dans mes poches, les yeux rivés sur mes ouailles. Je faisais la pluie et le beau temps, je décidais qui pouvait vivre ou mourir, enfin, à ma mesure. Résultat d'une éducation très particulière. Finalement, le plus ravagé de tous, c'était bel et bien moi.

Nous traversâmes le couloir vitré qui donnait sur la cour intérieure et j'avisai le petit nouveau du coin de l'œil. Que le directeur s'abaisse encore à prendre des boursiers me fascinait. Tout ça pour remplir des quotas. Celui-ci se différenciait des autres cela dit. Je savais qui il était. Alby Cooper. Thaddeus de son vrai prénom. Il ne devait pas beaucoup l'aimé, d'où Alby. Personne ne savait de quel milieu il venait, moi, si. Un petit garçon d'un gangster, pas très reluisant. Pourtant, il était là et tout le monde ne parlait que de lui.

La tâche à effacer.

L'élève à évincer.

Le classement était établi depuis ces deux dernières années. Mieux valait ne pas venir y mettre un coup de pied ; ça passerait très mal. Pas pour moi, mais pour tous les névrosés qui arpentaient l'établissement. Et putain, y en avait un paquet. Sous cachetons, ils faisaient mine de survivre à la pression constante, mais ça leurrait personne. Certains disparaissaient en cours d'année pour ne jamais revenir. D'autres se foutaient en l'air. Littéralement. Riverview explosait les stats niveau tentative de suicide.

Rasoir, pilules, plus qu'à choisir. Sacré slogan, hein ? Pas le meilleur sujet pour en rire, mais cette réalité talonnait pas mal de monde dans le coin. Les parents allaient voir les médecins de famille qui distribuaient des prescriptions à l'œil, pire que la petite pilule bleue pour les plus de cinquante balais.

— Hé, regarde qui va là.

Doug me donna un coup dans le bras. Comme si j'avais besoin de ses yeux pour la repérer. Elle se faufilait parmi la masse, ses cheveux encadrant son visage. Elle aurait presque pu y arriver, si je n'avais pas été aussi alerte. Un sourire titilla mes lèvres et Spencer fit un commentaire que je n'écoutai pas vraiment. Déjà, je me frayai à mon tour dans la nuée de lycéens, pas pour l'intercepter – à quoi bon ? – mais pour être sûr d'arriver à son casier avant elle. Je m'y accolai, bras croisés sur mon torse, l'air paisible, tranquille.

En chasse.

Elle se figea à quelques mètres de là et je vis sa meilleure amie opérer un demi-tour et disparaître. S'afficher avec elle était une chose, se retrouver face à moi une tout autre.

Greer inspira. Sa poitrine se souleva pour se relâcher. Une expiration puissante. Elle serra ses livres contre elle et s'avança, prête à passer un mauvais quart d'heure.

Si peu, ma belle ?

Elle m'ignora avec un flegme délectable, impressionnant. Mais je pouvais voir la tension dans ses épaules, la raideur de sa nuque.

Elle retira son cadenas et ouvris la porte de son casier pour y déposer ses affaires et récupérer celles dont elle aurait besoin pour le reste de la journée.

Je levai un bras pour me saisir d'une de ses mèches, mais elle s'écarta vivant, un éclat d'ire dans le regard, prête à attaquer. Allons...

— J'ai cru, l'espace d'un instant, que tu pensais pouvoir m'ignorer.

Ma voix, un ronronnement. Une menace. Je sentis les mecs s'approcher, se placer non loin de nous, au cas où il prendrait l'envie à Greer de partir avant la fin de notre petite conversation. Je la savais maligne, mais il ne suffisait que d'un instant d'égarement pour que la situation ne lui échappe. Et ce n'était pas ce que nous voulions, n'est-ce pas ?

— Comme si c'était possible. Tu me pourris la vie, cracha-t-elle acerbe, pleine de venin.

Mauvaise journée ?

Je fis mine d'être blessé par ses paroles, une main sur le cœur, ce qui fit ricaner Spencer, le plus proche de nous. Il n'était jamais bien loin. Mon ombre.

— C'est un coup dur, Greer chérie. Tu sais que j'ai beaucoup, beaucoup d'affection pour toi.

Elle ne laissa rien transparaître, pas une once d'émotion. Elle se tenait là, stoïque, aussi courageuse qu'une lionne, aussi stupide qu'un louveteau.

On ne jouait pas avec le feu en pensant ne pas finir brûlé, une règle de base.

— Va en enfer, Jaxen.

La porte de son casier claqua dans l'air et elle remit son cadenas. Elle vibrait de colère, mais c'était subtile. Je la connaissais. Chaque détail, chaque petit signe qui la définissait. Et c'était ce qui l'énervait le plus après tout. Que j'en sache autant, que je sois capable de la percer à jour aussi vite.

— Tu étais plus gentille samedi soir. La vraie fille à sa maman.

Là, dans ses yeux. Je souris.

— On se voit à la cantine ?

— Plutôt crever de faim.

J'éclatai de rire et fit signe aux gars de bouger. C'était sans compter Doug qui déversa sa bouteille d'eau sur la pauvre Greer, un obstacle invisible entre elle et lui. J'avais vu son petit manège bien avant qu'il n'agisse. Rien de très finaud, mais en même temps, on parlait de Doug.

Des rires fusèrent dans le couloir et Greer resta sans bouger, détrempée, son chemiser dévoilant son soutien-gorge.

Les sifflements remplacèrent les rires.

Pas un pour rattraper les autres.

— Est-ce que ta culotte est assortie ? lui demandai-je.

Tout en subtilité.

Elle ne pipa mot, rouge. Elle avait déjà connu pire, alors ça, franchement ? Ce n'était qu'une bagatelle.

Doug était partisan des petites vacheries. De celles qui faisaient se marrer tout le monde, pas digne d'un jeune adulte, mais plutôt d'un sale gosse.

On s'habituait à tout, non ?

Elle attrapa rageusement son sac laissé à ses pieds et je me penchai pour humer son parfum, qui courait sur sa peau, collait à ses vêtements.

— Rien à dire ?

— Tu connais déjà la réponse, non ?

Je la laissai partir et Doug passa un bras autour de mes épaules, content de lui.

— Franchement un jour, faudra que tu nous expliques ce qu'elle t'a fait pour mériter ça, mec.

C'était lui qui disait ça ? Abruti. Mais Doug était un suiveur. Alors je n'avais qu'à lui dire comment agir et il le ferait, sans poser de questions, sans s'inquiéter des éventuelles conséquences.

On pouvait toujours compter sur un Doug.

— On va s'en griller une ? proposa Spencer, ennuyé.

Je hochai la tête et nous quittâmes l'enceinte du bâtiment principal pour rejoindre notre coin, loin des yeux et des oreilles, de toute manière, personne n'aurait eu l'idée de venir nous emmerder.

Riverview valait presque un campus universitaire, avec toutes ces structures en pierre et cet espace à l'extérieur.

Il y en avait pour tout le monde, club de freefight, son immense piscine, son gymnase, sa salle de cinéma et j'en passai.

Un endroit bourré de fric où on ne lésinait sur aucun moyen pour faire plaisir aux précieux et généreux donateurs. Ma famille en tête de liste.

La bibliothèque comportait des milliers d'ouvrages, même si je n'y foutais jamais les pieds. La lecture, une putain de perte de temps. Je préférais de loin la salle de billard, où personne ne venait jamais nous casser les couilles, surtout pas quand j'y allais.

Je m'installai sur la table et attrapai la clope que me tendit Spenc. Je cherchai mon briquet et l'odeur de nicotine irrita un instant mes narines. Doug attrapa la flasque d'alcool de Luis et se l'enquilla en deux temps trois mouvements. Dans les bâtiments, la sonnerie retentit, mais aucun de nous ne bougea.

Tant que je restais dans le classement, que je sois troisième ou dixième, mon père me laissait une paix royale. Minimum d'efforts à fournir.

Je passai mon temps à boire, fumer un peu d'herbe et baiser avec Vanessa ou d'autres filles.

Rien d'exclusif entre nous, fallait pas déconner non plus.

Rejetant la tête en arrière, j'écoutai les conneries des mecs sans y prêter trop d'attention. Tant que j'étais à Riverview, je pouvais m'imaginer libre. Mais mon père n'était jamais bien loin. Si je me targuais de tout savoir dans le lycée, lui, c'était encore un niveau au-dessus. Il me laissait croire que j'étais le chef de meute. À dessein. Une façon de me contrôler, d'avoir l'ascendant sur moi.

Alors qu'en réalité, je n'étais chef de rien du tout quand lui était le Roi.

De tout. Et de tout le monde.

J'écrasai mon mégot, pas d'humeur. Spencer m'observa, bien trop malin par moment. Il ne fit aucun commentaire. Tant mieux, j'avais bien envie de cogner dans quelque chose. Mais pas sa belle gueule de préférence. 

**

Vous voilà en face de Jaxen. Vous n'allez pas l'aimer tout de suite.... Mais vous allez en redemander 😎

Ca va la vie sinon ? Laissez nous un petit mot par ici pour nous le dire ❤️❤️

Plein de bisous ❤️

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