26 - Alby
La cafète était blindée à cette heure-ci, mais j'avais trop faim pour remettre ça à plus tard. Je pris un plateau, le remplis de tout ce que je pouvais et me dirigeai vers ma place habituelle. J'aperçus Greer au dernier moment et changeai ma trajectoire pour la rejoindre. Cela faisait une semaine que j'étais intervenu juste avant qu'elle ne se fasse violer. Ses bleus disparaissaient et je faisais tout mon possible pour l'accompagner de cours en cours pour qu'elle ne supporte pas les idiots qui profitaient encore du pari. Visiblement, l'absence de Jaxen poussait les enculés à revenir vers une femme déjà blessée.
Je m'installai sur la chaise en face d'elle. Elle releva son regard sur moi, sa fourchette dans la main. Elle n'avait pas beaucoup mangé vu son assiette remplie.
Son visage ne portait qu'une légère marque, mais je savais qu'elle avait d'autres traces de son agression. J'espérais vraiment qu'elle guérirait.
— Tu vas vraiment manger tout ça ? souffla-t-elle.
Je hochai la tête et m'attaquai à mon assiette avec entrain. Le coach d'athlé ne nous lâchait pas la grappe. Et quand je lui avais dit que je ne voulais pas spécialement participer à la compétition qui arrivait, il avait failli faire un infarctus. Il avait pris les vingt dernières minutes de notre entraînement pour me parler de tous les avantages et les bourses qui pouvaient s'offrir à moi si je m'y mettais vraiment.
— Ton cours commence à quelle heure ? m'enquis-je entre deux bouchées.
— Tu n'as pas à m'accompagner partout, Alby, soupira Greer.
Je grimaçai et m'arrêtai de manger. Je lui fis les gros yeux et elle se mordit la lèvre.
— Finis de manger et on ira, grogna-t-elle.
Je m'exécutai et on débarrassa rapidement nos affaires. Je suivis Greer jusqu'à son cours et me rendis au mien. Je tentai de me concentrer au maximum, mais dès que la sonnerie retentit, je filai pour rejoindre Greer. Elle m'attendait patiemment à côté de sa salle et me sourit quand j'arrivais à son niveau. C'était l'un des seuls cours que nous n'avions pas en commun. Autrement, je pouvais la surveiller de près. Même si elle ne semblait pas en profiter plus que ça, elle me laissait faire. Je ne pouvais pas la laisser aux mains des autres sans réagir. Ce n'était pas moi, ce n'était pas ce que ma mère et mon père m'avaient appris. Même si j'étais du genre à rester loin des emmerdes, je ne laissai jamais une situation de merde comme celle-ci s'aggraver.
— Tu crois qu'on peut tenter un film ?
— Tu peux demander n'importe quoi à madame Fraser. Tu es un de ses chouchous, minauda Greer.
On longea les couloirs pour nous rendre à notre cours suivant, très conscients des regards qu'on attirait.
J'en avais rien à foutre. Les violeurs devaient recevoir la punition qu'ils méritaient.
J'avais eu mon père au téléphone et il m'avait dit de faire attention à mon entourage. M'avait-il dit à demi-mot de laisser Greer se faire violer ? Je n'en étais pas spécialement sûr, mais le doute qui m'habitait me posait question depuis. Mon père ne voulait pas que je m'intéresse aux autres. Il voulait que je rentre et que je lui serve à quelque chose dans le club. Ce que je pouvais comprendre, mais tout à la fois détester.
Les deux derniers cours de la journée me parurent atrocement longs, mais je réussis à convaincre Greer d'aller se mater un film avec la permission de madame Fraser, la bibliothécaire. Elle pressa l'épaule de Greer et nous poussa même à nous installer.
Je me laissai tomber devant l'un des gros fauteuils dans lequel Greer se lova. Je me penchai pour attraper quelques boîtes de DVD et elle y trouva son compte. On regarda un film romantique idiot et ensuite, on alla manger à la cafète. Greer n'était pas retournée à la piscine depuis ce qu'il s'était passé et je n'allais pas la forcer. Elle me demanda si elle pouvait venir voir mon entraînement et j'acceptais. Au moins, j'étais sûr de pouvoir la surveiller même de loin. Comme il faisait un peu froid sur les gradins en hauteur, je déposai ma veste sur les épaules de Greer avant de foncer dans les vestiaires pour enfiler ma tenue.
Le coach fit de notre vie un enfer et je l'en remerciais. L'exercice me permettait d'être plus serein et de respirer avec plus de facilité. Même si j'en chiais, c'était de la bonne fatigue.
Je rejoignis Greer rapidement et elle glissa son bras sous le mien avec un naturel désarmant. Je tentai de ne pas réagir pour qu'elle ne se recule pas. Quand elle se rendit compte de son geste quelques mètres plus loin, elle voulut s'écarter, mais je la retins gentiment et tapotai sa main.
— Vous avez vraiment l'air au bout de votre vie après ce genre de séance, reprit-elle.
— Crois-moi, il faut le vouloir pour rester dans cette équipe. Le coach veut notre mort.
— J'ai cru comprendre que tu ne voulais pas faire de compétitions, remarqua Greer, visiblement inquiète.
Je haussai mes épaules et nous rentrâmes dans le dortoir plutôt calme. Il n'y avait que quelques têtes qui se baladaient un peu avant le couvre-feu.
— Pas besoin, grognai-je.
Je ne pouvais pas lui dire que ça ne servait à rien que je me lance dans la compétition. À quoi bon ? J'allais de toute façon retourner avec mon père et je bosserais pour le club. Je n'avais pas beaucoup d'autres choix. Mais je ne voulais pas lui dire, car j'avais l'impression qu'elle subissait tout autant son futur et je ne souhaitais pas rajouter avec mes problèmes.
Greer s'arrêta devant sa porte et fouilla dans son sac pour attraper sa clé. Elle ouvrit le tout et déposa ses affaires à l'entrée. Elle pivota pour me regarder avec ses grands yeux. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais je fis un pas en arrière avec un doigt sur ma bouche.
— Repose-toi. Je viens demain.
Elle attendit que j'arrive au bout du couloir pour fermer sa porte de chambre. Je filai vers le dortoir des troisièmes années et tombai sur la bande Jax.
Ça sentait la merde, mais qu'est-ce que je pouvais y faire ? S'ils me cherchaient tous, ils allaient forcément finir par me trouver. Je préférai qu'ils s'acharnent sur moi que sur Greer pour le coup. Je longeai le mur opposé à leur attroupement, mais ça n'empêcha pas Doug de venir sur mon chemin. Il fit exprès de me heurter de son épaule et je me figeai, le poing serré.
— Cooper. On joue au baby-sitter ?
— Les violeurs c'est pas mon truc, mais peut-être que toi si. Qui sait ?
Mon regard croisa le sien, au même niveau. Il serra les dents. Offensé ? Un mec comme ça ? Je déglutis, prêt à filer si j'étais obligé. Je ne pouvais pas me permettre de me retrouver encore dans une situation de merde. J'avais beau dire, le directeur ne me louperait pas si je m'amusais avec les gosses riches de cet endroit.
— Tu fais beaucoup le malin pour quelqu'un qui est tout seul, souffla Doug son nez à quelques centimètres du mien.
— Votre chef n'est pas là, qui donne les ordres ? C'est toi Spenc ?
— Continue ta route, bâtard, grogna l'intéressé.
Je serrai les dents et contournai Doug. J'évitai de le toucher et marchai tranquillement jusqu'à ma chambre. Je l'ouvris et me laissai glisser sur mon fauteuil après avoir tout verrouillé.
Cela faisait une semaine et deux jours que Jaxen était aux abonnés absents. Tout comme Kelly. Je ne voulais pas trop être relié à tout ça, mais les flics allaient finir par venir non ? Ne devais-je pas faire une déposition ? Si mon père apprenait que les flics venaient toquer à ma porte, j'allais prendre cher. Les flics n'étaient pas nos ennemis, mais ils n'étaient pas forcément nos amis non plus. Je ne pouvais pas me permettre de faire appel à ceux qui étaient liés au club sans avoir sécurisé la transaction avec mon père.
Kelly n'allait sûrement pas remettre les pieds ici de toute façon. Si Jaxen jouait bien son rôle, alors bientôt, Kelly disparaîtrait complètement de la circulation. J'en étais bien conscient.
La journée passa vite et je réussis à accompagner Greer partout. Le soir, ce fut le même rituel, le même chemin. Et malheureusement pour moi, je tombai sur les mêmes enfoirés dans le couloir.
J'aurais aimé ne rien dire, ne rien faire.
Mais Doug ouvrit sa putain de bouche.
— Alors comme ça, ton frère s'est fait buter sur un trottoir ? Y a mieux que de terminer au fond d'un caniveau.
En quelques pas, mon nez se retrouva contre celui de Doug.
— Répète pour voir, soufflai-je.
Doug sourit. Il sourit ce bâtard ! Les mecs derrière lui ne bougeaient plus du tout.
— Qu'est-ce que tu vas faire, Thaddeus ? ricana l'enfoiré. Tu vas m'attaquer ? Putain d'où tu tiens un nom pareil. Et c'était quoi ton frère ? Daniil ?
Il fit un pas supplémentaire ce qui rapprocha son corps près du mien. J'aurais eu un couteau, je le lui aurais planté dans l'œil.
— Vraiment une famille de pauvres avec des noms de merde.
Il n'eut pas le temps d'esquiver mon poing. Il se prit le coup par-dessous, ce qui envoya sa tête voler contre le mur. Sonné, il n'eut pas le réflexe de se protéger et avant qu'il ne lève ses bras, je lui défonçai les côtes. Son poing s'écrasa contre ma tempe droite, mais je m'en foutais. Mon pied balaya les siens et il atterrit par terre.
Je le drapai de mes coups. Ma rage nourrissait mon envie de le fracasser.
On ne parlait pas de ma famille.
Encore un coup.
Un os qui craquait sous mes articulations.
Le sang qui amenait une odeur de fer, une odeur presque viciée.
Quand Doug arrêta de bouger, les mecs durent me décoller de son corps, littéralement.
Ce fut ainsi qu'on se retrouva dans le bureau du directeur juste au moment du couvre-feu. Seuls mes doigts portaient des marques de notre combat. Doug était à l'infirmerie. Spencer était là pour déblatérer un mensonge aussi gros que lui, histoire de m'enfoncer un peu plus. Je ne voulais même prendre la peine de me défendre ou d'essayer de démentir. J'étais celui qui avait attaqué en premier et j'étais celui qui était debout, tandis que Doug se faisait recoudre à l'infirmerie.
— Monsieur Channing, veuillez retourner au dortoir, s'il vous plaît.
Spencer eut un petit rictus à mon encontre et sortit du bureau. Je frottai mes poings contre mon uniforme avant de voir les traces que ça laissait. Et merde.
— Monsieur Cooper, commença Hinton.
Hinton Alexander. Directeur de la Riverview Preparation Academy depuis plus de cinq ans. Il avait des tas de secrets qui s'empilaient et il était payé par suffisamment de parents pour assurer l'avenir des gosses. Mon père m'avait donné quelques renseignements supplémentaires, mais je ne savais pas si c'était le moment de les utiliser.
— Vous avez un dossier exemplaire. Vos notes sont parfaites. Vous êtes premier du classement des troisièmes années. Nous n'acceptons que peu d'écart quant aux comportements ici, à Riverview. Vous le savez. Je vous ai demandé d'éviter deux choses lors de notre entretien.
— La drogue et les combats, grondai-je.
— Tout à fait. Ces deux choses peuvent vous ramener directement de là d'où vous venez. Suis-je assez clair là-dessus ?
Je hochai la tête.
— Je dois vous sanctionner.
Je serrai les dents et il leva une main devant lui.
— Néanmoins, vu votre comportement exemplaire jusqu'ici, je vais vous épargner un émargement de comportement dans votre dossier scolaire. Croyez-moi ou non, Thaddeus, votre réussite est la seule chose qui m'importe ici à Riverview.
Je tentai de retenir une grimace. Sans déconner. Ma réussite. Il en avait d'autre de comme ça ?
— Alors, vous aurez simplement des travaux d'intérêt général.
Je sentis mes épaules se tendre. Je n'avais pas le temps pour ses conneries.
— Un mois, m'annonça-t-il.
— En quoi ça consiste ?
— Je vous laisse le choix : les couloirs ou la bibliothèque.
— Bibliothèque, grondai-je.
— Je préviendrais Madame Fraser de votre situation.
Il fit un mouvement de la main pour me congédier. Je m'arrêtai la main sur la poignée et l'observai du coin de l'œil.
— Et lui, qu'est-ce qu'il va avoir comme punition ?
— Retournez à votre dortoir, Monsieur Cooper. Et ne revenez pas dans ce bureau avant d'être diplômé.
Ma nuit fut courte et je passai une mauvaise journée. Greer n'osa pas me demander ce qu'il s'était passé et je ne lui en voulais pas. Je ne faisais que grogner à chaque pas. Je devais tellement suinter la rage et la violence que tout le monde s'écartait sur notre chemin.
À la fin de mes cours, je dus aller à la bibliothèque et Madame Fraser, bien que déçue par mon comportement, me montra la grosse roulotte remplie de livres qu'il fallait ranger dans les rayons. Je soupirai et commençai.
Je nettoyai les vitres avec la fâcheuse tendance à imaginer Doug en petits morceaux quand Greer arriva. Elle tapota mon épaule et je pivotai avec un sursaut.
— Pardon, dit-elle avec une grimace.
— T'inquiètes, grognai-je en retour.
— Tu as fait ton mauvais garçon, Alby. Tu comptes me raconter ce qu'il s'est passé et pourquoi tu te retrouves à nettoyer les vitres de Madame Fraser ?
On jeta un coup d'œil à l'intéressée qui nous observait aussi discrètement que possible.
— Ou tu comptes grogner pour le restant de tes jours ?
J'ouvris la bouche, mais elle prit le deuxième chiffon et la bouteille de produit à vitre. Elle vaporisa le nécessaire et se mit à nettoyer. Greer n'aurait pas dû le faire, mais visiblement, ce n'était pas ce qu'elle pensait.
— C'était rien. Doug était égal à lui-même.
Mon regard fut attiré par madame Fraser qui s'éloigna avec sa tasse de café vide.
Elle me fit un clin d'œil et agita sa main.
— C'était quoi ça ? marmonnai-je, gêné.
Greer émit un petit rire.
Ce simple son détendit mes épaules et je lui jetai un coup d'œil surpris.
Parce que le bruit de son rire, parce que madame Fraser et son clin d'œil.
**
Très contente de vous poster cette suite. Eux aussi ce sont nos chouchous... J'ai l'impression de dire ça à chaque fois 🤣
Aaaah Alby qui snappe 😂😂 fallait bien un moment. Doug ne l'a pas vu venir 🤣
Un bon week-end à tout le monde 🤗
La bise 😘
Taki et Ada'
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