1 - Greer

New-York,

Villa des McCray

De la musique dans mes oreilles, je faisais mine de ne pas regarder l'heure. Surtout pas. Être ici, dans cette bâtisse démesurée revenait à choisir un enfer à un autre. J'avais grandi ici, alors je savais de quoi je parlais. Je devinais aisément ma mère, dans la cuisine, qui repassait et repassait devant l'horloge, pas encore décidée si elle devait venir me réveiller ou non. Je dormais peu. D'après le médecin que je voyais à l'époque, c'était à cause du stress. Pauvre homme. Le stress, ça se gérait. Mais une spirale infernale ? On ne le contrôlait pas, surtout pas quand elle portait le prénom d'un démon.

Ma tête roula sur mon oreiller et je finis par observer les chiffres sur mon réveil. Il était plus que l'heure si je ne voulais pas être en retard. Je retirai mes écouteurs et les abandonnai sur la couette avant de me diriger dans la salle de bain attenante à ma chambre. Digne d'une suite de rêve dans un hôtel, il ne subsistait pas grand-chose de mon âme d'enfant dans cette pièce qui m'étouffait dès que j'y mettais un pied. Mais dès que je rentrais, pas le choix, quand bien même la villa était dotée d'assez de chambres d'amis pour accueillir une équipe de foot, remplaçants inclus.

Je retirai mon pyjama et me glissai dans la cabine de douche à l'italienne, l'eau tempérée perlant sur mon épiderme. Je ne traînai pas ; pouvais presque déjà sentir le courroux maternel. Autant ne pas jouer avec le feu. Surtout pas de si bon matin. Encore moins à l'heure du petit-déjeuner, qui restait une épreuve en soi. Je remerciai religieusement ma meilleure amie pour les barres glissées dans mon sac avant mon départ, consciente que je ne me nourrirais que de ça, loin des yeux d'Elizabeth McCray, ma très chère et non estimée génitrice.

Mon ventre se manifesta lorsque je nouai mes cheveux en une natte bien serrée. Enveloppée d'une serviette, je me positionnai devant mon dressing, en quête d'une tenue qui passerait le contrôle silencieux de ma mère, toujours mécontente de mes choix, trop obnubilée par ce qu'on pourrait bien penser de sa fille. J'avais appris à vivre avec son jugement, ses paroles acerbes et ses remontrances. On se faisait à tout, bizarrement. J'optai pour une chemise blanche au col haut, avec deux lanières pour faire un nœud sur le devant. J'adorais la matière de ce vêtement. En bas, une jupe qui descendait en dessous de mes genoux. Je tirai sur les manches de ma chemise pour bien recouvrir mes poignets et fut satisfaite. À voir il faudrait combien de temps à la mégère pour piétiner mon amour propre et me jeter à terre.

J'enfilai mes bottines qui traînaient devant la porte et attrapai mon sac qui m'attendait, fermé, les barres bien cachées, au cas où ma mère ne décide de s'adonner à une petite inspection surprise. Je me tournai une petite seconde pour être sûre de ne rien oublier avant de rejoindre le rez-de-chaussée et la première épreuve de ce début de semaine. J'entendis d'abord le JT télé, qui passait et repassait en boucle, au cas où ma mère ne loupe une information cruciale entre aujourd'hui et hier. Impossible. Ensuite, le timbre chantant de Nanita, la gouvernante de cette famille depuis... ma naissance, si ce n'était plus. Une femme charmante, qui vivait toute l'année sous le joug de la maîtresse des lieux, rien de moins. Et pour ça, elle avait tout mon respect. Tout mon amour aussi, mais hors de question d'étaler mes sentiments devant celle qui m'avait mise au monde et qui n'aurait pas supporté cette vérité, pourtant si réelle.

Je découvris ma mère dans la salle à manger, une autre pièce immense, avec des babioles partout et aucun grain de poussière à l'horizon. Elizabeth McCray était une femme splendide du haut de ses presque quarante ans. Merci la chirurgie esthétique. Si j'étais brune, elle avait une chevelure d'une blondeur incroyable, digne d'une princesse d'un conte Disney. Même si elle avait le caractère de la méchante sorcière aigrie par la vie.

Taille de guêpe, tirée à quatre épingles, pas un cheveu qui ne dépassait. Elle était l'image même de la perfection ; celle que les pubs véhiculaient des années auparavant, une ménagère aux petits soins, qui restait à la maison, qui s'adonnait à quelques petites pauses thé avec les voisines et qui accueillait son époux sur le seuil de la maison le soir venu. Et c'était exactement ce qu'elle attendait de moi. Que je sois une épouse modèle, soumise, jamais un mot plus haut que l'autre.

Dévouée aux bons plaisirs de son homme. L'idée même me révulsa.

— Ma chérie.

Ses yeux glissèrent sur moi, analysèrent chaque choix opéré, chaque couture, jusqu'à remonter à mon visage. Elle fronça les sourcils.

— Tu aurais pu te maquiller.

Première attaque. Je bottai en touche et haussai les épaules. La baguette en bambou était dans le placard depuis longtemps, alors je ne craignais plus les attaques fourbes, éclairs.

— Bonjour, mère, la saluai-je.

Elle pinça ses lèvres et m'observa m'installer à table. Comme d'habitude, il y avait de quoi nourrir plus d'une famille dans le besoin.

Dans mon assiette, quelques fruits frais et secs. Un verre de jus et rien d'autre. Mon ventre gronda de frustration et je lorgnai sur les viennoiseries. Presque une hérésie dans cette maison.

Ma mère picorait. Elle avait littéralement un appétit d'oiseau, résultat d'une adolescence sous la coupe de l'anorexie et des privations à dessein. Ma mère n'exécrait rien de plus que les femmes de chair, celles avec des formes, avec des courbes voluptueuses. Pour elle, c'était dégradant. Elle vivait dans la peur constante que je prenne du poids, alors depuis enfant, elle avait opté pour une éducation privative, un seul écart, un seul mauvais comportement et c'était le coup de baguette assure. J'en portais les stigmates ; dans ma façon de vivre, de manger, de m'habiller, d'être, tout simplement. Parce que oui, pour ma mère, être une femme signifiait entrer dans un 36, même si un 34 était préférable. Le docteur de famille avait tenté par tous les moyens de la mettre en garde contre la maigreur, ce qui était bien différent d'être mince, mais ma mère l'avait gentiment renvoyé pour s'occuper elle-même de mon cas. Parce que ça se passait ainsi chez les McCray. Toujours.

On ne désapprouvait pas les choix, on n'élevait pas la voix.

On obéissait.

Qu'importe l'ordre, qu'importe les conséquences.

Une pression sociale qui vous agrippait à la gorge et vous étouffait.

Elle s'installa en face de moi et se saisit de sa tasse de café où elle trempa à peine les lèvres, jambes croisées, dans un tailleur d'une jolie couleur lilas. Ma mère ne manquait pas de goût ; elle était toujours habillée à la dernière mode, prête à dépenser des fortunes pour une paire de chaussures ou le dernier sac à se procurer. En même temps, hormis attendre son cher mari, elle n'avait que ça à faire. Et cette façon de vivre lui allait à merveille.

— Et sinon, ça se passe bien au lycée ? Je n'ai pas eu le temps de voir Jaxen hier soir, je suis un peu déçue.

Elle soupira, le genre à fendre l'âme. Je chipotai, le ventre tordu par une faim dévorante. Je rêvai de pouvoir tendre la main et attraper ce pain au chocolat. Peut-être si elle tournait la tête, si elle s'éloignait...

Dans mes rêves, ouais. Elle avait décidé de me parler de Jaxen et de rien d'autre. Cette fixette sur lui...

— C'est un si gentil garçon ! Prévenant, adorable et toujours si charmant avec toi.

Je faillis m'étouffer avec ma gorgée de jus de fruits frais et une toux me tenailla quelques secondes.

— Tu n'es pas d'accord ? m'apostropha-t-elle.

— Si, si, biaisai-je.

En fait, pas du tout. Mais ce que je pensais n'intéressait pas ma mère. C'est ce qu'elle voulait elle, depuis toujours. J'avais du mal à l'imaginer avec l'envie d'enfanter, pourtant, j'étais là.

— Il va falloir que j'y aille.

— Tu n'as presque rien mangé, bouda ma mère.

Tu t'en gargarises !

Je me retins de justesse, ne souhaitant pour rien au monde l'énerver avant mon départ, même si je ne le voyais pas avant au moins une semaine. En croisant les doigts, peut-être que ça fonctionnerait. Mais en ce moment, les soirées s'enchaînaient et ne me laissaient aucun répit.

Sourire, parader, me laisser toucher, effleurer, embrasser.

Un frisson me parcourut et je me levai, prête à déguerpir le plus vite possible. La présence de ma mère m'accablait. Elle tissait sa toile de réprobation, m'acculait avec ses sermons et s'attendait à ce que je l'embrasse pour lui dire au revoir. Ce n'étaient plus des œillères qu'elle arborait à ce stade. Elle se camouflait derrière ses vérités, sa façon d'entrevoir la société et l'avis de sa fille ne l'intéressait pas. Pourquoi faire après tout ?

Elle m'accompagna à l'extérieur, où le chauffeur m'attendait devant une Rolls-Royce rutilante.

Il me prit mon sac des mains pour le déposer dans le coffre et ma mère se tourna vers moi. Elle lissa un pli imaginaire au niveau de mon épaule. Dans une autre famille, ça aurait pu témoigner d'un geste tendre, rempli d'amour. D'une inquiétude, une attention. N'importe quoi.

— Tu es mon portrait craché à ton âge. Magnifique Greer.

Elle rit toute seule et s'en retourna à l'intérieur, sans un autre geste ou une autre parole. Je n'attendis pas une seconde pour me glisser sur la banquette arrière, trop peur de la voir revenir pour je ne sais quelle raison stupide. La voiture démarra dans un ronronnement apaisant et Luke, le chauffeur se tourna.

— J'ai pris la liberté de remplir la boîte de collations. Pour le trajet.

J'aurais pu me jeter sur lui pour une embrassade. Cet homme me trimballait partout lors de mes retours, il me connaissait bien mieux que ma propre mère, ce qui n'était pas bien compliqué quand on y pensait un peu. J'ouvris la fameuse boîte qui d'ordinaire servait à y ranger des verres ou des flasques d'alcool. Elle débordait de barres chocolatées et de cochonneries en tout genre. J'en attrapai une poignée et m'installai confortablement alors que Luke prenait la route, direction Riverview Prep, l'établissement dans lequel j'étudiais en vue d'obtenir mon diplôme avant de me lancer dans les études supérieures. Si d'ici là ma mère ne m'avait pas mariée.

Le lycée se situait en Pennsylvanie, dans la très charmante ville de Reading.

C'était le genre d'établissement huppé, qui ne se voyait fréquenter que par les enfants du fleuron américain. Le système de classement y était élitiste au possible et pointait les meilleurs parmi les bons, relégués alors au rang de cancres. De quoi rendre fou les plus fragiles, une façon surtout de challenger tout le monde, quitte à faire face à des tentatives de suicide. Mais sur un dossier, Riverview vous ouvrait les portes des plus grandes universités du pays. Il ne restait plus qu'à choisir, surtout lorsque vous vous placiez dans le fleuron de tête. Alors là, aucune limite, aucun rêve brisé. Tout vous ouvrait les bras. Seulement, pour en arriver là, il fallait se battre, être le meilleur jusqu'au bout. Et beaucoup craquaient avant la ligne d'arrivée. Un système qui broyait les plus fragiles et qui encensait les plus intelligents. Tous les coups étaient permis. Tous, sans exception.

Je fermai les yeux, des papiers chiffonnés à côté de ma cuisse, le soleil venant caresser mon visage. D'ordinaire, Luke ne m'amenait pas lui-même, il ne fallait quand même pas loin de deux heures trente pour rejoindre le lycée, mais mon père utilisait l'avion privé familial pour la journée, alors pas le choix. J'aimais le trajet et la conduite de Luke surtout. Le temps ne me paraissait jamais très long. Malheureusement. Rappelez-vous : un enfer pour un autre. Comme je le faisais depuis des années, à l'approche de Riverview, je me blindai. J'érigeai un immense mur entre le reste du monde et moi. Il le fallait. Si je voulais survivre, si je voulais vivre, je n'avais pas le choix. Je devais arriver blinder, prête à toutes les atrocités.

Je délaissais le monstre de la maison pour rejoindre celui qui hantait mes pas. Qui restait dans mon ombre et attaquait, attaquait et attaquait encore, jusqu'à ce que je chute. Il ne m'aidait pas à me relever, il me maintenait à terre, fourbe, coriace, affamé de ma déchéance.

Et même lorsque je me cachais, il me trouvait.

Luke arrêta la voiture devant les grandes grilles en fer forgé de l'établissement et fit le tour de la voiture pour venir m'ouvrir. Il me rendit mon sac que je ramenai contre moi. J'inspirai un bon coup. La matinée était déjà bien entamée, mais parce que mon père était un généreux donateur, aucun souci à ce que je manque les premiers cours de la journée. Encore une fois, qui me demandait mon avis ?

Je remerciai Luke et pénétrai dans le domaine que constituait Riverview, avec ses nombreux bâtiments, sa forêt, son lac un peu plus loin et ses grands espaces verdurés. Une sorte de Poudlard sans l'imposant château. Je remontai l'allée et croisai pas mal d'autres lycéens qui profitaient de ce soleil bienvenu avant de rejoindre les prochaines salles de cours.

Je me hâtai et pénétrai dans le bâtiment principal, celui où se trouvaient les salles, la cafétéria, les casiers et tout le reste. Mieux valait ne pas se perdre dans le dédale des couloirs du bahut sous peine de mettre des heures à retrouver son chemin. L'apanage des vieilles institutions. Mon père avait fait ses études ici, son père avant lui et on pouvait remonter ainsi dans une bonne partie de la généalogie familiale. Ma mère n'avait pas eu cette chance. J'ignorai les nombreux regards qui suivirent mon cheminement jusqu'à mon casier, où quelques stickers se décollaient ou s'effaçaient. Aucune trace de Kacey, en même temps, pas étonnant. Je lui enverrai un SMS pour savoir où elle se trouvait ; la question étant de savoir si elle séchait ou pas le cours d'algèbre. Elle préférait de loin fourrer sa langue dans la bouche de ce débile de Vaughn plutôt que de danser avec quelques formules. Ce type n'avait rien pour lui, mais il faisait fondre Kacey, alors je ne pouvais rien dire. C'était ça aussi, les règles de l'amitié. De toute manière, Kacey ne portait que très peu de matières dans son cœur. Pour ma part, j'adorais tous les cours qu'on nous dispensait et bien plus encore les professeurs qui nous suivaient dans notre scolarité. Kacey était sûrement l'une des seuls du bahut à se foutre royalement du classement, peut-être aussi parce que ses parents ne s'intéressaient pas à ce stupide système. Ils voulaient le meilleur pour elle, d'où sa présence entre ses murs. Elle avait une idée déjà bien précise de son avenir, à l'inverse de moi. Quel diplôme viser, quel parcours suivre, bref, la base.

La sonnerie retentit et bientôt le coin se remplit d'élèves de tout genre. J'avisai le nouveau, qui ne passait pas inaperçu, probablement à cause de son statut. Ici, nous étions tous ensemble depuis des années, alors dès qu'une nouvelle tête faisait son apparition, ça entrainait tous les commérages possibles.

Alby Cooper. Boursier arrivé dans l'établissement pour résultats remarquables et haut potentiel. Rien que ça. Tout le monde le voyait donc comme une menace potentielle, qu'il fallait évincer avant qu'il ne se hisse en haut du classement. Moi, j'étais juste curieuse.

D'où venait-il ?

Qu'est-ce qu'il aimait ?

Plutôt grand pour un ado de son âge, il avait dû pousser d'un seul coup. Cheveux en bataille sur le sommet de son crâne, je ne l'avais encore jamais vu sourire. Pas une seule fois. Ni adressé la parole à qui que ce soit d'ailleurs.

Je le suivis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'orée d'un couloir.

Allait-il vraiment nous supplanter au classement ?

Des sifflements résonnèrent ainsi que des rires trop bruyants, annonciateurs de l'arrivée de Satan et sa suite.

Ils surgirent, un groupe composé presque exclusivement de mecs en rut, aussi débiles que des gastéropodes. Et celui en tête, entouré de sa cour, à se pavaner, était bel et bien le pire de tous.

À tous les niveaux.

Un mix des pires salauds de l'histoire de la romance contemporaine. Ces spécimens là n'existaient pas que dans les livres et ne se résumaient pas juste à Hardin Scott.

Sauf que celui-ci portait un autre nom. Celui du démon.

Jaxen Ross.

Son regard faillit croiser le mien, mais déjà, je filai. Son petit jeu commencerait bien assez tôt, alors autant chérir les quelques heures de tranquillité qu'il me restait.

**

C'est parti pour cette nouvelle histoire. On s'amuse vraiment beaucoup dessus 👁️👄👁️

Un retour sur Wattpad qu'on attendait mine de rien. Vous nous avez manqué ❤️❤️❤️❤️

On espère vous voir nombreuses.eux ici pour cette folle aventure. Ça va pas être du propre on vous le garantie ! 😳😳😳

Surtout SURTOUT n'hésitez pas à nous laisser un ti commentaire et si vous préférez passer en mode fantôme no souci mais laissez un ti vototooooooo vous savez faire quoi 👁️👄👁️

La bisouille les Adaktives ❤️

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