Epilogue
Nous étions partis nombreux et nous revenions presque au complet. Après une longue traversée de l'Atlantique, nous étions arrivés en Espagne où notre bateau put poser l'ancre. Les Espagnols coururent nous secourir car nous étions presque tous morts de faim, de soif et de tristesse.
L'état dans lequel nous étions arrivés était très précaire et nous n'aurions pas tenu un jour de plus. Les marins n'en pouvaient plus, ils étaient à bout. Pourtant, dès qu'ils eurent posés pieds à terre, ce fut comme si un poids leur avait été enlevé. Effectivement, la malédiction s'était évaporée comme la pluie s'arrêtait instantanément.
Nous fûmes tous transportés à l'hôpital du port pour nous faire soigner et nous remettre en jambes. J'étais moi aussi très amoché par l'épopée que nous venions de vivre. J'étais souvent tombé dans l'inconscient car une forte dose de souvenirs pouvait vous faire perdre la tête. Pendant ces temps de réparation, je ne pensai pas à tout ce qui m'était arrivé. C'était trop douloureux pour moi et je voulais retarder ce moment au plus tard possible.
Quand celui-ci arriva, je ne m'y attendais pas du tout. Ce fut le jour où, remis quelque peu de ma convalescence, je sortis me promener dans le parc de l'établissement. L'air pur des arbres et de la verdure me ravit tout de suite, chassant l'odeur de la mer salée et de la pluie. Je me réjouissais de retrouver toutes ces bonnes senteurs que je n'avais goûtées depuis des millénaires.
Tandis que je reprenais mes sens, une jeune fille se promenait elle-aussi dans le parc. Je l'avais d'abord observée puis avais décidé de me présenter à elle. Cette fille devait avoir dix-neuf ou vingt ans et avait des cheveux blonds or et une carrure indigne d'une jeune femme de son âge. Je m'approchai d'elle et ce fut là que j'eus ma révélation.
Henriette.
Je me replongeai au cœur de mes souvenirs brumeux et la vis, sur La Diligente, commandant ce fier navire.
Toute mon aventure avec cette fabuleuse personne se rejoua dans ma tête mais en martelant toutes les émotions que je pus avoir des ces quelconques moments.
J'arrivai enfin à ce qui m'avait dévasté. Cette fois, le souvenir se fit plus lent et je pus examiner toute la scène, impuissant, ne pouvant rien faire. Il mourrait devant mes yeux et je n'avais pas été assez rapide pour le dissuader de se jeter par-dessus bord.
Mira était mort.
Encore aujourd'hui, penser et dire ces trois mots m'arrachait le cœur.
Mon regard revint à la réalité et je pus constater qu'Henriette me regardait fixement mais ces yeux étaient vides. Oui, vides. On n'y voyait rien qui passait. Je pouvais le comprendre, je me sentirais mal, moi aussi, après avoir tué une personne d'une grande valeur.
Quelques jours plus tard...
J'avais réussi à parler à Henriette dans les jours qui suivirent. Maintenant que notre quête était achevée mais non réussie, elle n'avait plus rien à cacher.
Elle me raconta donc ce qu'il s'était passé au Cap de Bonne-Espérance. Je tenais à vous prévenir de ne jamais y aller. Cet endroit était très malsain et si vous ne voulez pas perdre un être cher, n'y mettez pas les pieds.
Quand nous avions laissé Henriette avec l'homme richement habillé de vert, ils étaient entrés dans une auberge très bien tenue mais qui était vide. Aucun client ne venait l'égayer. C'était normal, vue la ville déserte. Henriette, malgré ma conclusion hâtive, se méfiait de cet inconnu mais sa curiosité l'avait envahie et la poussait à le suivre.
L'homme lui proposa à boire, ce qu'elle refusa, pour une première. Il lui posa quelques questions sur notre voyage, s'il s'était bien déroulé. Henriette ne lui répondit pas, ou alors ce fut elle qui lui posa une question.
— Que me voulez-vous, étranger ?"
Il avait posé sa tasse de café contre la table dans un claquement sec puis il s'était levé.
— Puisque vous semblez si impatiente de quittez ma compagnie, passons, comme vous le dites, à ce que je vous veux."
Il s'éloigna dans la pièce et Henriette le suivit à bonne distance. Une fois arrivé à une porte, l'étranger l'ouvrit et intima silencieusement à la jeune fille d'entrer. A nouveau, la curiosité s'empara d'elle et elle passa le seuil de la porte, redoutant quelque peu un maléfice.
Mais ce qu'elle vit fut tout aussi banal que de se retrouver une chope de bière à la main. Dans la pièce, il y avait un paravent à la japonaise qui prenait la moitié de la salle. Il était disposé en cercle, de manière à ce que l'intérieur soit caché. L'inconnu ferma la porte derrière lui et vint se poster devant Henriette.
— Je me nomme Kenzu et je suis un modeste commerçant japonais. Je me suis installé au Cap de Bonne-Espérance il y a d'ici peu deux ans.
— Vous voulez me vendre quelque chose ? répliqua ironiquement la corsaire.
Kenzu secoua la tête, légèrement contrarié.
-Non, je sais que vous n'êtes pas ici pour marchander, mademoiselle Henriette.
La capitaine ne se demanda pas comment il connaissait son prénom et cela lui importa peu. Le fait que lui seul soit dans cette ville prouvait qu'il n'était pas normal. Si "normal" est bien un mot pour nous définir.
— Je souhaite vous faire part d'un cadeau fantastique, ma chère, dit-il après un court moment de silence.
— Quoi donc ?
Je reconnus bien là la fougue de ma jeune amie mais je m'attendai à plus de prudence de sa part. Malheureusement, il n'en fut rien. Kenzu sourit.
— Entrez dans ce paravent et vous verrez celui ou celle qui vous fera chavirer.
Quand Henriette m'eut dit cette phrase, mon sang s'était glacé. La capitaine était bien sûr entrée dans le paravent, quoiqu'il eut fallu à l'étranger de bonnes tentatives pour la convaincre à entrer.
Je suppose que vous devinerez qui a-t-elle vu.
Mira était celui qui fut promu à faire chavirer Henriette. Ce fut maintenant que je compris ce mot, "chavirer", qui était en fait à double sens. Henriette me l'avait expliqué : un jour, elle avait dit à Mira qu'il avait fait chavirer son cœur mais là, Kenzu l'avait utilisé pour son bateau.
Tout ceci expliquait, en effet, la violence d'Henriette, son changement très lunatique de caractère et ses émotions qui partaient dans tous les sens. Elle avait eu peur que sa vie ne s'arrêta au beau milieu d'un océan au fond duquel personne ne viendrait la chercher car ses parents et son ancien ami étaient morts.
Mira l'avait délivrée de sa folie et de la malédiction en mourant sous ses yeux. Le choc était tel que même un malade pouvait en être touché.
Elle était seule.
Mira n'était plus.
Trois jours plus tard...
Ce matin, Henriette fut introuvable. Elle n'était nulle part dans l'hôpital. Apparemment, elle avait quitté les lieux. Je m'attendais à ce qu'elle s'en aille, mais pas de l'endroit où elle avait décidé de se rendre.
Autant pour moi, elle n'avait aucune idée d'où est-ce qu'elle voulait aller.
Des mois plus tard, je reçus une lettre empreinte d'une odeur salée. La mer. Je m'étais retiré dans une campagne, laissant toutes mes aventures et mes rêves marins pour les autres amateurs. J'avais eu ma dose et n'étais plus jamais retourné sur le port ni humé le vent marin.
Alors, quand je reçus cette lettre, je fus d'abord dégoûté. Qui pouvait m'envoyer pareil poison ? Voulait-on me rappeler tous mes anciens et douloureux souvenirs ?
Puis, prenant du recul, je me dis que c'était peut-être le facteur qui l'avait fait tombé par hasard dans la mer, bien que cette idée fut improbable. Alors j'ouvris ce billet.
Ce que j'y lus me retourna l'estomac.
"Suis partie pour toujours. Peut-être rencontrerais-je Hérault ? Qui sait, l'avenir est une surprise intense. Il ne doit pas être dévoilé avant, par peur de devoir le voir se réaliser. En sais quelque chose.
Adieu.
H. de N."
Journal de Johan de Lourbes, décédé 18 juillet 1710.
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