Chapitre 9


***Henriette***

— Hissez la grand' voile ! hurlai-je.

Mon bateau, la Diligente, était magnifique. Il comptait quatre cent tonneaux et quarante canons. J'étais si heureuse que le capitaine Hérault eut pu me le fournir avant sa mort...

Quelques mois plus tôt...

— Une bière !

— Voilà !

— Du vin !

— Le voici !

— Et mes haricots ?

— Ils arrivent !

 Je passais mon temps dans une auberge à distribuer des plats çà et là, ainsi que de la boisson en grande quantité. J'essayais toujours de rester aimable, comme Loïc. Je savais qu'il était mal à l'aise, devant tous ces ivrognes, car il m'avait un jour confié qu'il haïssait les tavernes. Chaque fois que je le voyais grimacer, le soir, à cause de sa journée, je lui proposais de changer de petit boulot. Il me rétorquait :

— Non ! Pas question ! Tu sais aussi bien que moi qu'être serveur donne le meilleur salaire ! Et puis, c'est aussi ici que nous trouverons le meilleur équipage possible. 

 Je ne pouvais pas le contredire, mais j'insistais tous les soirs, pour qu'il cède et qu'on change de boulots. Malheureusement, il restait sur ses positions. Alors, nous continuions de servir des marins, venant se désaltérer. Il y en avait des beaux, des laids, des puants, des bourgeois, des pauvres, des mécréants, des assassins, des militaires, des capitaines, des mousses et encore des vieillards, mais nous ne devions pas faire attention au physique, du moment que tous ces gens avaient de l'argent, ordre de la maison.

 Moi, cela ne me gênait pas le moins du monde, j'y étais habituée. Mais Loïc souffrait, je le voyais. Il ne supportait pas l'alcool. Il fit un malaise, un jour, mais insista pour continuer. Il avait une volonté d'acier, et il se fit très convaincant pour me décider à continuer le service (tu parles, il avait usurpé le pistolet du capitaine Hérault pour le braquer sur moi, tu croyais que j'avais le choix ?!). 

 Ce jour fatal arriva. Le capitaine Hérault venait de partir en mer, pour deux jours. A son retour, je devais lui remettre notre dette, et lui notre bateau. J'avais réussi à engager un bon équipage assidu et fort qui accepterait de naviguer sous les ordres d'une femme (là encore, la violence avait dû être au rendez-vous). Ne manquait plus que le bateau. 

 Le corsaire partit donc un matin de septembre. Hélas, il ne revint jamais. Plus aucune nouvelle de lui pendant une semaine. Le roi n'était pas autant attaché à ce capitaine, mais  il ordonna quand même des recherches. Personne ne retrouva son bateau. Sa disparition était aussi mystérieuse que celui du Davaï. Loïc et moi étions un peu désespérés, car c'était Hérault qui détenait notre bateau. On nous apprit, quelques jours après l'annonce de sa disparition, que le capitaine nous offrait la Diligente en cadeau. C'était son testament. Il avait prononcé ces mots avant de partir on ne sait où. 

 J'hurlai de joie, tandis que Loïc restait un peu en retrait. Un soir, j'allais le voir à notre point de rendez-vous. Il était triste, je le voyais bien. Il ne pourrait pas me cacher plus longtemps la raison de cette soudaine émotion perturbatrice.

— Loïc, je sais que tu ne vas pas bien...

— Hérault était un type bien.

— Oh, pour sûr ! Il était un homme d'honneur, au service du roi de France, loyal, fier, courageux...

Je m'interrompis.

— Mais ce n'est pas pour ça que tu es triste.

Loïc soupira et se leva pour se pencher sur une barre qui nous retenait, pour admirer le paysage. Une magnifique cascade tombait dans un ruisseau qui traversait la ville pour ensuite rejoindre la mer.

— Quand comptes-tu appareiller ? me questionna-t-il.

Je n'avais pas bougé de ma place.

— Je ne sais, demain ou après demain. 

— Que vas-tu faire, sur la mer ?

Je m'approchai de lui.

— Tu es bien curieux, ce soir. Et tu n'as pas répondu à ma question. Pourquoi cette soudaine tristesse ?

Loïc soupira de nouveau et regarda la mer.

— Henriette, quelle est la chose à laquelle tu tiens le plus ?

Sans réfléchir, je répondis :

— La mer. Elle est toute ma vie.

— Je le savais. Moi, je ne me rattache pas à une chose...

Je l'écoutai attentivement.

— ... mais plutôt à une personne. Je ne peux pas quitter la terre pour prendre le large, m'annonça-t-il.

J'étais abasourdie. Il me prit mes mains et me regarda dans les yeux.

— Ecoute, Henriette. J'ai dix-neuf ans, et toi dix-huit. Nous sommes encore jeunes. Mais assez pour que je comprenne que j'étais amoureux. Non, ne m'interromps pas, dit-il, en me posant un doigt sur les lèvres. Je t'aime, Henriette. Depuis le premier jour. Je t'ai toujours aimé, malgré ton caractère. C'est pour ça que je voulais le mariage. 

Je bus ces paroles, en essayant de les comprendre, mais je n'y arrivai pas.

— Mais j'ai compris que tu avais besoin de liberté. Que je ne pourrais pas t'obliger à rester avec moi. Tu voulais la mer depuis trop longtemps. Tu ne m'aimais pas. 

Ces mots me brisèrent le cœur.

— Je ne peux pas quitter la terre. Il n'y a pas de place pour moi, dans ton bateau. Je ne fuirai personne, si je devais aller en mer. Alors que si je reste sur terre, je pourrais t'oublier. Je te le répète, tu es ma vie, et tu ne m'aimes pas. Je ne pourrais pas supporter ta présence sachant que nous ne partageons pas les mêmes sentiments. Mieux vaut que nos chemins se séparent. Tu comprends, ma douce Henriette ?

Je ne voulais pas comprendre. Les larmes me vinrent aux yeux. Je souhaitais que nous restions amis toute la vie, que rien ne devait nous séparer. Je me jetai dans ses bras.

— Loïc..., sanglotai-je. J'ai besoin de toi, partout où je vais... Tu me guides dans tout ce que je fais... Je ne suis rien sans toi...

— Si, chuchota-t-il. Tu seras le plus grand corsaire de tous les temps.

Je relevai la tête. Il me regardait d'un air attendri, mais décidé. Je m'approchai plus de lui et l'embrassai fougueusement. Il fut surpris et se dégagea.

— Non, Henriette ! Tu ne peux pas faire ça !

Je ne l'écoutai pas et je l'embrassai encore. Il me repoussa presque violemment.

— Non ! Henriette, tu ne peux pas faire ça. Tu ne m'aimes pas !

Mes larmes revinrent.

— Mais si c'est le seul moyen pour que tu restes avec moi, je te promets de t'aimer comme tu m'aimes ! Mais, par pitié, reste avec moi !

— Henriette, je ne veux pas changer tes sentiments. Les miens sont pour toi, et les tiens ne sont pas dirigés vers moi. C'est le seul moyen.

— Loïc, s'il te plaît !

— Non. N'oublie pas que je t'ai aimé, mon Henriette...

Et il partit en courant. 


Retour au temps réel...


— Larguez les amarres !

Je laissais enfin cette ville derrière moi. Je partais vers l'autre monde. 

Personne n'était venu me saluer, il n'y avait là que les amis des marins, des fiancées, des épouses, des cousins, des cousines, de la famille, mais rien pour moi. Evidemment, je n'avais pas prévenu mes parents. Il n'y avait pas non plus Loïc. Tant mieux, je ne me sentais pas d'affronter son regard. J'avais décidé de ne jamais tomber amoureuse et de toujours suivre la mer. J'étais enfin sur la bonne voie.

Je reprends donc : personne ne m'attendrait nulle part. Je suis libre.

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