Chapitre 6

***Loïc***

Ma nouvelle amie, Henriette de Nîmes, fit mon bonheur de tous les jours. J'avais plaisir à traverser Saint-Malo avec elle. Nous riions bien ensemble, et notre amitié était très forte. Tout se passait bien.

Mais un malheur arriva. 

Le Davaï coula. C'était un navire rattaché à la flotte française et son capitaine était très apprécié du roi. Des rumeurs prétendaient que le souverain avait été anéanti par cette nouvelle. Il n'arrivait plus à sourire et même ses maîtresses n'arrivaient pas le dérider. Il avait perdu un ami. Un beau matin, Saint-Malo reçut cette nouvelle car le roi de France avait glissé aussi un message à l'intérieur. Quiconque trouverait l'épave du Davaï recevrait une grasse somme d'argent. Cette annonce mobilisa tous les marins de France, et même ceux de quelques pays étrangers. 

Ma famille et moi étions profondément touché par le désarroi de Louis XIV. Mon père nous faisait parvenir des courriers comme quoi le roi ne se montrait plus à aucune fête, aucun divertissement, aucune de ses sorties favorites. Mais il avait tenu à ce que la vie à Versailles continuasse sans lui. Mon père disait qu'il commençait à s'inquiéter. Ma mère aussi, mais moins dans le sens que l'entendait mon père : si le roi n'appréciait plus la compagnie de son mari, l'argent fuserait moins. J'étais dégoûté de son point de vue et je quittai la maison pour aller voir Henriette.

Elle m'attendait, à son habitude, sur un rocher, à flâner. Je ne pus m'empêcher de m'arrêter à quelques pas d'elle, caché derrière un buisson, et me dire qu'elle était magnifique. Mais, m'arrêtant dans ma rêverie, je pensai qu'elle n'aimerait pas que je profitasse de son inattention pour l'observer. Je sortis de ma cachette et vins à sa rencontre.

— Tu es en retard, Loïc, me salua-t-elle, froidement. 

Je ne m'étais pas préparé à un tel accueil que je m'excusai.

— Désolé, Henriette, mais ma mère m'a retenu.

Elle soupira en marmonnant dans sa barbe ("Se laisse faire par sa mère..."). Je l'ignorai et vins m'asseoir à son côté.

— As-tu entendu les nouvelles de ce matin ? m'enquis-je.

— Bien sûr que oui, qu'est-ce que tu crois ?! s'étonna Henriette. Je suis la personne la mieux informée de toute la ville ! En doutes-tu ?!

Sentant qu'elle n'était pas de bonne humeur, je lui assurai que non. Puis, ma curiosité l'emporta sur la prudence et je murmurai tout bas en me rapprochant de mon amie.

— A quoi penses-tu, petite folle que tu es ? l'interrogeai-je.

Sûrement surprise de mon changement de ton, elle sursauta.

— A rien, répondit-elle.

Je m'approchais encore plus d'elle pour chuchoter à son oreille.

— Si, je le sais bien... Tu penses... à la mer.

Elle frémit du contact de mon souffle contre sa peau. Elle dit à voix basse :

— Écarte-toi...

Je réprimai un rire.

— Je te gêne ?

— Oui, souffla-t-elle.

Là, je ris à gorge déployée. C'était drôle de troubler Henriette la terreur. Elle rougit sous le coup que je me moquasse d'elle. C'était la première fois qu'elle rougissait en ma présence et je me sentais, pour la première fois, un peu plus important.

— Que tu es bête ! me dit-elle.

Mais ça ne suffit pas à m'arrêter de rire. Enfin, quand ma crise fut passée, je repris le fil de notre discussion.

— Sérieusement, Henriette, je te connais, maintenant. Je sais que tu penses prendre le large et trouver toi-aussi ce galion de Davaï. 

Elle baissa la tête.

— Je déteste que tu me connaisses si bien. Je ne peux plus rien te cacher et ça m'énerve. J'aurais dû te tordre plus fort le bras.

Elle faisait allusion, bien sûr, à la clé de bras qu'elle m'avait infligé le jour de notre première rencontre. A chaque fois qu'Henriette devait admettre que j'avais raison, elle m'affirmait dans une menace qu'elle savait qu'elle avait tort. Elle n'aimait pas le reconnaître, mais elle ne pouvait l'ignorer non plus. 

— Je sais que ça te démange, continuai-je, mais tu ne peux pas le faire. Tu es trop jeune et tu n'es qu'une fille.

J'avais dit la phrase de trop.

— Alors, toi aussi, tu penses que je ne suis qu'une fille ! Simplement une sucrée ! Une fille qui aime les rubans et se pavaner pendant des heures ! Tu penses que je suis ça ?! hurla-t-elle. Tu penses que je n'ai pas ma place sur un bateau, hein ?! Tu penses que je serais perdue ! Avoue-le que tu le penses ! Avoue !

Elle m'avait attrapé par le col de ma chemise et me rabaissait à son visage pour que je puisse mieux l'entendre et subir sa colère.

— Avoue que tu penses que je suis comme ma mère ! Que je ne vaux pas la peine d'être née ! Avoue-le que tu restes seulement avec moi parce que je te menace ! Avoue-le !

Elle me secouait dans tous les sens pour que je réponde. J'avais la tête qui tournait et le seul moyen que j'eus trouvé pour la stopper, c'était de la prendre dans mes bras. Et c'était ce que je fis. Je la serrai dans mes bras. Henriette arrêta de me secouer, surprise que j'ose ce geste. A mon grand étonnement, elle ne me repoussa pas et se mit à pleurer. D'abord silencieusement, puis à chaude larmes. Je l'amenai vers un rocher et la fis asseoir en passant un bras autours de ses épaules. Des flots de larmes jaillissaient de ses magnifiques yeux. Je les essuyai d'un revers de pouce.

— Je... te... déteste..., Loïc..., hoqueta-t-elle, toujours dans sa misère.

— Et moi, je t'aime, avais-je répondu, mais si bas que je doutais qu'elle ne m'eut entendu.

Henriette passa ses bras autour de moi et se blottit à l'intérieur, malgré l'insulte qu'elle m'avait lancé. Nous restâmes là, l'un contre l'autre. C'était le plus beau moment de ma vie : Henriette se montrait enfin telle qu'elle était et non pas la capitaine impétueuse, et elle était dans mes bras. J'avais même réussi à lui dire "Je t'aime", même si elle ne m'avait pas entendu. La respiration de mon amie s'apaisa, tantôt coupée de reniflements.

— Henriette, murmurai-je, je ne reste pas avec toi parce que tu me menaces tout le temps. Nous sommes devenus amis. Et, pour rien au monde, je ne te quitterais. Pour ce qui est du statut de fille, je ne pense pas du tout que tu es comme ta mère, ni une sucrée et encore moins une Marie-clapète (Ndla : commère). Tu es bien différente, ma douce Henriette. Je l'ai vu dès le premier jour. Et pas parce que tu te crois laide. Parce que tu t'es rebellée contre ta famille. Je t'admire pour ça. Tu comprends, je n'ai jamais pensé que tu étais une vraie bourgeoise.

Mon amie m'avait écouté, rassurée à présent.

— Merci, Loïc. Tu es mon meilleur ami.

Elle se détacha de moi, à mon plus grand regret.

— Et tu as raison, déclara-t-elle. La mer, ce n'est pas pour aujourd'hui.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top