Chapitre 40


***Henriette***

Qu'avais-je fais ?

Johan était parti en pleurs et je ne l'avais pas retenu. Il était parti et je ne lui avais même pas dit un mot de réconfort. Je ne lui avais pas demandé pourquoi il pleurait. Pourquoi il pleurait dans ma cabine. Devant moi.

Pourquoi ?

De toute façon, cela n'a plus d'importance. Nous sommes tous finis. Bientôt nous serons morts.

Et tout ça, à cause de lui.

A cause de Mira.

Qu'il aille au diable.


***Mira***

Je descendis avec agilité du mât, utilisant les cordages. Par le même temps, j'observai la mer, tout en hauteur, me disant que c'était peut-être la dernière fois que je la verrais sous cet angle. J'allai à ma mort, en quittant mon poste d'observation. Mais au moins, j'avais le sentiment que j'agissais pour une bonne cause et que je ne restais pas les bras ballants, le regard dans le vide, plongé dans le néant, comme la dernière fois. Là, j'allais entrer en action et je ne laisserai pas le temps passer en le regardant. Je serais l'élément perturbateur au temps. Je me jouerai de lui.

Je vaincrai.

Comme Johan peu avant moi, j'arrivai enfin devant la porte de mon destin. La cabine d'Henriette. Deux possibilités s'offraient à moi, deux choix de mon avenir qui le changerait irrémédiablement. Je devais choisir entre entrer, regarder ce beau visage que j'aime, l'admirer, mais je devrai faire face aussi à la personne qui habite ces yeux marrons si durs et si beaux à la fois. Et je devrai peut-être y laisser ma vie.

Je pouvais aussi ne pas entrer, ne pas regarder la fille qui se cache à l'intérieur et m'exiler comme je savais très bien le faire en haut de mon mât. Je n'en entendrai plus parler et je ne descendrais que quand le port de Saint Malo serait en vue. Oui, je pourrais faire ça.

Mais comme je l'ai dit, il n'en était pas question. Non, pas question que je me défile encore une fois. Je ne le supporterai pas. Puis aussi, je le faisais pour Henriette. Au fond d'elle, je croyais qu'elle m'appelait pour la délivrer de son empoisonnement. Et jamais je ne répondrai pas à une demande de secours. Surtout si cette personne était Henriette.

Je frappai trois coups à la porte de celle en qui mon destin était maintenant scellé.

— Entrez.

Une voix neutre, qui cache toute sortes de secrets enfouis depuis des années, une souffrance atténuée et une brutalité qui était, à la différence de tout, non dissimulée. J'entrai, un peu fébrile et appréhensif de ce qui allait se dérouler. Je pris une décision, en passant le seuil de la porte : j'entrerai les yeux fermés. Si je mourrais sur le champ, au moins n'aurais-je pas vu la violence abîmer les traits de ma belle.

Ce fut donc ce que je fis. J'attendis, les bras ballants, les yeux fermés durement, les doigts tremblants et mon corps oscillant sous l'effet de la peur. Quelle folie de remettre son sort dans les mains d'une fille atteinte d'une malédiction ! Je ne l'entendis pas marcher ni se rapprocher de moi. Tout à coup, une chaleur intense s'empara de mon corps quand je réalisai qu'elle venait de poser ses lèvres sur les miennes. Je ne m'étais si peu attendu à ce qu'elle m'embrasse, si bien que je restais pétrifié, ne lui rendant même pas son baiser, gardant les yeux fermés. Quand elle se détacha de moi, je ne fis aucun mouvement, attendant une réaction de sa part.

— Mira, ouvre les yeux.

Devais-je lui obéir ? Devais-je céder à cette voix qu'il y a quelques minutes tremblait de rage, et qui là, semblait vouloir accueillir un nouveau venu de la meilleure des façons ? Je craignais les deux options. Ouvrir les yeux signifiait se préparer au pire des spectacles comme à une surprise inattendue. Mais ne pas obéir à Henriette équivalait à avoir fait tout cela pour rien.

Quand mes paupières s'entrouvrirent, mes yeux s'habituèrent vite à l'obscurité ambiante. Voilà pourquoi Henriette était si blanche, elle n'allait pas au soleil et donc ne prenait pas de couleurs. La scène qui s'afficha à moi ne me choqua pas. La pièce était toujours la même, un lit encastré dans un mur, un bureau où était enchevêtré un paquet de cartes dans le désordre et une minuscule fenêtre bouchée par un rideau. Tout cela était baigné dans le noir, malgré la faible lumière échappant au mince barrage mis en place pour l'empêcher de rentrer.

Après avoir examiné la pièce, je cherchai celle qui occupait mes pensées. Pas dans mon champ de vision, à ce que je pouvais constater.

— Mira, souffla-t-elle à mon oreille, par-dessus mon épaule.

Je relâchai la pression qui s'était abattue sur mon dos et soupirai. Puis je considérai la fine lame posée sur le bureau. Je pouvais sentir le souffle chaud d'Henriette sur ma nuque se rapprocher de plus en plus. Soudain, sans crier gare, je pris l'épée d'un seul et me retournai d'un seul mouvement pour l'entrechoquer avec celle de ma cheffe.

Là, je pus croiser son regard dur et vif comme de l'acier. Mais au fin fond de ces pupilles, je pus distinguer de l'amusement. Sa peau était plus blanche que la porcelaine de Chine, ses cheveux blonds bouclés étaient emmêlés et semblaient ne pas avoir été brossés depuis longtemps, ses habits étaient troués à quelques endroits et laissaient entrevoir sa peau. Sa posture trahissait une sérieuse pression et un stress qui s'étaient accumulés. Mais encore une fois, ses yeux lançaient des éclairs et n'avaient plus rien de l'ancienne Henriette. La colère et la démence s'en étaient emparés et je jurai que, dans quelques semaines, ils seraient devenus noirs d'encre.

Alors, je souris.

— Quelle entrée en scène ! lançai-je, de l'ironie dans la voix.

Elle me fusilla du regard.

— Pourquoi es-tu ici ?

— Pourquoi m'attaques-tu ?

— Pourquoi ne partages-tu pas mon point de vue ?

— Pourquoi le partagerai-je ?

— Pourquoi sembles-tu le seul à être encore en vie ?

— Ne l'es-tu pas ?

— Pourquoi es-tu encore ici, à m'harceler ?

— Pourquoi m'as-tu embrassé ?

Cette fois, Henriette ne répondit pas par une autre question. Elle se contenta de me dévisager férocement avec une attitude bestiale.

— Pour savoir comment tu réagirais, pauvre idiot.

Si cette phrase m'avait poignardé en plein cœur, je n'en montrai rien et feignai l'indifférence.

— Ai-je réagi comme tu l'entendais ? dis-je à la place.

— Oui, répondit-elle avec un sourire à en glacer le dos, tu as pris l'épée. Cela signifie que tu n'es évidemment pas de mon côté et que tu veux donc ma mort.

Mon cœur rata un battement. Son raisonnement était logique, j'avais fait une erreur en prenant l'arme, cela voulait dire que j'avais peur d'Henriette et que je n'étais pas un ami. Sous le choc, je lâchai la lame qui s'écrasa par terre en un fracas strident. Le sourire d'Henriette s'élargit et elle pointa son fer sur mon cou et je me retrouvai en très mauvaise situation. Les mains levées, je n'arborai plus mon petit air narquois et regardai Henriette d'un air furibond et triste. Ses yeux plongèrent dans les miens et je sentis son bras faiblir quelque peu.

— Quand je t'ai vu la première fois, Mira, raconta-t-elle, j'ai eu pitié de toi. Oui, tu étais peut-être propre en bonne santé. Mais ce qui m'a inspirée cette pitié, c'est surtout le fait que tu semblais dénudé d'ambition. C'était mon premier sentiment à ton égard. Alors, quand tu m'as annoncée que tu voulais embarquer sous mes ordres, je t'ai vu différemment.

Je retins ma respiration, ayant les larmes aux yeux en voyant celle que j'avais aimée me menacer de mort.

— Quand cette révélation s'est offerte à moi, j'ai pu te contempler d'une autre manière, continua Henriette, implacable. Je t'ai trouvé très beau et, encore aujourd'hui je dois l'admettre, tu es plus beau que l'étoile du soir elle-même. J'ai rêvé que tu me tiennes dans tes bras à longueur de nuit, soupira-t-elle, je te voulais pour moi. Mais c'est alors que, le soir où j'avais pris ma décision de tout t'avouer, tu as fini par ruiner mes espoirs. Et par la suite, ta léthargie m'a dissuadée de continuer à t'aimer. Je ne sais plus combien de jours nous séparent de cet incident, mais je souhaite ne jamais plus en entendre parler.

Ma gorge se serra car la lame toucha mon cou et s'y promena. Henriette s'approchait très lentement de moi.

— Quand tu es sorti de la cave, que tu es venu me voir, tu t'es à moitié excusé. Puis, tu m'as avouée que je m'étais trompée sur toute la ligne, que finalement, tu m'aimais comme moi je t'aimais. Nous sommes repartis sur une bonne base et nous pouvions vivre notre amour pendant longtemps...

— Nous le pouvons encore !

— Silence ! me rabroua Henriette en accentuant la pression faite sur mon cou. Tu n'es pas en position de parler !

Je n'allais pas tarder à exploser si elle continuait à parler de la sorte.

— Où en étais-je ? Ah oui ! se souvint-elle. Notre magnifique "amour" ! Pendant ta léthargie, nous avons débarqué au Cap. J'étais sur les nerfs et je n'ai pas fait attention à l'endroit où nous venions de débarquer. Si j'avais été plus réceptive, j'aurais tout de suite su que l'air y était malsain. Mais non, ma colère envers toi m'habitait jusqu'au plus profond de mon être et je ne pouvais rien entendre de positif, que ce soit sur toi ou sur les autres marins. Et maintenant, à cause de toi, regarde dans l'état où nous sommes !

Henriette avait hurlé cette dernière phrase. Je me suis demandé par la suite si elle savait pour la malédiction. Après avoir terminé ce récit douloureux, elle tourna la tête vers moi et me regarda comme si elle avait envie de commettre un meurtre.

— Mais dis-moi, Mira, murmura-t-elle doucereusement, pourquoi es-tu venu dans ma cabine, si tu savais que tu n'en ressortirai pas vivant ? Serait-ce un acte de bravoure de ta part ?

Elle rit à sa blague mais ce ne fut pas le son que j'avais entendu auparavant. C'était une menace qui semblait toucher tous ceux qui étaient instantanément pris dans son piège et malheur à celui qui essayait de s'en échapper. Je décidai de lui répondre sincèrement :

— Tu m'autorises enfin à parler, commençai-je, alors je ne vais pas gâcher ce temps précieux avec des paroles inutiles.

Henriette me regarda avec un petit sourire vainqueur et attendit la suite.

— Tout ce que tu viens de dire, Henriette, est absolument vrai. Mais quand tu es allé au Cap, c'était pour retrouver le capitaine Hérault. Hélas, tu as perdu cet objectif de vue et tu t'es mise en tête que j'étais la source de tous tes problèmes.

Ses yeux se voilèrent.

— N'oublie pas que c'est toi, qui nous a conduits ici, assenai-je.

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