Chapitre 38
***Johan***
J'entrai, peu sûr de moi, dans la cabine d'Henriette sous ses ordres. La poignée me céda et je poussai la porte qui protesta en grinçant. Je fis un pas, retenant ma respiration. Cela faisait longtemps qu'elle ne m'avait pas fait demander pour ses ordre à faire passer. Je m'interrogeais souvent comment j'avais fait pour me retrouver sur un bateau plein de mystères, tellement plein que nous en faisions tous une indigestion. Le bonheur nous égayait un jour avant que le malheur nous obscurcisse la vue, nous déchirant les entrailles à chaque pas que nous faisions.
Nous en étions à la phase où nous ne pouvions manger car la peur de la tempête, la peur de voir notre capitaine sombrer dans son état d'esclavagiste et la faim elle-même, nous empêchait d'avaler un morceau. Le résultat en était que les marins étaient éparpillés un peu partout sur le bord, vomissant ce qu'il n'avait pas mangé, pleurant dans quelques recoins, ne parlant sous aucune raison.
C'était triste à voir mais même Henriette était dans cet état. Nous l'étions tous, plus ou moins atteint de ce mal. Seul Mira semblait survivre à cela. Pourquoi ? Il était amoureux. J'aimerais être naïf comme lui mais je sais qu'il faut que quelqu'un se rende compte de notre situation. Je me le devais.
— Ah, Johan ! Entre !
Ce que je vis me surpris un peu. Henriette m'attendait, assise sur la table en tailleur, au milieu de cartes qu'elle avait longuement mémorisées mais qui ne servait plus à rien, maintenant qu'elles étaient imprimées dans sa tête.
— Je sais ce que tu penses, Johan, mais c'est le prix à payer pour contourner cette fichue tempête.
Elle attaquait directement sur le sujet, cette lionne.
— Le mal qui nous ronge est temporaire mais il faudra le supporter si nous voulons en sortir.
— Je comprends, répondis-je, apeuré, mais ne pouvons-nous rien faire pour...
— Que veux-tu faire, Johan ? Abréger nos souffrances en nous jetant par dessus bord ? Ils n'attendent que ça, dehors ! Ils savent qu'ils ne réchapperont pas de la tempête, ils ont peur ! Se suicider maintenant arrangerait toutes leurs souffrances ! Non, je ne les laisserai pas mourir, hors de question. C'est une épreuve. Il avait dit que cela serait plus dur, ajouta Henriette pour elle-même.
— Qui a dit ça ? relevai-je, inquiet et suspicieux.
Elle ne répondit pas, perdue dans ses pensées. Henriette devenait folle. Bonne-Espérance l'avait rendue folle. Je rageai, je n'aurai jamais dû la laisser entrer dans cette maison avec un inconnu ainsi attifé. Je m'en voulais. Maintenant, Henriette devenait superstitieuse.
— As-tu vu Mira, récemment ? me demanda-t-elle soudainement.
— Mira ? Il fait son travail, à la vigie.
Elle tapa du pied pour marquer son énervement.
— Bien sûr, sombre idiot, je le sais. Mais as-tu vu comment il se comporte ? C'est le seul qui ne semble pas être touché par l'ambiance actuelle du navire.
Ainsi, je n'étais pas le seul à l'avoir remarqué. Je fixai Henriette d'un œil méfiant.
— Oui, je l'ai vu. Tout le monde le voit. Il semble résister.
Ma capitaine repartit dans son attitude rêveuse. Elle murmura quelques mots que je pus discerner grâce mon ouïe très fine :
— Peut-être devrais-je l'enfermer une fois de plus...
— Non ! m'écriai-je, si fort qu'Henriette sursauta.
Elle me regarda comme si elle ne savait pas que j'étais là. Ses yeux trahissaient un mélange de crainte et de réflexion intense. Henriette avait un bon fond. Mais toutes ces aventures lui étaient montées à la tête. Cela devenait psychologiquement grave mais d'un niveau très élevé.
— Non ? répéta-t-elle. Pourquoi non, Johan ?
Son ton était devenu félin, comme si elle essayait d'amadouer une proie pour qu'elle vienne se frotter contre son torse. Face à un tel changement d'humeur, je m'expliquai timidement mais fermement.
— Tu ne peux pas enfermer Mira, Henriette... Pas sans que je sache pourquoi tu veux lui faire subir cela. Nous sommes au bord d'une hécatombe, d'une mutinerie. Les hommes ne peuvent plus manger à cause du mal qui hante ce pays que nous avons profané. Il ne faut pas que tu donnes une autre raison aux marins de se déchaîner contre toi. Une fois a suffit pour l'arrestation de Mira. Une répétition de ce calvaire pourrait mal tourner. Ne fais pas ça, Henriette. Tu aimes Mira, non ? Pourquoi faire ça à l'homme de ta vie ? Que t'a-t-il donc fait ?
Henriette me regarda. J'avais les larmes aux yeux. Une première, dans mon histoire. Elle s'approcha de moi et mit sa main sur mon épaule.
— Johan, ne te mets pas dans un état pareil, enfin...
Des larmes silencieuses coulèrent sur mes joux. Henriette n'était plus Henriette. Elle avait laissé place à une fille qui était suicidaire, qui ne savait plus distinguer la cruauté de la bienfaisance.
— Je fais mon devoir, continua-t-elle.
Elle nous tuera tous. Si nous restons avec elle, elle nous tuera tous, jusqu'au dernier.
— Il faut l'enfermer. Je te jure que cela ne me fait pas plaisir.
J'allai éclater si elle continuait à parler ainsi. Nous allions tous mourir.
—Mira est notre perte à tous. Il faut le tuer.
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