Chapitre 36
***Johan***
— Réduisez la grande voile !
Les marins se ruèrent dans les mâts en hurlant de rage. La mer faisait violemment tanguer le bateau et des énormes vagues s'écrasaient sur le pont. Le ciel, noir, menaçant, laissait échapper des gouttes de pluies si lourdes qu'elles s'aplatissaient sur mon crâne et que mes cheveux étaient mouillés en moins de deux.
— UNE CORDE A LÂCHÉ !!
— JE NE TIENS PLUS LE GOUVERNAIL !!
Dieu nous en voulait, à coup sûr.
Quelques heures avant cela...
— Tu triches, Henriette ! s'exclama Mira, boudeur.
La capitaine éclata de rire.
— Pas du tout, Mira ! J'applique juste mes lois !
— Quelles lois ? s'étonna son amant. Il n'y a que les règles qu'il faut respecter !
Une lueur de malice s'alluma dans les yeux de la belle blonde.
— Oh, mais mon métier de pirate m'oblige à tricher partout et à tirer les meilleurs avantages.
— Henriette ! s'exaspéra Mira. On avait dit que tu laissais tomber tout ça quand on était tous les deux !
Je riai de bon cœur et Henriette se retourna.
— Mais c'est qu'il y a Johan ! Oups, je suis obligée de tenir compte de mes préceptes, Mira ! Désolée ! Et puis, sincèrement, la belotte, c'est un jeu très facile et je me demande toujours, comment tu fais pour perdre tout le temps ? Ce n'est pas sorcier, quand même !
L'après-midi se passait tranquillement. Henriette, Mira et moi nous étions retirés dans la cabine du capitaine pour se reposer et se détendre. Il faisait beau. Mais ce soleil était assez narquois. En mer, ne jamais se croire soulagé quand Frère Soleil montre sa jolie face pendant deux bonnes heures. Il est toujours symbole d'un mauvais signe. Par précaution, j'avais demandé à un vieux marin d'analyser le temps pour aujourd'hui. Il avait de bonnes expériences en mer et la météo n'avait pas de secrets pour lui. Bien sûr, il n'avait que fait confirmer mes soupçons. Une tempête en mer se préparait pour la fin de journée. C'était pour cela que j'avait fait rentrer mes deux amis dans la cabine, malgré leurs protestations.
Le ciel s'assombrissait de minutes en minutes et je l'observais d'un œil mauvais en attendant que cela éclate. Quand la pluie se mit à tomber, j'arrêtai les deux tourtereaux dans leur dispute et les avertissai de la suite de la journée. A la suite de la nouvelle, je vis Henriette se tendre d'un coup et son sourire s'évanouir. Cela ne dura que quelques secondes et Mira lui-même ne l'avait pas vu, mais cela ne m'avait pas échappé. Elle le remarqua bien et hocha la tête. Je soupirai et sortis sur le pont ou l'eau commençait déjà à affluer.
De retour au présent...
Je me ruai sur le petit pont pour aider le marin à tenir le gouvernail. Nous tirâmes de toutes nos forces pour redresser le bateau.
— Plus fort ! Allez ! l'encourageai-je.
Une vague violente vint s'écraser sur nous et le gouvernail nous échappa des mains. Le bateau chavira et heurta un récif. Un bruit affreux se fit entendre de la coque. Je ne pouvais songer aux dégâts et m'empressais d'ordonner :
— Que dix marins descendent à la cave pour réparer la coque ! On évacuera l'eau quand nous serons tirés d'affaires !
Ce qui ne sera pas le cas dans les prochaines heures. Le gouvernail tournait à une allure folle et tout le monde peinait à rester debout. Je fis l'effort de me relever et essayer d'atteindre le volant... je n'y arriverai jamais. Il était trop loin et je ne parvenais pas à rester en équilibre quand soudain, une ombre passa devant moi en coup de vent, me faisant trébucher sous la surprise. De l'eau s'écrasa sur moi et je fus pendant quelques instants noyé. Quand je pus voir à nouveau, ce que je vis fut une source de clarté. Henriette avait pris le gouvernail entre ses mains et le soulevait du mieux qu'elle ne pouvait. Elle hurlait sous l'effort mais tenait bon. Vite, je me relevai et courrai l'aider. A trois, avec le marin qui nous avait rejoints, nous étions arrivés à redresser le bateau et le faire sortir du récif. Je me tournai vers Henriette pour la féliciter mais elle ne fit aucunement attention à moi et cria à tous les marins :
— L'œil de la tempête est au Nord ! Notre destination est à l'Ouest ! Nous allons contourner cette tempête.
L'équipage la regarda en hochant la tête.
— J'ai deux nouvelles, continua Henriette. une bonne et une mauvaise, si mes doutes sont bons. La bonne, c'est que, d'après les faits météorologiques, nous sommes tout près de la fin de la tempête. Si nous continuons de bon train, dans quelques temps, vous pourrez faire sécher vos caleçons !
— Hourray ! s'exclament les marins.
Henriette avait une mine impassible et il faisait sombre, je ne pus décrypter son humeur.
— Mais la mauvaise nouvelle va apaiser votre joie, mes amis !
Puis elle s'adressa à moi en chuchotant :
— Johan, les provisions, nous en avons assez pour tenir au moins un mois ?
Etonné, je répondis :
— Sincèrement, Henriette, je pense que si on se rationne à deux repas par jour et très diminués, nous tiendrons deux mois. Mais va imposer ça à ces hommes. Nous risquons la révolution ou pire, la mutinerie.
— Nous ferons notre possible et eux aussi, répliqua-t-elle.
Elle se remit à parler aux marins.
— Mes amis, l'heure est grave. Nous avons vaincu cette tempête, mais nous ne sommes pas tirés d'affaires, loin de là. Je pense que nous sommes à mi-chemin entre Bonne-Espérance et Luanda. Mais... La tempête va se propager jusqu'à Luanda. Nous ne pourrons l'affronter une deuxième fois, les dégâts de la première sont très violents. Je vous annonce que nous allons tracer jusqu'à Saint-Malo.
La foule se tut. Tracer jusqu'à Saint-Malo. Cela fait presque plus d'un mois de voyage. Elodie posa la question que tout le monde avait sur les lèvres.
— Aurons-nous assez de provisions ?
Un silence de mort plana avant que Henriette se décida à répondre.
— Nous pensons, avec Johan, que si nous nous restreignons à deux repas par jour et très diminués, nous pourrons tenir jusque-là. Je sais que je vous en demande beaucoup ! s'exclama Henriette parmi le tumulte grandissant. Je sais que cela va être dur, très dur, et que notre pire ennemi ne sera plus la tempête mais la faim ! La faim ! Je le sais ! Comme vous tous, je suis humaine et nous ne pouvons résister à nos besoins vitaux ! Mais je vous en pris, c'est ça ou NOUS MOURRONS TOUS EN TEMPETE EN ESSAYANT DE REJOINDRE LUANDA !
Cette dernière phrase laissa muet tout le monde. Ils regardaient tous Henriette qui, pour la première fois, les avait suppliés de lui obéir. Elle avait raison, je le savais. Mais envisager tout cela comme ça, c'était très dur à digérer. Peu à peu, les marins levèrent la main comme signe d'approbation puis ils retournèrent à leur poste en silence. Seule Elodie demeura statique en transperçant Henriette du regard. Cette dernière le tenait et ne cachait plus son désespoir. Enfin, Elodie s'en alla, montant dans les mâts. Mira s'approcha de nous, par derrière. Il est vrai que je ne l'avais pas vu pendant le discours d'Henriette.
— J'espère que tes propos sont justes, Mira, lâcha Henriette sans se retourner. Ce que je viens d'annoncer sera irréversible, nous ne pourrons pas changer de cap si il s'avère que tu t'es trompé.
— Non, Henriette, nous n'aurons pas à changer de cap, assura-t-il. Je te jure que la tempête se dirige vers ma ville natale.
J'étais abasourdi.
— C'est toi qui a dit cela à Henriette ?! Mais depuis quand as-tu des connaissances maritimes ?
Mira parut atrocement vexé.
— Je me suis renseigné, Johan ! Ne m'accuse pas comme ça ! Pendant que je regardais les bateaux sur le port de Luanda, j'ai pu observer le temps et me renseigner ! Je voulais être prêt !
Je soupirai, énervé.
— Nous allons te faire confiance, nous n'avons pas le choix.
Puis je me dirigeai vers le gouvernail. Avant de les laisser, j'entendis Henriette souffler à Mira :
— Il est très préoccupé, ne fait pas attention à ses paroles. Au fond, je le comprends.
— Oui, ne t'inquiète pas, je le sais, répondit Mira.
Un silence passa.
— Je vais rejoindre Elodie, annonça-t-il.
Il fit quelques pas quand Henriette l'appela.
— Mira !
— Oui ?
— N'ou... N'oublie pas que... que tu as fait chavirer mon cœur.
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