Chapitre 29
***Mira***
Emprisonné. Je suis emprisonné. Dans les cales. Au fond du bateau. J'ai des fers aux mains. Aux pieds, aussi. Une grille de métal, incassable, se tenait face moi. L'humidité était présente partout. J'étais seul.
Je m'autorisai à y penser, juste un peu, à ma soudaine solitude. Certes, je l'avais souvent fréquentée, ces derniers jours, mais je ne m'attendais pas à la revoir de si tôt. Non, je lui avais dit au revoir, tout à l'heure, sur la nacelle, avec Elodie. Et pourtant, la voilà encore avec moi, comme un fantôme me hantant. Elle qui se faisait passer pour une amie, la sinistre ombre de solitude se transformait en monstre assoiffé de moi. Comment avais-je pu rester avec une personne aussi malsaine ? Le désespoir, sans doute. Oui, c'était la seule explication. Le désespoir et elle étaient amis. Des associés. Quelle vaine, je suis tombé sur le pire couple du monde entier !
Mais... Comment étais-je arrivé là ? Je ne me souvenais même plus. Je craignais d'avoir reçu un choc assez violent, ma mémoire me faisait défaut. Non, peut-être pas, finalement. Je me mentais certainement à moi-même, comme je l'avais tant de fois fait. Mon cœur essayait sans doute de convaincre mon cerveau que je n'avais rien fait, rien entendu qui puisse me choquer. Mais ce premier résistait à l'envie d'abandonner l'information, et tentait assurément de récupérer cet instant de ma vie perdue. Pour qui prenai-je parti ? Je ne savais. La peur, la folie et l'inquiétude me transperçaient de toute part. Je ne pouvais plus réfléchir ou me concentrer sans revenir au même point de départ, cette fameuse information qui me manquait. Alors oui, je sus, à ce moment-là, quel parti je prenais : je voulais avoir mon morceau de mémoire manquant. Absolument.
Un bruit de ferraille me fit sursauter. C'était un vieux marin qui venait m'apporter la boustifaille (Ndla : la nourriture). Il s'approcha en sifflotant, avec un plateau à la main, comportant un verre d'eau et une bouillie mal cuite. L'homme posa le plateau sur un tonneau et vint ouvrir ma cage. Il me regarda, sincèrement navré.
— Pauvre jeunot, souffla-t-il.
— Apporte-moi ma nourriture au lieu de me plaindre, sale ivrogne.
Le vieux haussa les épaules et fit ce que je lui demandais.
— Tu sais, tout le monde est ivrogne, sur ce rafiot, continua le marin. Tous, sauf toi. Même la cap'taine boit. Alors tu sais, cette insulte nous fait d'office plaisir à entendre.
Je crachai sur le sol, de manière à prouver ma répugnance.
— Comme tu veux, dit-il, un sourire contrit sur les lèvres.
Et il s'en alla toujours avec ce petit sifflotement joyeux. Me revoici de nouveau seul. Peut-être aurais-je dû être plus gentil avec ce marin, il m'aurait certainement aidé à retrouver la mémoire. Mais, au fond de moi, je ne voulais pas que ce soit lui qui me révéla mon incident. Je voulais que ce soit Henriette, Henriette et elle-seule.
Deux jours plus tard...
Je devenais fou de jour en jour. L'obscurité de la cale était telle que je ne savais plus comment était la lumière du soleil. Je ne prenais plus en compte les jours qui passaient, la notion du temps était impossible à suivre dans un endroit aussi sombre. Je pouvais me réveiller dans la nuit, en pleine journée, mais à quoi bon préciser que je ne savais pas lequel des deux étions-nous.
Trois jours plus tard...
Je ne dormais plus. Je ne mangeais plus. Je ne parlais plus. Le vieux marin habituel venait toujours m'apporter à manger, mais il n'arrivait plus à me sortir un mot de la gorge. Je pensais qu'il trouvait cela normal, mais sa figure montrait des signes d'inquiétude à chaque fois.
Je n'en avais rien à faire.
Beaucoup de temps plus tard...
Mes rêves, que dis-je, mes cauchemars me hantaient, m'emprisonnaient dans ma solitude, ne me laissaient aucun répit. J'étais sans cesse tourmenté, si bien que, bientôt, des cris de douleur montèrent en moi. Je les poussais, n'ayant d'autre choix. Peut-être que tous les marins m'entendaient, car je hurlais sans pouvoir m'arrêter. Toutes les journées, toutes les après-midi, tous les soirs, toutes les nuits, je criais, je hurlais à la mort, sans pouvoir m'arrêter.
J'étais enseveli sous une culpabilité énorme, un poids, un lourd fardeau qui me courbait, mais je n'en poussais pas moins un long gémissement plaintif. Je voulais mourir. Et je ne savais même pas pourquoi. Le marin ne venait plus me voir pour m'apporter à manger, parce que je ne mangeais plus et parce que tout le monde avait peur de me voir ou de m'entendre plus fort que toutes les autres semaines passées.
Je veux mourir. Mourir. Bel et bien mourir. N'avoir plus d'esprit. Ne plus penser. Ne plus savoir. Ne plus pouvoir bouger. Ne rien faire.
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