Chapitre 21
***Mira***
Une femme.
Une femme. Une femme.
Une femme capitaine. Une femme.
Une femme commandante.
Une femme qui avait presque le même âge que moi. Une femme qui...
— Je sais à quoi tu penses, Mira, me coupa la fille de mes pensées.
Elle était blonde, ses cheveux un peu en pagaille mais qui devaient être ébouriffé par le vent. Ses yeux étaient marrons, encore plus pétillants que quand elle les avait cachés. Sa taille était enserré d'un corset et son pantalon était moulé au niveau des jambes. Elle se tenait droite, ce qui imposait une forme de respect à tous ceux qui la croisait. Dès que je repris conscience de moi-même, je remarquai qu'elle s'était déjà rhabillée en vieux loup de mer.
— Tu penses que ma place n'est pas ici. Eh bien tu te trompes, souligna-t-elle.
La fille se rassit et prit une autre gorgée de bière. Ce geste qui m'était paru anodin pour un homme me remplit de dégoût envers une femme, comme si elle violait les lois de la nature.
— Mais... vous êtes une femme.
— Considère moi comme un homme si cela peut te calmer, rétorqua la femme. Je ne veux que du "capitaine" à bord. C'est tout. Alors, acceptes-tu de prendre le large sous mes ordres ?
Je ne pouvais prendre ça comme un ultimatum, ce n'en était pas un. Pourtant, je le sentis comme tel. La femme capitaine me fusilla du regard et je baissai misérablement les yeux. Logiquement, je ne pouvais accepter. Jeanne me l'aurait déconseillé. Elle m'aurait dit d'attendre qu'un autre bateau s'amarre au port. Mais, mon instinct me soufflais d'aller avec cette femme, aussi dangereuse soit elle. En plus, elle n'avait même pas mon âge. Mais elle imposait le respect envers ceux qui l'accostaient. Je soupirai. Maintenant, mon avenir était en jeu.
— J'accepte.
***Johan***
J'avais trouvé sans problème un réparateur de bateau. Ce n'était pas le problème principal. Il pouvait nous aider à remettre le navire en forme, mais nous n'avions pas assez d'argent pour le payer. Je m'en étais aperçu en vue du magasin. Henriette pouvait penser à tout et à rien. Tellement imprévisible.
— Monsieur, quel est votre problème ? me demanda poliment le réparateur.
— Je voudrais que vous nous aidez à réparer un navire, celui qui vient d'entrer au port, lui répondis-je.
Il m'observa rapidement et se mit à consulter son registre.
— Pour quand voulez-vous partir de Luanda ?
Je réfléchis à toute allure.
— Mmh, dans deux mois, tout au plus.
L'homme marqua quelque chose sur son gros livre.
— Quels sont les dommages causés ? s'enquit-il.
— Un trou dans la coque, d'environ d'un bon mètre.
Il hocha la tête.
— Très bien, votre prix sera de... 100 louis d'or.
Je faillis m'étrangler sur place.
— 100 ?! Pour si peu ?!
Le monsieur leva la tête vers moi, un air préoccupé sur le visage.
— Écoutez, dit-il. Votre problème peut être réparé en moins d'une heure, et encore, vous ne devriez même pas avoir besoin de l'aide de mes ingénieurs ou de moi-même ! Alors, pour le déplacement, nous vous rajoutons un supplément.
J'étais ahuri par cet homme qui avait tout analysé sous cet angle en si peu de temps. Mais je ne me laissai pas démonter pour autant.
— Pas besoin de cinq de vos hommes, sir, un seul expert suffira ! L'équipage servira de main d'œuvre ! ripostai-je.
— Et alors ?! s'emporta-t-il. Votre problème est le plus mineur de tous ceux auxquels mon agence et moi sommes confrontés !
Je fermai les yeux, tentant de calmer la colère et l'injustice qui s'éveillaient en moi. Il me fallait prendre toute cette affaire avec du recul pour ne pas s'énerver. J'espérais qu'Henriette ne déteignait pas sur moi avec sa mauvaise humeur !
— Monsieur, nous aimerions, mon capitaine et moi, refaire de cette coque la sublime protection, qu'elle nous a offerte pendant près d'un mois de navigation. Mais, vous savez, l'argent ne cours pas dans les rues, comme ce garçon.
Je pointai du doigt un petit homme, qui devait avoir l'âge d'Henriette, et qui courrait sur les toits. Sur les toits ! Bon dieu, je me précipitai en dehors de la boutique pour l'observer. En sortant, j'eus le temps de distinguer une silhouette emmitouflée qui le suivait et qui portait... MON écharpe !
"Henriette !" pensai-je.
Mais que faisait-elle, poursuivie par son assaillant ?!
— Monsieur, nous n'avons pas réglé notre affaire ! me cria le réparateur du fond du magasin.
Je revins dans la boutique, regrettant de ne pouvoir m'extirper de là plus rapidement.
— Bon, rechignai-je. Gardez-moi sur la liste d'attente, je reviendrai avec mon capitaine pour réenvisager ce contrat. Mais nous n'avons pas encore cédé pour les 100 louis d'or ! lui rappelai-je, en sortant définitivement de l'agence.
Une fois dehors, je regardai de tous les côtés pour voir si le poursuivant d'Henriette et elle-même était toujours dans le coin. Apparemment non. Un soupir exaspéré et fatigué m'échappa. Dommage, j'avais raté la bagarre...
***Henriette***
— Que c'est lourd !
Je ris. Il allait devoir en faire des grosses charges, ce Mira ! Après être sortis de la taverne, je lui avais rappelé encore une fois qu'il était sous mon ordre, malgré nos âges similaires et mon sexe différent. Il avait acquiescé, se rendant compte que cela pouvait être humiliant. J'avais esquissé un petit sourire en coin, me délectant d'avance de le faire un peu souffrir, juste pour qu'il goûta d'avance de la méchanceté de l'équipage.
— C'est normal, mon gars ! dis-je, en m'étirant les bras.
Il grimaça devant moi. Mira portait un énorme sac de légumes tous frais, mais très pesant. Nous avancions moins rapidement, mais il tenait quand-même une bonne allure. Et je n'avouerai jamais que j'en étais impressionnée.
Pendant qu'il était dans l'effort, je pus le dévisager à mon aise, sans trop forcer non plus. Mira était grand, peut-être moins que Johan. Sa peau était cuivrée, mais pas mate. Il devait avoir des parents vraiment blancs. Ses cheveux étaient noirs, longs jusqu'aux épaules. On pouvait dire que cela lui donnait un charme car le reste de son visage était parfait. Aucun défaut ne pouvait se lire sur sa jolie face.
Je détournai vite la tête, un moment que je me disais que j'abusais de lui. Je mentirai en disant que c'était la seule raison d'arrêter de le regarder. Car, en fait, il me faisait penser à Loïc. Oui, mon bon Loïc, mon ami d'enfance, mon confident, mon frère... Je ne pouvais pas m'autoriser à penser à lui maintenant.
— Capitaine, vous semblez soucieuse, remarqua Mira.
Je sursautai. J'avais oublié sa présence, quoiqu'elle ne fut très discrète. Pleine de rage de m'être fait prendre dans un moment de faiblesse, qui plus était une nouvelle recrue, je lâchai :
— Je suis un homme, Mira ! tonnai-je. Emploie le masculin ! Et puis, n'importe quel homme peut être soucieux !
J'avais bien appuyé sur le mot "homme" et quelques passants tournèrent la tête vers nous. Je remerciai le ciel d'avoir pensé à une écharpe pour cacher mon visage rouge de honte ! Une fois passés la foule, Mira, avec un sourire moqueur, me chuchota :
— Si tu es un homme, fais attention à ta voix ! On aurait presque dit un demoiselle en détresse - ce que tu étais - si on t'avait enlevé ton masque !
Je rougis encore, tandis qu'il rigola de ma gêne. Son rire était si cristallin que je faillis oublier le tutoiement qu'il avait employé et que j'étais sensée le rabrouer. Mais son hilarité et sa bonne humeur était contagieuse, je ne pouvais m'y contraindre. Je dis néanmoins :
— Demoiselle en détresse toi-même !
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