Chapitre 20

***Henriette***

Ce jeune homme devait avoir le même âge que moi. Ou plus, peut-être. C'était assez drôle de voir cet enfant m'appeler "Messire" car il ne m'avait pas reconnue en tant que femme.

J'avais décidé de l'emmener dans une taverne. Vous vous demanderez pourquoi, j'allais juste gagner son refus.  Mais je comptais lui révéler mon identité et je ne serais qu'à l'aise dans une taverne. Je voulais lui montrer que ce n'était pas à cause de mon sexe que je ne me comporterai pas comme un vrai flibustier. Je ne jouerai pas des castagnettes ni ne ferai la sensible sur mon bateau. Elodie en fera de même. Il fallait que je lui prouve ce qu'était aussi la vie de tout bon marin. La taverne était un avant goût de l'ivresse, de la dureté des paroles que les membres d'un équipage pouvaient formuler. Cet enfant devrait aussi s'habituer à l'odeur de l'alcool car, sauf Johan, tout le bateau ne s'en privait pas. C'était une de leur raison de vivre.

Ce malheureux gars des rues aurait beaucoup à apprendre et à endurer.

***Mira***

Je suivis docilement le capitaine, ne posant aucune de ces questions qui me brûlaient la gorge. J'avais peur de son refus à ce que j'embarque, à ce que je prenne le plus faible poste qu'il pouvait m'offrir.

Mais aussi, craignait-il mon inexpérience ?! Cela expliquerait qu'il m'emmena dans une taverne, la plus recluse de toute. J'affichai tout à coup un mince rictus. Je travaillais actuellement dans une auberge, moi. Je savais dominer cette odeur pestilentielle qu'était l'alcool. Si l'homme voulait tester mon immunité contre cela, il n'allait pas être déçu.

On entra donc tous les deux dans l'établissement. Le capitaine poussa la porte et, tout de suite, l'odeur ambiante s'infiltra dans mes narines. Je faillis grimacer, mais je sentis le regard curieux du capitaine sur moi, alors je me redressai. Nous nous avançâmes dans l'allée où pleins d'ivrognes mal rasés et de gens sales s'avachissaient sur leur chaise, répandant dans l'air leur haleine fétide. L'éclairage du bar était très bas et l'on ne voyait pas grand chose. Pourtant, le capitaine marcha dans une direction bien précise, comme si la luminosité faible ne le gênait pas dans sa trajectoire. Je le talonnai, essayant de ne pas montrer ma répulsion.

— Une bière, aubergiste ! commanda le capitaine, à un autre homme à une mine peu avenante.

Ce dernier grogna dans sa barbe et s'en alla chercher une grosse chope de bière. Puis, il revint et posa son regard sur moi. Déstabilisé de retenir son attention, je jetai un coup d'œil au capitaine qui me souffla tout bas :

-Que veux-tu boire ?

Je sursautai vivement, embarrassé. C'était donc ça que voulait l'aubergiste...

— Un verre d'eau, s'il vous plaît, m'empressai-je de dire.

Peut-être que avais-je dit quelque chose d'hilarant car le capitaine rit à s'en étrangler, et le serveur me regarda comme si je venais d'une autre planète. Il partit chercher ma commande et revint avec un verre transparent, rempli à ras bord d'une eau cristalline. Le capitaine paya nos boissons, toujours en riant, et on s'installa plus sur une table, écartée des autres. Enfin, le corsaire s'arrêta de rigoler, mais on voyait bien qu'il était toujours hilare. Il but une pleine gorgée de bière et, dès que cela fut fait, il posa brutalement sa chope sur la table, la faisant vaciller. Le capitaine m'observa attentivement, mais je ne distinguais pas son visage, car son manteau et son écharpe recouvrait sa face. Je ne pus que percevoir ses yeux, et encore, son tricorne les cachait.

— Comment t'appelles-tu ? m'interrogea-t-il.

— Mira, M'sieur.

— Tu es mate de peau, ou bien blanc ?

Je fus surpris par cette question. Il avait l'œil observateur.

— Mes parents étaient blancs, mais je suppose que ma peau s'est teinte au soleil.

Il me dévisagea entièrement, sans aucune retenue. Je fis de mon mieux pour ne pas céder à l'énervement et la panique.

— Pourquoi veux-tu partir de Luanda ? demanda-t-il.

J'avais soigneusement préparé ma réponse à cette question. Avec tous les bateaux qui étaient entrés au port toutes ces années, toutes ces conversations de recrutement que j'avais espionné, je savais à quoi m'attendre.

— Je suis orphelin, élevé par une bonne nourrice. Mais mon demi frère et ma demi sœur ne m'ont jamais aimé et me font souffrir le martyre depuis ma naissance. Ce n'est que quand je suis allé pour la première fois sur les quais que j'ai eu le goût de la mer, de la navigation. J'en rêve depuis ce jour, et j'essaye de gagner ma vie pour embarquer et de me forger les mains pour être à la hauteur d'un mousse dans les cordages. Je veux partir de Luanda.

Le capitaine me fixa dans les yeux, me transperçant jusqu'au fond de mon être.

— Tu as l'air passionné, constata simplement l'homme.

— Je le suis ardemment, M'sieur. Je ne désire que ça, rétorquai-je.

— Alors, disons que tu es à moitié engagé.

J'ouvris grand les yeux, autant que mes orbites me le permettaient.

— C'est... C'est vrai ?! bégayai-je.

— A moitié, j'ai dit, répéta le capitaine. Il me faut quelques petits renseignement pour te faire monter à bord.

— Tout ce que vous voudrez ! m'exclamai-je, impatient.

Le capitaine but trois fois avant de daigner me répondre.

— Tu ne vas pas manquer à ta nourrice ? s'enquit-il.

Je baissai piteusement la tête. Oui, Jeanne allait me manquer et je suppose que l'inverse sera aussi vrai. Mais cela faisait longtemps que je ne vivais plus sous son toit et qu'elle ne me voyait plus. Elle s'était habituée à ne plus m'avoir dans les pattes. Et puis, elle avait ses deux misérables enfants pour la distraire de son chagrin.

— Je ne peux pas dire le contraire, lâchai-je, mais ma décision est déjà prise.

Comme pour cacher ma soudaine tristesse, je bus mon eau qui, avec l'odeur de l'alcool, avait pris son goût.

— Je vois, fit le capitaine. De plus, j'ai bien vu que cet endroit t'est familier. Et, à en croire ce que tu m'as raconté, tu devais être garçon de café. Excellent. Mais, malgré cette...

Le corsaire désigna tout bar, avec ses gens soûls, presque morts.

— ... masse de personnes puantes, tu sais que sur une bateau, ce n'est pas mieux. L'équipage a des accès de colère et surtout, un très mauvais langage.

— Je le sais, M'sieur, le rassurai-je.

Mais je ne faisais pas le fier. Je détestais malgré moi cette ambiance.

— Mouais, fit le capitaine, avec une moue non cachée. Quel poste aimerais-tu obtenir ?

Je répondis sans hésiter :

— Je veux celui de la vigie.

Le capitaine sourit, enfin je crus le voir sourire.

— Très bien, tu l'auras. Une dernière chose, la plus capitale.

Je me redressai, attendant avec impatience cette dernière forme de contrat.

— Mes hommes ont accepté de voyager avec moi à une condition. Sous le commandement...

Le capitaine se leva et enleva son manteau, son écharpe et son tricorne. Je retins ma surprise, mais j'ouvris quand même ma bouche.

-... d'une femme, termina le capitaine.

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