Chapitre 12

***Johan***

La capitaine de la Diligente m'était fort appréciable. Bon, d'accord, je pensais cela juste parce qu'elle m'avait promu à une tâche plus importante que celle que l'on m'avait confiée au départ, mais je lui trouvais un brin de sympathie. Même si elle nous avait prouvé qu'elle n'était pas une sucrée ( Ndla : ce mot que vous avez déjà vu, "sucrée", est celui qu'on utilisait pour qualifier les jeunes filles trop protégées, trop fortunées pour faire le ménage, etc...), au contraire, plutôt une furie enragée. Elle avait failli tuer un homme ! Mais en même temps, ce malheureux l'avait cherché.

J'avais été second du capitaine René Duguay-Trouin, un fabuleux marin, ce qui m'avait valu d'être propulsé à cette promotion, sur la Diligente. Duguay-Trouin avait confiance en moi car j'étais son ami d'enfance, et il n'avait pas voulu que je sois réduit au statut de mousse. Mais, l'erreur qu'il avait fait, était que, comme j'entrai depuis peu dans la marine, je ne connaissais aucun précepte pour m'adapter au comportement de l'équipage. Je ne savais pas comment m'incruster dans quelques conversations, me faire respecter. Alors, imaginez le bonheur que j'avais eu quand, à l'heure de mon engagement, la cap'taine m'avait nommé lieutenant ! Plus besoin de se poser des questions sur le pourquoi du comment, je n'avais qu'à mener à bien les missions du capitaine sans trop me fatiguer et me faire injurier. 

Je pouvais même aider le second, Ronald ! En parlant de celui-ci, c'était une vraie bête sauvage. Il était tout mignon à côté du capitaine, mais avec nous, c'était un homme soûl, toujours en rogne et prêt à fouetter les autres marins. Feignant comme il n'était pas permis, il ordonnait sans lever le petit doigt pour prêter main forte à l'équipage. Le prétexte qu'il était second lui donnait raison et il n'était pas tenu d'aider dans la manœuvre. Les marins n'auraient pu qu'être d'accord. Mais le simple fait qu'il soit détestable avec eux donnait aux marins une envie de meurtre. Quant à moi, je m'éloignais souvent de lui pour ne pas être contaminé de cet état malsain, mais mon travail m'obligeait malheureusement à m'en approcher.

— De Lourbes ! Viens voir par ici ! 

Tiens, c'était justement ce gros lourdaud qui m'appelait. Je grimpai docilement jusqu'au perron et attendis qu'il m'expliqua ma venue. Mieux valait se montrer obéissant et attentif qu'irrespectueux et détestable.

— Tu vas me remplacer pour la manœuvre le temps de ma sieste, compris ?! exigea-t-il.

Je soupirai.

— Compris.

Et il s'en alla. Je me dis que le voyage ne serait pas de tout repos. Me posant sur le bastingage, je regardai les hommes s'affairer. L'eau semblait calme et il n'y avait presque rien à faire. Mais tout le monde ici serait d'accord qu'après un brin de toilette, le bateau aurait une meilleure forme. Alors, les hommes s'affairaient au bien être du navire. Les regardant s'activer, je me serais presque endormi d'ennui, quand la vigie cria :

— Un bateau à tribord !

Je me relevai en sursautant et hurlai :

— De France ou autres ?

— Ils hissent leur pavillon ! De France !

Je me ruai dans la cabine du second, mais il dormait. Tu m'étonnes, il devait être plein comme une barrique de cidre. Je courrai voir le capitaine dans sa cabine et toquai.

— Oui ?

— Capitaine, bateau à tribord ! Il est français !

— A toi de faire tes preuves, Johan ! me répondit-elle, derrière la porte. Si tu es là, ça veut dire que Ronald dort. Alors, vas-y, fais ce que tu ferais. Si l'action est bonne, verras bien qui sera second !

Je restais planté devant sa porte, essayant de comprendre l'allusion qu'elle venait de faire et quels étaient ses ordres. Alors, sans plus réfléchir, je me ruai sur le perron.

— Rétrécissez les voiles ! Nous allons nous approcher pour voir s'ils sont ennemis ou pas ! Armez les canons ! Ne tirez que sur mon ordre !

Les marins étaient si heureux de recevoir des ordres, qu'ils passèrent à l'action sans plus tarder. Je pris la lunette que Ronald avait laissée (Ndla : lunette est égale à longue-vue) sur le perron. Je la braquai sur le galion. Nous nous approchions dangereusement l'un de l'autre, et j'avais peur que ce soit un bateau ennemi. Dans ce cas, j'aurais besoin de l'aide du capitaine : je ne pourrais pas gérer seul cette situation.  Le navire était assez volumineux mais, à première vue, ne comportait pas de canons. Ne voulant pas faire d'erreurs, j'appelai :

— Elodie !

La femme vint me voir, tout en lorgnant ce bateau du coin de l'œil, l'air mauvais. 

— Que penses-tu de ce navire ? l'interrogeai-je.

— Cela sent la supercherie, répondit-elle, sans détourner le regard de la frégate. Cela peut être un bateau ennemi. Soit marchand, soit rôdeur. J'opterai pour la deuxième proposition. Si c'est le cas, je me demande ce qu'il vient faire là.

J'étais étonné de son exposé si détaillé. Elle me demanda ma lunette que je lui donnai.

— Mmmh..., fit-elle, je pense qu'ils n'ont pas de cannons. Mais, ce qui me dérange, c'est que, si c'était un bateau marchand, il y en aurait un autre qui couvrirait ses arrières. Autrement dit, c'est louche.

Elodie doutait et moi, je ne savais pas comment réagir. Je courrai une fois de plus vers la cabine du capitaine et toquai plus fortement, cause de ma nervosité.

— Capitaine ! Nous avons besoin d'aide ! Nous ne savons la vraie nature de ce bateau !

— Cannons ? demanda-t-elle.

— D'après Elodie, il n'y en a pas !

— Bateau protecteur ?

— Aucun !

— J'arrive.

Elle ouvrit la porte et sortit sans me jeter un coup d'œil. Je le suivis, toujours sur le qui-vive. La jeune fille regarda à son tour par la longue-vue, et son air était circonspect. Ses sourcils se froncèrent quelque peu et elle se mordit la lèvre.

— De toute façon, nous ne servons pas encore le roi de France, en déduisit-elle. Si c'est un bateau ennemi et qu'il n'a réellement pas de cannons, ni de protecteur et qu'il est marchand, nous le dévaliserons. Dans le cas le contraire, nous le laisserons en paix.

Elle ne put en dire plus, car nous approchions déjà du galion. Nos coques étaient côte-à-côte. La capitaine positionna ses mains autour de sa bouche pour former un porte-voix et commença à parlementer.

— Holà, du bateau ! 

— Bonjour ! 

Ce fut une voix robuste qui lui répondit. Voyant qu'elle avait affaire à un homme d'expérience, Henriette souffla dans ses mains pour se donner de l'assurance.

— Nous sommes du royaume de France ! reprit notre capitaine.  

— Et nous, nous revenons d'une recherche d'un des navires coulés de votre pays ! Nous rentrons à Brest ! 

Une vague de soulagement s'empara de moi, de même que pour la capitaine. La guerre n'était pas pour aujourd'hui.

— Je vous laisse passer ! N'avez-vous pas eu d'ennuis, seul et sans cannons ?! interrogea-t-elle encore.

— Non, pas de quoi fouetter un chat ! Pourtant, ce n'était pas gagné ! Bon, à bientôt !

Et la communication s'arrêta là. La femme corsaire reposait son porte-voix quand Ronald arriva, tout endormi et zigzaguant, encore sous l'effet de la boisson. Je n'aurais jamais voulu être à la place du second pour sentir planer le regard rempli de haine de notre capitaine. 

— Je... Je peux tout vous expliquer, bégaya-t-il.

La cap'taine s'approcha de Ronald, s'arrêta devant lui, le dévisagea de la tête aux pieds, et le huma. Je pensais qu'elle allait faire la grimace, sous l'effet infect de l'alcool. Elle n'en fit rien.

— Whisky pur feu, murmura-t-elle, si bas que seul son interlocuteur et moi pouvions l'entendre.

L'intéressé hocha la tête. La femme le fit en même temps que lui, l'air faussement compréhensif, comme avec le lieutenant, l'autre jour.

— Vous savez que cette booisson endort, c'est un très bon somnifère... Enfin, bon, tout est dans le goût, hein ?

Ronald hocha encore la tête, naïvement. Je le plaignis sincèrement.

— Je ne vais pas te faire subir le même sort que l'autre. J'ai du respect pour ton ancien grade. Tu seras mousse. 

Le second continua d'hocher la tête, stupidement. Il ne comprit pas les dires de notre capitaine.

— Allez. Dégage, sale ivrogne, le congédia-t-elle, en lui soufflant dessus.

Et, pour toute réponse, il tomba par terre, raide comme un piquet, évanoui.

— Eh ben v'là autre chose ! dit De Nîmes, nonchalamment. Emmenez cette grosse carcasse à l'infirmerie. Et toi, petit, vient avec moi dans ma cabine.

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