Chapitre 36


-Gabriel ?

Ce nom ne franchit mes lèvres qu'en faible murmure. Totalement choquée, j'observai ce corps cramé qui ne pouvait pas être le sien.

Qui ne devait pas être le sien.

Tremblante, j'oubliai Zeus et Cérynie et des larmes commencèrent à couler, inarrêtables. Je fus consciente que ma panthère s'était mise entre lui et moi, mais je ne m'en souciai pas. Je rampai vers le corps, car mes jambes avaient perdu toute envie d'exister. Elles réagissaient avant ma propre consciente.

-Gab...

La voix lointaine de Zeus me parvint :

-Voilà la preuve de ta dangerosité ! Ils meurent tous en ta présence !

Passée le stade du choc et du déni, une colère sourde s'empara de moi. Je me levai, le corps toujours tremblant, mais pas de tristesse. Je me retenais de m'élancer et de le tabasser. 

Son sourire finit par disparaître, il semblait inquiet.

-Tu connais les 7 phases du deuil, papy ? Primo, le choc.  Secundo, le déni. Tertio, la colère et mon poing se fera un plaisir de rencontrer ton beau visage divin.

Ma voix n'était qu'un grognement sourd et sauvage. Lorsque je levai les yeux du cadavre pour regarder mon ancêtre, mes yeux devaient être dépourvus d'une quelconque humanité. J'avais en face de moi ma proie, et c'était tout ce dont je me souciai. Je le tuerais, que j'en meurs ou non.

De l'autre côté de la clairière, Zeus reprit un semblant d'assurance. Il se permit même un petit rire.

-Chasseresse, je suis le roi des Dieux, et tu ne l'es qu'à demi. Saches que j'ai maîtrisé ta mère sans difficulté.

Je souris, totalement calme.

-Tu n'as pas joué dans les règles, papy. Je ne le ferais pas non plus.

-Thina, reprends-toi.

Même si Cérynie gardait une posture défensive en face du dieu, je perçus son inquiétude. Je n'étais plus en train de délirer, j'étais totalement consciente que je n'avais aucune chance. Je tentai juste de gagner du temps. Joan et les autres ne devaient pas tarder. Enfin, je l'espérai. En réalité, nous avions cherché ma mère pendant plusieurs jours sans la trouver, cependant, ce qui se passait maintenant devait certainement les aider.

Mais ils n'arrivaient toujours pas, ce fut quelqu'un d'autre.

Le hennissement maintenant familier retentit depuis le ciel. Zeus avait repris cette assurance que je lui enviais tant. 

-Malgré tous ces espoirs sur toi, tu ne restes qu'un puceron à mes yeux. Tu ne mérites même pas que je m'abaisse à te combattre.

Bien gentil mais aussi très con de ta part.

J'avais survécu à deux cavaliers annonciateurs de l'apocalypse, pourquoi pas un troisième ?

Le vieux sembla comprendre ce que je pensais.

-Ne t'inquiète pas, tu ne risques pas de t'ennuyer avec lui. En réalité, tu n'en auras pas le temps.

Et il disparut dans un éclair aveuglant. 

Je commençai sincèrement à en avoir marre de rester en vie. La chance me souriait constamment, et j'avais peur du jour où elle déciderait d'arrêter.

-Thina ?

Cette voix familière se trouvait derrière moi. Elle retentit alors que la terre commençait à trembler.

Troisième catastrophe plus ou moins naturelle.

Je me retournai et mes cheveux me fouettèrent le visage, m'empêchant un cours instant de voir qui se tenait en face de moi. J'entendis malgré tout Cérynie jurer, chose rare.

Me dépouillant avec ma tignasse emportée par le vent, je tentai de voir ce qui causait autant de souci à ma panthère. Il me fallut quelques clignements d'yeux pour comprendre que c'était vrai.

-Gabriel ?!

Son petit sourire me fit fondre à nouveau. À nouveau, des larmes commencèrent à couler sur mes joues sans que je m'en rende compte. Souriante, je m'écriai :

-C'est toi ?!

-Thina...

Cérynie ne semblait pas aussi heureuse que moi de le voir en vie. Franchement, elle commençait à m'énerver d'être aussi froide. 

Totalement bouleversée mais également heureuse, je fis un pas tremblant vers mon incube préféré. 

-Ce corps... comment as-tu survécu ?!

Je jetai rapidement un regard vers le cadavre à quelques mètres de moi. Mais qui était-il ? Nous n'avions été que quatre dans cette clairière, et l'un d'entre nous avait disparu lorsque cet homme m'avait sauvée, les conclusions étaient faciles !

Apparemment pas.

Je fis un deuxième pas vers Gabriel puis commençai à courir vers lui, totalement soulagée. Je tombai de nombreuses fois sous les secousses violentes du tremblement de terre, mais je continuai.

-Tu es en vie ! En vie !

Malheureusement, Cérynie m'arrêta dans ma course et se mit devant moi, les poils hérissés.

-Thina, ce n'est pas... 

-Mais putain, dégage ! Il a survécu, Cérynie !

Le sourire éclatant de Gabriel et ses bras tendus me poussaient à me réfugier contre son torse. 

-Gab ! Viens !

Il ne sembla pas m'entendre et cessa de sourire. Je m'arrêtai un instant d'être hystérique. 

-Gab ?

Enfin, sa voix retentit dans la forêt.

-Je suis mort par ta faute.

Il y avait une petite nuance dans sa voix qui me fit froncer des sourcils. Près de moi, Cérynie cracha. Confuse, je tentai :

-Mais enfin, qu'est ce que tu racontes ? Tu es vivant !

-Et ça ?

Il m'indiqua le corps calciné et continua :

-Tu crois que c'est qui ?

-Mais ça ne peux pas être toi, vu que t'es là...

J'étais totalement bousculée. Mais qu'est ce qu'il me racontait ?

Pourtant, il se contenta de me regarder comme si j'étais responsable de tous les malheurs sur Terre. Son regard me persuadait de mon implication. D'un rire nerveux, je tentai de m'y soustraire :

-Voyons Gab... Je ne peux pas être responsable d'autant de malheurs...c'est inhumain...

-Justement, tu ne l'es pas.

L'incube que je connaissais ne m'aurait jamais traitée de cette façon... n'est ce pas ?

J'avais l'esprit totalement embrouillé. À côté de moi, je voyais Cérynie me regarder avec insistance... Elle semblait me dire quelque chose, mais je n'entendais rien. Je jetai rapidement un regard désespéré vers le cadavre qui gisait au sol. Ce que je vis ne fit que renforcer mon angoisse.

-C'est ridicule...

Il haussa un sourcil. Je continuai :

-C'est toi qui t'es jeté sur moi pour me sauver ! T'aurais pu me laisser crever !

-Tu es bien plus importante que moi.

-Tu n'as pas l'air de le penser.

Il sourit.

-Une jeune fille à peine adulte qui se découvre un lien de parenté avec une déesse des bois... Extrêmement dangereuse !

-Ne parle pas de ma mère comme ça ! Elle est plus puissante que tu ne le seras jamais !

-En effet, puisque je suis mort.

Mon visage était entièrement baigné de larmes...Tout revenait à chaque fois à moi. Avec raison ?

-Je n'ai rien fait pour tout ça...

-Tu as vécu, ça suffit.

Je levai les yeux et l'observai à travers mes larmes. Finalement, il s'approcha alors que je reniflai très gracieusement. D'un geste prudent, il me prit les mains.

-Chut... Tu peux arranger ça...

Mais qu'est ce qu'il me disait là ? Je devais les sauver, pas les laisser tomber.

-Ils ont besoin de moi !

-Crois-tu que tu leur fait plus de bien que de mal ?

Son regard dévia vers le mort et je le suivis. De cette manière, je vis Cérynie, légèrement en retrait. Elle ne semblait pas bien.

-Céry ? Tu vas bien ?

Elle ne me répondit pas, ne me jeta pas même un regard. 

-Mon chat ?

La panthère se tenait aussi immobile qu'une statue.

-Thina...

La main fraîche de Gabriel se posa sur ma joue et me força à le regarder.

-Même en existant, tu fais du mal à ceux qui t'entoure, la preuve.

-Je dois partir, alors ? Loin ?

-Tellement loin que tu ne rencontras personne. Viens avec moi.

-Où ça ?

Son regard reflétait toute la tendresse d'un homme amoureux, j'en étais toute émoustillée.

-Là haut. Meurs pour moi comme je l'ai fait pour toi.




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