2 - REPRÉSAILLES (PARTIE 2)

— Je vais faire au mieux pour couvrir cette histoire, reprend Erik, mais tu connais les journalistes. Ce sont de vrais vautours. Je te veux loin du terrain pendant les prochaines semaines.

Mon soulagement, immense, se confronte à ma culpabilité. Van Adrichem m'arrête dans mon élan :

— Tu n'imagines pas les conséquences s'ils apprennent que la mort de Charlotte Schaap est de ton ressort. Si on découvre que la balle d'un de mes meilleurs agents s'est retrouvée dans le corps d'un otage, tu serais affichée comme une meurtrière.

— J'encaisserai.

— Je sais, mais combien de temps ? Les journalistes ne verraient pas ça comme un accident. Ils creuseraient plus loin, surtout que l'affaire concerne la BSVL, pas la police. Ce serait la garantie de perdre ton boulot et surtout, de finir en justice.

Il lisse un pli de sa veste avant de reprendre.

— J'avais prévu de t'en parler dans d'autres conditions, mais l'unité de Maastricht réclame un membre de la BSVL pour leur enquête. C'est pour cela que je voulais te voir, avant d'apprendre pour cette nuit.

— De la BSVL ? Qu'est-ce que la municipale veut faire d'un chasseur ? Lui coller une amende ?

Il ignore mon sarcasme.

— À vrai dire, ils cherchent quelqu'un qui a de la bouteille dans les enquêtes mais qui s'y connaît aussi en légendes. Je t'ai dit qu'ils avaient trouvé le corps d'une jeune fille à Maastricht hier. Ils soupçonnent une série de la part d'une légende, et ils ont besoin de quelqu'un pour résoudre ça au plus vite.

Ses mots me surprennent, et me replongent dans des souvenirs douloureux. Mon rôle d'inspectrice dans la police municipale, je lui ai dit adieu il y a deux ans. C'est tout ce que je trouve à annoncer à Erik. Il me renvoie un sourire amer.

— Après les événements de cette nuit, je vais devoir les rappeler et mettre quelqu'un d'autre sur le coup de toute façon.

— Je peux encore y aller. Je sais encore résoudre une enquête.

— Elisabeth, je viens de dire que je ne voulais plus te voir sur le terrain. Tu restes chez toi le temps que je règle ta situation... précaire.

— Je sais, mais vous savez que je suis douée pour pister les légendes. Je peux boucler ce dossier, et il me laisserait à distance d'Amsterdam.

Et surtout, dans la brigade de la police municipale. À reprendre un rôle d'inspectrice, loin de la violence crue de la BSVL. Mon regard s'échappe sur le Walter P99 posé sur la table. Dans un flash, les événements de la veille explosent sous mon crâne. Le visage blafard de Mark, l'odeur de plomb, les cendres dans la gorge, les éclats de verre, le coup de feu... Je serre les dents. J'ai besoin d'oublier cette nuit horrible. Je ne peux pas le faire en demeurant enfermée chez moi. Je m'éclaircis la voix. Erik perçoit mon regard sur lui et reprend la parole dans un soupir.

— Si tu cherches encore une fois à interroger un mythe et à faire passer tes ambitions personnelles avant ton boulot, tu dégages de la BSVL. Je compte sur toi pour rester discrète et à distance de la presse.

— Merci, commissaire. Quand est-ce qu'ils m'attendent ?

— Dès que possible, mais je veux que tu rentres chez toi et que tu dormes avant de partir.

Il ne cessera jamais. J'ignore si c'est le fait d'être célibataire ou de risquer chaque jour sa vie avec son équipe qui le fait se préoccuper autant de nous. Il est aussi sérieux que s'il me demandait de me jeter au sol pour éviter un tir. J'acquiesce, même si j'ai l'intention de partir dès que je peux. La moindre minute de sommeil me promet des cauchemars...

­— Vous avez plus d'informations sur l'enquête ?

­Il avale une rasade de café. Je note mentalement que je ferai aussi bien d'en prendre un avant de partir.

­— Ils avaient conclu à un suicide, avant que je leur propose de procéder à un second examen du corps cette nuit. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour examiner la scène de crime avant d'être rappelé ici, mais il y avait une empreinte typique de magie. Apparemment, d'autres incidents similaires se sont produits dans les Pays-Bas et ils pensent que la même légende pourrait être derrière tout ça, ce qui rend l'affaire d'autant plus urgente. L'autopsie n'a été autorisée que ce matin.

— Une idée du motif ?

­— Pas encore, admet-il. C'est inhabituel pour un mythe d'agir comme ça sans être repéré, vraiment inhabituel. Je te conseille de jeter un coup d'œil à la scène de crime avant de rejoindre les bureaux pour te faire ton propre avis.

Il m'indique la localisation des deux lieux avant de me libérer. Mark Laurens m'intercepte sitôt que je quitte le bureau.

— Hey, tente-t-il de sourire. Tu veux un café ?

De gros cernes soulignent ses yeux. À la façon dont il tient son bras contre lui, je devine qu'il a mal. Erik aurait dû lui donner sa journée. Je jette un regard autour de nous. Pour favoriser de bonnes relations entre les membres de son équipe, Erik a transformé les bureaux de la BSVL en open-space. Des dizaines de regards curieux sont braqués sur moi.

— Va pour le café, dis-je, désireuse d'échapper à tous ces gens.

Je dois arracher chaque pas du sol pour traverser les bureaux. Tête haute, dents serrées, je soutiens les œillades. S'ils ne connaissent pas le déroulé exact des événements de cette nuit, mes collègues savent très bien que ma convocation n'a rien d'anodin. Je mets un point d'honneur à réajuster le badge de la BSVL sur ma veste. Tant que je l'ai, je fais partie de l'équipe.

La salle de pause embaume le café. Mark ferme la porte derrière nous, une grimace de douleur sur les lèvres.

— Je n'arrive pas à croire qu'Erik ne t'a pas donné ta journée.

— Il l'a fait, me répond-il, laconique, mais je voulais être sûr que tu allais bien.

­Le bruit de la machine à café me dispense de répliquer tout de suite. J'avale une gorgée de l'expresso qu'elle me sert. Le liquide amer me brûle la langue.

— Je tiens le coup, dis-je. Par contre, je ne veux plus jamais que tu déformes les événements auprès d'Erik ou de qui que ce soit d'autre. Ce qu'il s'est passé cette nuit n'est en aucun cas de ta faute. Tu n'as pas à en subir les conséquences.

— C'était un accident, Betje. J'espère que tu es au courant, et surtout, que van Adrichem est au courant. Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

En quelques mots, je lui résume mon entrevue et mon départ à venir pour Maastricht. Mark soupire en se versant un second café.

— S'il écoutait les journalistes, tu serais déjà à la porte.

Je tressaute.

Ils sont au courant ?

— Toi tu ne l'es pas par contre. J'imagine que Erik n'a pas voulu t'inquiéter. Ils ont appris la mort de Charlotte Schaap par l'hôpital. Normalement, les causes du décès sont confidentielles, mais des témoins avaient vu les secours près du théâtre, et savaient qu'une légende et que la BSVL s'y trouvait. Les signalisations vont vite...

— Ça... ça ne prouve rien.

­— Non, et ils ne connaissent pas les causes exactes de sa mort et ne te soupçonnent pas, mais ils n'apprécient pas la BSVL. Pas étonnant que leurs titres soient vindicatifs et qu'ils fouinent partout.

Le monde bascule de nouveau. Je me rattrape à la machine à café et manque de renverser le reste de ma tasse. Je me redresse aussitôt. L'espace m'oppresse, soudain. Les lumières de la salle, l'air saturé de chaleur. Si les journalistes sont au courant, je n'ai aucune chance de camoufler l'affaire. Erik non plus. Je suis prise au piège, et je ne suis pas la seule. L'affaire ne retombera pas uniquement sur moi. Elle affectera l'ensemble de mon équipe. Erik sera blâmé de m'avoir laissé partir, et Mark de ne pas m'avoir assistée. S'ils ouvrent une enquête, ils auront accès à nos appels de la veille et à nos positions GPS, incluses dans toutes les combinaisons de la BSVL.

Sauf si...

Mon enquête à Maastricht, si elle m'éloigne d'Amsterdam et de ses démons, va aussi attirer l'œil des journalistes. Si des dizaines de légendes réapparaissent, il est pourtant rare qu'elles parviennent à tuer qui que ce soit avant qu'on leur tire en pleine tête. Une série n'est pas uniquement rare, elle est pratiquement impossible. Pour que la police de Maastricht demande des renforts de la capitale, c'est qu'ils manquent de pistes. J'ai peut-être quitté la brigade de la police judiciaire, mais même sans mon badge, je sais encore enquêter. Une bonne presse sur moi, si je trouve le tueur rapidement.

En attendant, Erik va devoir gérer les questions. Va-t-il faire passer le meurtre de Charlotte comme causé par la main de Diana ? Il pourrait tout aussi bien dire que l'otage a, dans une tentative désespérée, décidé de mettre fin à sa vie, perdue d'avance à cause du virus dans ses cellules. Envisager ses possibilités me file la nausée, et je suis incapable de trouver une réponse satisfaisante. Comment savoir si mon enquête à Maastricht suffira, alors que j'ignore ce que les journalistes savent ?

— Je dois passer à l'hôpital, annoncé-je.

— Pour avoir des nouvelles de Charlotte Schaap ? Autant directement dire aux journalistes que tu te sens coupable ! C'est toi qui dois me mettre du plomb dans la tête, pas l'inverse !

Il se rend compte trop tard de son terrible choix de mots. J'ai déjà repris :

­— Non, pas uniquement. Je dois passer faire des examens. Ma combinaison a été désactivée un bref instant cette nuit. J'imagine que tu y es déjà passé ?

­— Ouais, aucune trace de magie. Impossible d'apprendre grand-chose sur Schaap, par contre. Je ne connais pas le personnel de l'hôpital comme toi.

Ses derniers mots s'évanouissent au loin. L'angoisse vive des examens cliniques a remplacé le peu de soulagement qu'il me restait. Si je ne sors pas vite, je vais étouffer dans mon anxiété et ma culpabilité.

— Je dois y aller, dis-je. Je te tiendrai au courant. Essaie de ne pas te faire propulser contre un mur une nouvelle fois durant mon absence à Maastricht. Oh, et lis un peu plus de légendes.

— Tu parles ! Aux dernières nouvelles, c'est bel et bien la « douce et généreuse » Diana Schaap de la légende qui a essayé de me tuer, pas la sanguinaire Helena !

Je pousse un soupir.

— Fais juste attention à toi, OK ?

— Ne t'en fais pas. Bon courage pour ton enquête. 

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