Scène bonus La Guilde des Ombres, T1 : Le Don de mort

Bonsoir !

Lorsque j'ai effectué mes corrections éditoriales l'année dernière, et après avoir vu ça avec mon éditrice, j'ai retiré un court passage au début de la partie 1 du Don de Mort. Il n'apportait rien de spécial à l'intrigue, c'était plus un clin d'œil. Il était présent dans la version Wattpad, mais il n'est pas resté dans la version éditée. 

Même si cette petite scène ne contient pas de spoiler, il est préférable d'avoir lu au moins la partie 1 pour mieux la comprendre, la remettre en contexte et savoir de quels personnages il s'agit.

Ce passage est situé juste avant que Panama entre dans les souterrains de La Guilde pour la première fois, et juste après son adoption à l'orphelinat de Clepsydre par Faucheur et Fournaise. Elle a donc encore 11 ans : c'est au tout début du livre, vers la fin du chapitre 1. 

Belle lecture !

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L'estomac de la fillette criait famine. Elle n'avait pas mangé depuis la veille.

Cachée sous son couvre-chef, Jill rasait les murs en jetant des coups d'œil affûtés autour d'elle dans la rue. La mendicité ne lui avait pas rapporté une seule pièce aujourd'hui. La concurrence était rude au sein de la Cité des Vices qui grouillait d'orphelins comme elle et, de plus, les passants s'avéraient particulièrement radins en ce moment. "Période de crise", affirmait son amie Chana, une prostituée à peine plus âgée qu'elle. La fillette avait essayé de bander sa jambe dans le but de jouer les éclopées de service, sans récolter davantage de succès. Elle détestait cela, mais elle allait devoir à nouveau détrousser un pigeon si elle voulait avaler quelque chose avant la tombée de la nuit. Sinon, elle serait obligée de payer le chef en nature pour obtenir de lui un quignon de pain ou un fruit. Un frisson de dégoût la saisit à cette idée. Jill préférait encore mille fois voler, même si elle risquait de se retrouver véritablement infirme – avec un moignon en guise de main – en se faisant pincer.

La semaine dernière, au marché, la chance lui avait souri. La fillette avait réussi à subtiliser une jolie bague en argent sertie d'un grenat à une vieille dame des quartiers bourgeois de Clepsydre. La victime idéale. Après avoir repéré la roturière parmi la foule, elle l'avait talonnée et bousculée. La femme ne s'était pas rendu compte de son méfait. Fière d'elle, Jill s'était empressée d'aller donner son butin du jour au chef. En échange du bijou, elle avait eu droit à une récompense satisfaisante : deux jours complets de rations, qu'elle avait partagées avec ses plus proches amis.

Alors qu'elle cherchait un badaud à dépouiller, elle les vit.

Son cœur fit une embardée comme chaque fois qu'elle apercevait l'un d'entre eux dans la Cité des Vices – leur ville. La sensation d'étouffement qui la submergea lui était tristement familière...

La peur.

La tête rentrée dans les épaules, Jill s'aplatit presque contre le mur en marchant. Priant avec ferveur pour ne pas croiser directement leurs regards, elle ne pouvait s'empêcher de leur lancer des coups d'œil à la dérobée. Elle se faisait l'effet d'un lapin qui épie deux fauves venus boire à un point d'eau. Ils n'étaient pas là pour elle, mais ils n'en demeuraient pas moins source de danger mortel.

Ils étaient grands et de solide constitution. Celui de droite était un humain d'âge avancé. Des cheveux aussi argentés que ceux que Jill dissimulait sous son vieux chapeau et une paire d'yeux bleus irradiant de puissance tranquille. Celui de gauche était encore plus inquiétant. Un elfide. Un démon à la peau grise et aux longs cheveux sombres. Sa cuirasse rouge et noire soulignait un torse musclé. L'épée massive qu'il portait à la hanche droite était aussi terrifiante que lui.

Puis Jill la vit elle.

Toute petite chose entre les deux Ombres, elle détonnait par rapport à eux.

Une fillette rousse aussi maigrichonne et mal affublée qu'elle sous une cape noire. Le genre garçon manqué. Une Donnienne.

Un liquide glacé engorgea les poumons de Jill. Qu'allaient-ils faire de cette enfant ?

Tu le sais, siffla sa voix intérieure. Ce n'est pas une de leurs recrues, ça. Elle n'est pas elfide. Et la pleine lune aura lieu demain.

La mendiante connaissait ces rumeurs, en effet. Les histoires lugubres colportées en ville sur les maîtres de Clepsydre. Depuis toujours, les adultes la mettaient en garde contre les assassins de la Guilde des Ombres.

Les humains superstitieux croyaient dur comme fer que croiser le regard froid d'une Ombre revenait à regarder sa propre mort en face. Un vieil adage de Clepsydre allait jusqu'à préconiser de rédiger son testament dans ce cas de figure. Leurs Dons étaient perçus comme une forme de magie noire pour laquelle ils avaient vendu leurs âmes à la déesse de la Mort. Ils avaient été élus par leur déesse dans le giron de leur mère mortelle avant d'être allaités par son sein divin gorgé de sang juste après leur naissance. Dans les auberges des cités-reines, on racontait que les assassins de la Cité des Vices étaient immortels. Dans les tavernes de campagne, on murmurait qu'ils étaient des spectres de chair qui escortaient l'âme de leurs cibles jusqu'au royaume de la Mort, Brumyar. Sans oublier leurs prétendues tendances nécrophiles, propagées par les mauvaises langues qui les surnommaient "les baiseurs de morts." Jamais devant eux, cela dit...

Enfin, on leur prêtait des sacrifices rituels de jeunes humaines vierges à chaque pleine lune, destinés à honorer la soif de sang de leur maléfique Divine Mère.

D'où la présence de la Donnienne.

Un nœud pesant de miséricorde se logea au creux du ventre de la mendiante.

Comme si elle avait senti qu'elle était observée, l'autre fillette convergea ses yeux vers elle. Leurs regards s'accrochèrent. Jill fut surprise de ne pas décrypter la moindre peur dans celui de la gamine. La petite innocente ne semblait pas avancer sous la contrainte ; elle accompagnait les deux Ombres qui allaient l'assassiner de son plein gré. Qu'avaient-ils pu lui dire pour la convaincre de venir avec eux ? Elle avait beau être étrangère et probablement ignorante de leur identité, fallait-il être simple d'esprit pour ne pas percevoir la densité de la menace que représentaient ces hommes !

Jill ne pouvait absolument rien faire pour l'aider. Essayer de détrousser ces assassins aurait été une folie, mais tenter de sauver la fille qu'ils emmenaient aurait été un suicide.

Et Jill n'était ni folle ni suicidaire. Sa vie était assurément merdique. Pourtant, elle y tenait.

En désespoir de cause, elle se contenta de dédier un petit sourire désolé à la Donnienne.

Cette dernière la dévisagea comme si elle venait de lui envoyer une offense à la figure et lui adressa un doigt d'honneur qui laissa Jill proprement ahurie.

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