Chapitre bonus 2 La RC : "Secrets de femmes"


Enola

J'ouvre mes paupières gonflées de sommeil dans mes appartements richement décorés.

Seule.

Mes yeux embrumés volent vers le soleil qui brille entre les voiles azur derrière la fenêtre. Il est tard, presque midi. Je devais être encore plus exténuée par le voyage à cheval entre Astranis et Océanar que je ne le pensais. Nous sommes arrivés au château hier dans la soirée, bien plus tard que prévu, et le dîner à base de poissons et de coquillages avec les deux Régents Gelanes s'est quelque peu éternisé. Saradin s'est même endormi dans mes bras avant que le dessert soit servi sur la table, sa tête nichée contre ma poitrine. Ah, je l'enviais secrètement en me retenant de bâiller. J'écoutais distraitement mon époux parler politique avec les Régents tout en caressant les longs cheveux sombres et bouclés de mon fils, songeant que j'allais bientôt devoir les lui raccourcir.

En m'étirant de tout mon long, je pose ma main sur la place de mon époux dans le lit. Les draps sont froids. Sylvan s'est éclipsé il y a plusieurs heures sans oser me réveiller, a priori. Je constate au passage que je suis nue sous la couverture, ce qui implique qu'il m'a déshabillée hier soir. Je n'ai pas eu le courage d'enlever ma robe, à dire vrai. Je me suis affalée en travers du lit avec une élégance douteuse avant de m'endormir dans cette position. À tous les coups, j'ai ronflé comme un vieil ivrogne.

Après mes ablutions, j'enfile une robe typiquement Gelane, moins légère que les toilettes Falunes auxquelles je suis accoutumée. Elle arbore d'amples manches qui s'évasent au niveau des poignets, mais dévoile un décolleté arrondi et laisse les épaules nues. La couleur bleu nuit est assortie à celle de mes yeux. Elle est en velours brodé de délicates arabesques argentées. Ravissante, vraiment.

En ouvrant ma porte pour sortir de mes quartiers, je tombe nez à nez avec Selaine qui s'apprêtait à frapper au panneau en bois.

— Votre Majesté, vous êtes réveillée ! s'exclame ma dame de compagnie, confuse et surprise. Mais... vous vous êtes encore habillée seule ?

— Ton sens de l'observation s'aiguise au fil des années, fais-je remarquer avec amusement.

— Enola, pourquoi vous ai-je accompagnée à Océanar, au juste ? ronchonne-t-elle en croisant les bras avec une désapprobation flagrante. Une servante ne sert à rien si elle ne sert pas sa maîtresse.

Lorsqu'elle se comporte ainsi, elle me fait penser à son père, Daegan. Un héros mort pendant la guerre et dont nous honorons la mémoire tous les ans.

— Tu n'es pas une servante, Selaine. Tu es avant tout mon amie. En vérité, je tenais à ce que tu viennes pour savourer tranquillement ton séjour au bord de la mer. Prends du bon temps avec ton charmant soldat, j'ai demandé à Sylvan de lui donner sa journée.

Selaine s'empourpre en écarquillant les yeux. J'éclate de rire en la voyant si gênée.

Elle est devenue une belle et voluptueuse jeune femme. Depuis quelques mois, elle entretient une liaison en cachette avec un guerrier de la garde royale Falune. C'est Nadya qui, au courant de tous les potins d'Astranis, m'a confié ce petit secret durant une de nos parties de cartes hebdomadaires.

— Comment s-savez-vous...

— Mais je sais tout ce qui se passe sur Symbiose, Selaine. Je suis la fille d'une déesse, ce qui fait de moi une reine omnivoyante, plaisanté-je en lui donnant une pichenette délicate sur le bout du nez.

— S'il vous plaît, Enola, ne l'ébruitez pas. Ses parents ne savent pas que nous nous voyons et ils sont assez... conservateurs, précise-t-elle avec une pointe d'amertume qui me serre le cœur.

Le jeune homme est issu d'une famille noble, ce qui n'est pas le cas de son amante. Si les parents venaient à découvrir leur relation, ils seraient probablement furieux envers leur fils et lui interdiraient de revoir ma suivante.

— Aimes-tu cet homme, Selaine ? (Elle acquiesce.) Et réciproquement ?

Le sourire doux et triste qu'elle esquisse est éloquent. Je pose ma main sur son bras en guise de réconfort.

— Cette décision vous appartient, mais je pense sincèrement que vous devriez prendre votre courage à deux mains et arrêter de vous cacher. S'il y avait le moindre problème avec les parents de ton bien-aimé, Sylvan et moi interviendrons pour les raisonner. Je te le promets. Vous aurez notre soutien.

— Je vais en parler à Rahen, Enola. Merci, cela me touche beaucoup. Que désirez-vous manger pour votre petit-déjeuner ou... votre déjeuner, en l'occurrence ?

Je grimace en me tenant le ventre.

— Tout ce que tu veux, du moment que ce n'est pas du poisson. Mon estomac ne l'a pas très bien digéré hier soir, j'ai eu des nausées au réveil. Sais-tu où est Sylvan ?

Elle lève le bras et pointe son index vers le plafond. Ah, je l'aurais parié ! Cela signifie qu'il est avec Saradin. C'est leur petit rituel chaque fois que nous nous rendons au château d'Océanar, trois à cinq fois par an, pour régler les affaires du royaume Gelane avec les Régents. Tous les jours, mon époux et mon fils montent au sommet du donjon afin de s'entraîner. Puis nous allons nous promener en famille sur la plage, où notre enfant ramasse des coquillages et des galets pour compléter sa petite collection exposée dans la vitrine de sa chambre à Astranis. Ce sont nos précieux moments à nous trois... entre deux devoirs d'état.

— Enola, m'appelle Selaine tandis que je me dirige vers l'escalier en retroussant le bas de mes jupes.

— Mmmh ?

— Moi aussi, je suis une amie omnivoyante et je connais votre secret, minaude-t-elle avec un large sourire.

Je le lui rends. Elle est effectivement très observatrice, cette petite Falune.

— Ce ne sera pas un secret encore très longtemps.

***

En grimpant l'échelle menant au toit du donjon du château d'Océanar, un parfum iodé emplit mes narines. C'est l'odeur bienfaisante de mon enfance, que j'associe au village où je vivais avec ma mère et mon frère. Chaque fois que je hume cette odeur en foulant le royaume où j'ai grandi, tous mes sens s'apaisent. Je pense à ma famille d'adoption et je me sens sereine, car même s'ils ne sont plus là physiquement, ils n'ont jamais quitté mon cœur.

Je débouche à l'air libre. Un vent bien frais m'accueille aussitôt, ébouriffant mes cheveux d'argent que je n'ai pas pris la peine d'attacher. Je n'ai pas non plus pensé à me couvrir les épaules. Alors, je fais appel au peu de Magie élémentaire qu'il me reste pour réchauffer mon corps de l'intérieur grâce à mon feu Falune. Ma température augmente légèrement, me protégeant du froid ambiant.

D'ici un ou deux ans, je ne pourrais plus faire cela. Je suis une des dernières habitantes de Symbiose qui possède encore un peu de magie en elle. Sylvan, par exemple, n'est plus capable de manipuler les flammes depuis des mois. Même s'il ne m'a soufflé mot de son sentiment à cause du royal orgueil mâle qui le caractérise, je sens que cela lui manque. Dès qu'il commence à fixer la flamme dorée d'une simple bougie, son regard clair s'égare dans ses souvenirs mélancoliques. Il n'est pas le seul à éprouver ce vide. Ils sont nombreux sur notre île à déplorer la perte de leur Magie. Certains comparent cela à la perte d'un sens. Pour d'autres, le phénomène passe mieux. Cela dépend du vécu, de la mentalité, de la puissance et de l'usage qu'ils en faisaient au quotidien. C'est bien plus facile pour les enfants nés après la guerre, à l'instar de mon petit prince. On ne peut pas regretter ce qu'on ne connaît pas.

Mais j'ai confiance et je sais que mon mari s'y adaptera. Comme chacun d'entre nous. La magie est secondaire, nous n'en avons pas réellement besoin. La vie et la paix sont tellement plus importantes.

Le vent marin charrie des rires jusqu'à moi. Celui d'un enfant, clair et jovial, et celui, bien plus grave et puissant, d'un homme. Je me tourne vers leur source en maintenant mes longs cheveux plaqués en arrière d'une main.

Dieux, comme je les aime. Ils sont mon tout.

Armés d'épées en bois, les deux hommes de ma vie échangent des petits coups. Sylvan mesure sa force, bien évidemment. Il pare tranquillement les attaques énergiques et féroces de notre fils en lui prodiguant des conseils de temps à autre comme le faisait son propre père quand il était enfant. Oui, notre Saradin deviendra probablement un grand guerrier, à l'image de tous les Falunes de sa lignée... S'il le désire toujours à l'âge adulte. Je ne pense pas que mon époux l'obligera à suivre cette voie s'il décide plus tard de l'abandonner pour se consacrer à un autre domaine. Et même si c'était le cas... je serais là pour intercéder en faveur de Saradin et remettre mon mari dans le droit chemin. Mais cela ne m'inquiète pas et je doute que ce soit nécessaire. La plupart du temps, nous tombons rapidement d'accord au sujet de l'éducation de notre petit prince.

C'est Sylvan qui me repère le premier. Il se fige, son épée d'entraînement brandie à hauteur de son épaule, et détaille ma robe bleu nuit de reine Gelane avec un étonnement teinté... de concupiscence. Ma nouvelle toilette lui plaît beaucoup, visiblement. Saradin en profite pour cogner le plat de sa lame en bois sur sa cuisse musclée.

— Un autre point pour moi, père ! scande le petit garçon en bombant le torse.

— Cela ne compte pas, grogne mon époux en se frottant la jambe avec la paume. Ta mère m'a honteusement déconcentré.

Saradin pivote sur ses talons. Il lâche son épée en bois et, délaissant son combat, court dans ma direction. Je m'accroupis en ouvrant les bras. Il noue affectueusement ses bras autour de mon cou et, comme tous les jours, je l'embrasse sur la joue pour le saluer.

— Bonjour, mère ! Bien reposée ? (Je hoche la tête en lui souriant d'une oreille à l'autre.) Tu as vu, j'ai battu père à plate couture ! fanfaronne-t-il en pointant un petit doigt moqueur vers Sylvan qui nous rejoint.

— J'ai vu cela, mon petit amour, murmuré-je en levant des yeux taquins vers mon époux. Mais tu devrais le ménager davantage. Ton père n'est plus de première jeunesse, contrairement à toi.

Le souverain hausse un sourcil en entendant ma provocation sur son âge. Il n'a que vingt-cinq ans et gagne en sagesse d'année en année, mais parfois, il continue à prendre la mouche pour des broutilles. Une ombre fougueuse traverse ses yeux verts. Parfait. C'est justement la promesse de vengeance intime que je cherchais à susciter chez lui.

« Tu vas voir si je ne suis plus de première jeunesse lorsque nous nous retrouverons seuls, et ne compte pas sur moi pour te ménager. »

Qui a dit que les femmes ne pouvaient pas obtenir tout ce qu'elles voulaient d'un homme, y compris d'un roi, grâce à quelque ruse plus ou moins subtile ?

Je me lève en soulevant Saradin de terre pour le garder au chaud entre mes bras maternels. Glissant sa main sur la courbe de ma hanche, Sylvan se penche vers moi avec un sourire en coin et frôle mes lèvres d'un baiser doux mais insistant qui s'attarde suffisamment sur place pour me faire comprendre qu'il n'est pas dénué de désir. Le contact de sa barbe sur mon menton m'arrache un petit frisson. Cela tombe merveilleusement bien, puisqu'en ce moment, je suis extrêmement demandeuse au niveau des plaisirs de la chair. Après le repas, Selaine gardera notre fils pendant que nous nous retirerons dans notre chambre.

Et une fois que j'aurai eu droit à mon merveilleux orgasme, je pourrai raconter une nouvelle histoire à Sylvan afin de lui annoncer que je suis enceinte de notre deuxième enfant.

En revanche, j'attendrai encore un peu pour lui dire que je suis déjà sûre qu'il s'agit d'une fille.

Chaque chose en son temps. Il ne faut pas brusquer les guerriers Falunes.

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