2 Victoire
La soirée c'est fini tard et dans la bonne ambiance et je dois avouer que je ne suis pas mécontente d'avoir fait un changement de planning avec l'une de mes collègues. Je suis dans le service depuis plus de deux heures et malgré ma grasse matinée que j'ai pu faire ce matin, je suis déjà épuisée. Je viens de réaliser le premier tour de change de mon secteur et il faut que je recharge mon chariot de linge avant de partir rejoindre mes collègues pour servir le goûter aux résidents de la maison de retraite.
Je me saisis d'une pile de drap dans la lingerie et me dirige vers mon chariot de linge en portant mon chargement à bout de bras. Soudain je percute quelque chose et je finis sur les fesses, tout en maintenant mes draps bien en hauteur sur mes bras. Une douleur lancinante remonte de mes fesses jusque dans mes épaules. Je prends plusieurs inspirations pour calmer cette sensation désagréable qui me parcours le dos quand une voix se trouvant de l'autre côté de ma pile de drap lance :
- Je suis désolé, je ne vous ai pas vu en sortant de l'ascenseur !
Mes bras sont soudain délesté de la charge qui m'empêchait de me relever et je me retrouve nez à nez avec le mec de la veille. Il regarde autour de lui pour voir ou déposer les draps, il remarque mon chariot pas loin et va déposer le chargement dessus puis il revient vers moi et me tend la main pour m'aider à me relever. Je la saisie et je sens une décharge électrique parcourir mon corps. Une fois debout, je lâche rapidement sa main et en profite pour me frotter le postérieur qui continue de me lancer.
- Je suis vraiment désolé mademoiselle. Je regardais mon téléphone et je n'ai pas regardé ou j'allais.
- Ce n'est pas grave. Après tout, ca ne fait que la deuxième fois que tu me bouscules en moins de vingt-quatre heure.
A ces mots, il me regarde différemment. Ses yeux bleus me détaillent de la tête aux pieds tel un scanner, puis soudain il rigole en se passant la main dans les cheveux un peu mal à l'aise.
- Pardon, je ne t'ai pas reconnu ! En même temps, je ne m'attendais pas à te recroiser un jour et encore moins dans cet endroit, dit-il en faisant un geste vague de la main pour montrer le hall du secteur deux de la maison de retraite ou je travaille.
- C'est pas grave. Et puis il semblerait qu'on est du mal à se reconnaitre. Je m'excuse pour hier soir également.
- Pourquoi ? demande-t-il surpris.
- Je t'ai demandé ce que tu pensais de ton propre groupe...
- Ah ! Ce n'est rien ! Pour une fois qu'on ne me reconnait pas ! Mais je dois avouer que c'est un peu vexant.
- Je suis navrée. En fait, j'ai tellement aimé la musique et les paroles des chansons, que j'ai fermé les yeux pour mieux écouter.
Il me regarde avec un air amusé et je sens mes joues rougir sous la puissance de ce regard. Je suis comme hypnotisée par ces deux billes bleus et je ne peux plus bouger, ni même parler.
- Et bien, dans ce cas là, tu es pardonnée ! dit-il dans un souffle. Je m'appelle Baptiste.
- Oui je sais. Le mec du bar a dit ton prénom hier soir, dis-je bêtement.
Il me regarde comme s'il attendait plus de ma part. Ses lèvres s'étirant dans un magnifique sourire révélant une nouvelle fois ses belles dents blanches. Comme il continue de m'observer sans rien dire et que je suis un peu gêné par la situation, je lui dis :
- Quoi ?
- Et bien j'attends.
- Tu attends quoi ?
- Et bien je viens de me présenter, généralement l'autre personne est censée faire pareil en retour.
- Oh ! Pardon ! Je m'appelle Victoire.
Il sourit en prenant une nouvelle fois la main que je lui tends pour le saluer.
- Ravie d'avoir la chance de te croiser une nouvelle fois Victoire.
- Qu'est ce que tu fais ici ? Tu viens donner un concert à mes résidents ?
- Non mais ce n'est pas bête comme idée. En fait, je viens voir mon grand-père.
- Ah bon. C'est qui ?
- Lucien Riera.
- Ah d'accord et bien je t'arrête tout de suite, pas besoin que tu ailles jusqu'à sa chambre, il n'y est pas !
- C'est bizarre, généralement il reste dans son coin sans dire un mot !
- Je sais. Et ses journée devaient être très longue à mon avis. Ça ne fait pas longtemps que je suis affectée à ce secteur mais depuis que j'y suis, je le motive pour se remuer un peu.
- Génial, c'est super ça ! Tu peux me conduire à lui si ça ne te dérange pas ?
- Et bien... il me reste encore deux ou trois truc à mettre dans mon chariot...
Je regarde ce dernier pout évaluer ce qu'il me reste à faire. Baptiste me regarde en souriant et s'appuie dos au mur en me disant :
- J'ai tout mon temps. Tu peux finir ce que tu faisais avant que je ne te renverse et tu m'accompagnera après.
- Heu ! D'accord, je vais me dépêcher.
Je réinstalle mes draps qu'il a déposé en vrac quelques minutes plus tôt puis je retourne dans la réserve chercher des protections, des gants a usage unique et du matériel pour les soins de bouche. Je sens son regard qui suit chacun de mes gestes et je suis obligée de redoubler de vigilance pour être sur de ne rien faire tomber. Une fois mon chariot plein, je lui fais signe de me suivre tout en prenant un peu d'élan pour faire avancer l'engin qui à présent est plein à craquer.
- Et bien ! Il en faut du bazard pour quelques chambres, constat-il en me regardant avancer.
- Oh ça c'est rien. Il est bien pire le matin pour les toilettes !
Je gare le chariot à sa place et continue ma route pour conduire Baptiste à son grand-père.
- Cet après-midi, il y a chorale et ensuite ils prendront le goûté en bas.
- J'ai du mal à croire que mon grand-père participe à ce genre d'activité...
Il s'interrompt car nous arrivons devant le réfectoire ou l'activité a lieu. Des sons plus ou moins accordés s'échappent de la salle sur un air de Brel. Baptiste fait une pause pour écouter et regarder discrètement dans la pièce. La porte étant ouverte, nous avons la possibilité de voir sans être vu ! A la fin de la mélodie, Baptiste rentre dans la pièce et se rend vers son grand-père alors que je rejoins mes collègues qui sont en train de finir la préparation du goûté.
- Et bien, tu nous ramènes du beau monde ! me dit Florence en souriant et en faisant mine de s'éventer de la main.
- C'est le petit-fils de Monsieur Riera.
J'attrape le plateau sur lequel sont disposés des verres et une carafe d'eau puis, je commence à faire le tour des résidents pour leur servir la boisson fraîche.
- Monsieur Riera, je vous sers un verre d'eau ?
- Oui ! J'ai mal à la gorge avec vos bêtises ! bougonne-t-il en tendant la main.
- En tous les cas papi, je suis content de voir que tu participes aux activités !
- J'ai pas eu le choix ! La petite a été légèrement insistante... continue mon patient toujours aussi ronchon.
- Monsieur Riera ! On en a déjà parlé tout à l'heure ! Ça vous fera du bien de sortir un peu de votre chambre !
Il se saisit du verre et le sirote en gardant son air mécontent. Baptiste me sourit d'un air un peu gêné par l'attitude de son grand-père mais je lui répond également par un sourire pour lui montrer que cela ne me dérange pas, puis je passe à la résidente qui se tient à côté et qui tend déjà la main pour avoir son verre d'eau. Dans mon dos j'entends cependant Monsieur Riera dire à son petit-fils.
- J'ai accepté de venir car elle a promis de s'occuper de moi pour me recoucher ! Et ce petit bout de femme me plaît bien !
Un gloussement m'indique que Baptiste rit des propos tenus par son papi. Je lève les yeux discrètement au ciel tout en poursuivant mon travail.
A la fin du goûté, chaque résident rejoint sa chambre à son rythme. Alors que je rejoins la porte du réfectoire, la voix de Monsieur Riera m'interpelle :
- T'oublie pas quelqu'un par hasard petite ?
- Non ! Je me suis simplement dit que vous souhaiteriez que votre petit-fils vous raccompagne.
- Papi, elle a du travail, laisse moi te raccompagner...
Ce dernier reçoit un coup de canne dans le tibia suivit d'un regard menaçant, lui intimant de se taire.
- Ok ! Vous avez raison. Un accord est un accord.
Je reviens vers mon patient en souriant et lui tend le bras.
- Allez monsieur Riera, en route.
Il se lève tout sourire et nous entamons notre lent retour jusqu'à sa chambre. Je le suspecte de ralentir le pas pour profiter du moment. D'ailleurs Baptiste confirme ma pensée en disant :
- Tu as mal à la jambe papi ? Je trouve que tu as du mal à marcher aujourd'hui !
- Ouais bin on en reparlera quand tu aura mon âge ! râle Lucien en accentuant sa jambe qui traine. Je suis désolé de vous ralentir Victoire, me lance-t-il d'un air pas le moins du monde désolé.
- Mais non Lucien, on avait convenu votre retour. Alors qu'avez-vous pensé de cette après-midi chorale ?
- Qu'il va faire un temps de merde demain ! lâche-t-il naturellement.
C'est ce que j'adore avec ce patient ! Il n'a pas toujours de filtre et dit clairement tout ce qu'il pense. J'éclate de rire en entendant sa réplique et son petit fils en fait autant dans mon dos.
Arrivés à sa chambre, je l'accompagne jusqu'à son fauteuil puis je les laisse en disant que je repasse pour le dîner. En fermant la porte dans mon dos j'entends Baptiste lui dire :
- T'exagères, elle a du boulot tu sais...
- Oui bin c'était notre deal alors t'en mêle pas. Et puis je l'aime bien cette petite !
Baptiste rigoles en entendant cette phrase mais se fait vite rappeler à l'ordre.
- Et t'avises pas de lui dire !
- Y a pas de soucis, je ne la connais pas. Du moins pas encore...
- Victoire ! Tu peux venir m'aider s'il te plaît ? clame Florence depuis le bout du couloir, m'empêchant ainsi d'écouter la fin de la conversation.
Lorsque je reviens dans la chambre de monsieur Riera pour lui porter le repas du soir, je suis un peu déçu de constater que Baptiste est déjà reparti. Je ne peux m'empêcher de lui demander :
- Ça y est, votre visite est partie ?
- Ouais. C'est pas plus mal, je suis fatigué.
- Ah. Je vous serre le repas et je viendrais vous coucher dès que j'ai fini.
Il me fait oui de la tête tout en commençant à manger son repas. Je le regarde faire attendri tout en rejoingnant mes collègues pour finir de distribuer les repas.
A la fin de la soirée, je ne suis pas mécontente de finir le travail. Je suis en repos pour les deux prochains jours et j'apprécie d'avance le fait de pouvoir me reposer. Je monte dans ma voiture en coupant directement le son de la radio pour apprécier le silence. Durant le trajet, je me surprends à penser à Baptiste. Je revois ses beaux yeux bleus et son sourire charmeur. Je repense à la sensation de sa peau contre la mienne lorsqu'il m'a aidé à me relever. J'arrive chez moi, sans même mettre rendu compte du trajet.
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