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Le lendemain, Constant fut réveillé par des bruits de meubles glissant au sol. Il trouva Lucie dans le salon en train de changer la disposition des murs amovibles pour créer plus d'espace. Elle était aidée d'un pokémon qu'elle avait dû attraper récemment, puisqu'il ne le reconnaissait pas. C'était un Gravalanch à la peau de roches sombres et poreuses, signe qu'elle l'avait certainement trouvé sur un terrain volcanique
— Ah, Constant ! Le petit déjeuner est prêt ! Je fais un peu de rangement avant qu'on y aille ! Tu devrais aller voir ton bureau, j'ai fait quelques trouvailles en déplaçant une armoire !
Dans son bureau ? Dans l'ancien bureau de son père ?
Soudainement anxieux, Constant passa rapidement dans la pièce à côté et découvrit un véritable champ de désolation. Tous les classeurs qu'il avait amenés, tous les articles qu'il avait commencé à lire la veille, tout était éparpillé au sol, dans un coin, alors que la grande armoire à glace trônait au milieu de la pièce. A son ancien emplacement, une petite bibliothèque dissimulée dans le renfoncement du mur avait été dévoilée.
— J'ai réussi à allumer la télévision ! fit-une voix féminine depuis l'autre bout de la maison, Pifeuil, Gravalanch, aidez-moi à déplacer l'écran !
Le jeune homme n'y prêta pas attention. Il était obnubilé par cette bibliothèque secrète. Il ne se souvenait pas de cette cachette, et pourtant il avait exploré la maison de fond en comble pendant son enfance.
Un frisson lui parcourut l'échine. C'était certainement des documents secrets de son père, comprit-il.
A cet instant, Lucie entra dans la pièce, ses longs cheveux lâchés sur ses épaules. Elle sourit doucement et tendit le doigt vers le meuble.
— Tu savais que c'était là ? Je n'ai pas regardé ce qu'il y avait dedans, mais je crois que ça appartenait au Docteur Uemura !
Constant la regarda, pantois. Il n'arrivait pas à éprouver de la colère contre elle, pour avoir bougé les meubles de sa maison. Au lieu de ça, il était piégé dans une sorte d'ébahissement étrange. Il avait l'impression que le fantôme de son père venait soudainement de refaire surface.
Lentement, comme si un spectre allait en jaillir, il s'approcha de la bibliothèque. Il n'y avait que trois étagères, dont l'une contenait un cadre photo sur lequel étaient figés les visages heureux de la famille Uemura, du vivant de sa mère.
Constant prit le cadre entre ses mains et observa longuement ces visages si innocents. Un bébé souriant et deux parents unis. Il n'avait jamais vu ce cliché, et il lui semblait si étrange qu'il pensa un instant qu'il s'agissait d'un faux.
Cette scène avait quelque chose de bien plus vivant que tous ses souvenirs. Sans réfléchir, il retourna le cadre et en retira les accroches pour prendre la photo et la glisser dans la poche de sa chemise.
Les autres objets posés autour des livres avaient pris la poussière. Il s'agissait principalement de scuba-balls et d'outils de mesure anciens. Certains semblaient même antiques. Il y en avait un couvert d'étranges signes, semblables à des lettres d'alphabet. Constant s'en empara et regarda curieusement l'objet. C'était vraisemblablement une sorte d'astrolabe qui avait dû servir aux marins de l'Antiquité pour se repérer grâce aux étoiles.
Pourquoi son père possédait-il tous ces objets ? Il n'était pas archéologue. Et pourtant... lorsque Constant se concentra sur les livres, il découvrit d'autres titres qui n'avaient rien à voir, de près ou de loin, avec l'océanologie moderne. Il s'agissait de vieux ouvrages sur les légendes de Kanto, et plus particulièrement sur le dérèglement climatique dans les îles du Sud. Des témoignages de pêcheurs et d'anciennes tribus habitant l'archipel des îles Sevii et de Cramois'île.
C'était donc à cause de cela que son père était parti ? De vieilles légendes racontées par des marins et des insulaires arriérés ?
Constant avait du mal à y croire. C'était... encore plus décevant que de penser que son père l'avait abandonné pour une expédition scientifique. Il avait fait ça pour une rumeur, quelque chose d'aussi inconsistant qu'une légende.
Le jeune homme fut pris d'une vague de dégoût profond. Il s'apprêtait à jeter tous ces livres lorsqu'il tomba sur un autre ouvrage parlant de légendes, mais en Amazonie cette fois-ci... Là où sa mère avait disparu, aux sources d'un fleuve inexploré.
Il saisit le livre et l'ouvrit. Les pages étaient couvertes de notes, de données géographiques et de réflexions de sa mère partant sur divers trajectoires. Au milieu de l'ouvrage, quelques planches en papier glacé montraient des inscriptions étranges sur des ruines, dont les mêmes lettres étranges que celles de l'astrolabe posé sur l'étagère.
La légende parlait d'un pokémon originel, venu d'ailleurs, qui aurait été le premier de tous les pokémons sur terre. Mew.
Constant s'esclaffa de stupéfaction. Qu'est-ce que cela signifiait ? Cette fois, il était totalement décontenancé. Son père était un scientifique fou, un bourreau de travail sans affect, mais sa mère... Ce n'était pas l'image qu'il s'était construite d'elle. Jamais il ne l'aurait imaginé capable de se lancer dans quelque chose d'aussi fou qu'une exploration basée sur des légendes.
Peut-être était-ce pour cela qu'ils avaient dissimulé leurs travaux, par crainte d'être pris pour des fous devant toute la communauté scientifique...
Le jeune homme ne savait vraiment plus quoi penser. Il avait l'impression qu'un mur venait de s'écrouler, celui qu'il avait lui-même dressé en voulant voir ses parents comme des explorateurs bornés et insouciants qui l'avaient abandonné pour poursuivre des rêves idiots.
Quelle sorte de colère pouvait-il nourrir contre des fous crédules ?
Il continua de feuilleter le livre, et trouva une vieille lettre à la dernière page de l'ouvrage. Elle possédait un cachet « top secret » qui avait été brisé pour l'ouvrir. Dedans, un homme à l'écriture nerveuse parlait d'une mission en Amazonie pour retrouver le pokémon Mew. Il insistait sur la présence nécessaire de Sybilla Uemura, la seule spécialiste des fleuves tropicaux au monde, et menaçait clairement de s'en prendre à son fils si elle n'acceptait pas.
On l'avait donc forcé à partir ? Mais que s'était-il passé là-bas ? Et pourquoi son père n'était-il pas intervenu ? Qui pouvait être cette personne capable de menacer une mère d'un enfant de trois ans ?
Constant lut rapidement les demandes de la lettre, et la retourna pour en voir le destinateur. C'était seulement signé « G. » et la seule adresse qui apparaissait était celle du Centre Pokémon à côté de l'Arène de Jadielle. Qui cela pouvait-il bien être ?
L'entomologiste serra les poings et froissa le papier entre ses paumes. Ce « G. » avait fait disparaître sa mère, il en était maintenant certain. Et cela le mettait dans une colère folle. Lui qui avait passé des années à haïr ses parents, il se rendait soudainement compte que l'un deux n'avait été rien de plus qu'une victime innocente !
Mais alors pourquoi son père ne lui avait jamais rien dit ? Il sentit les larmes se mettre à couler le long de ses joues, alors qu'il ne pouvait plus retenir sa colère. D'un revers de la main, il jeta l'astrolabe au milieu du bureau, avant de se mettre à vider les étagères en balançant les livres dans la pièce.
Le bruit alerta sa Mimigal qui grimpa sur le mur à côté de lui pour essayer de le calmer. Mais Constant était fou de rage. Pourquoi son père n'avait-il rien fait ? Pourquoi avait-il continué ses recherches comme si de rien n'était ?
La petite araignée sauta sur son épaule et il s'effondra soudainement en larmes. Pour essayer de le réconforter, Mimigal frotta sa tête contre sa joue.
— Pourquoi mon père ne m'a jamais dit que ma mère avait été forcée de partir ? souffla-t-il en pleurant.
Et la réponse lui arriva en pleine face comme une révélation. Pour le protéger. Pour ne pas que ce « G. » s'en prenne à lui. Voilà pourquoi Kentaro Uemura avait continué ses travaux sur les océans, malgré l'ombre de cet homme planante au-dessus de leur famille. Pour ne pas que son fils ait à payer des dettes.
Quelque chose d'inattendu avait dû se produire là-bas, en Amazonie, là où sa mère avait disparu. Mais quoi ?
Le scientifique compris soudainement que si son père avait gardé ces livres malgré le passé douloureux, c'était pour une bonne raison. Il devait y avoir des preuves là-dedans, quelque part, entre ces lignes, parmi ces centaines de notes, ou peut-être dans une lettre comme celle qu'il venait de lire.
Comme un dément se rendant soudainement compte de son erreur, il se mit à ramasser tous les livres qu'il avait jeté au sol. Ce devait être là, entre ces pages ! Le mystère derrière la disparition de ses parents !
Les îles Sevii
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