Chapitre 12: Chapitre 11

Chapitre 11 : Où James se pose beaucoup de questions, mais trouve peu de réponses.

Le soir même de la proposition d'Albus devait avoir lieu la première détention de Lily et James. Harry était pour lors plongé dans une profonde réflexion sur l'étrangeté de la vie en général et de la sienne en particulier. Protéger ses grands-parents et son père qu'il n'avait jamais connus d'une menace qui risquait de leur tomber dessus pour une raison qui avait de bonnes chances de lui rester tout à fait obscure. Si on lui avait annoncé ça quelques mois auparavant, il n'aurait pas seulement éclater de rire à s'en rouler par terre, il se serait hâté de faire interner son interlocuteur.

Comme cette situation pouvait être ridicule ! Sa famille était en danger, et il n'y avait aucun moyen qu'il sache pourquoi car il était le seul à savoir que c'était safamille, justement. Et pas seulement le seul des personnes qui l'entouraient, mais le seul de tout le monde sorcier — à quelques exceptions près —, et, à bien y réfléchir, le seul de tout cet univers. Harry soupira, se sentant pris d'un accès de mal du pays inattendu.

Il avait longuement réfléchi à l'action de la Tablette de la Seconde Chance, et il en avait conclu qu'il était impossible qu'il se trouve dans le même monde que celui d'où il était parti. En effet, si cela avait été le cas, les changements qu'il avait jusqu'à maintenant entraînés auraient tout simplement provoqué le chaos. La seule possibilité était donc qu'en revenant dans le temps pour modifier le cours des choses, il avait tout simplement créé un monde parallèle au sien dans lequel il évoluait actuellement. Ce qui voulait dire que son monde d'origine continuait d'évoluer après la disparition de Harry Potter, ou plutôt continuerait lorsque les deux mondes en question auraient atteint le moment précis où le Survivant avait posé la main sur l'item magique.

Harry sentit un mal de tête poindre le bout de son nez mais ne lâcha pas son raisonnement pour autant. Quelque part dans un autre espace-temps, le Ministre de la Magie continuerait de se démener pour arrêter la chute économique et sociale de l'Angleterre sorcière. Le reste du monde se guérirait de la guerre contre Voldemort, et la vie reprendrait son cours. Est-ce que quelqu'un le regretterait, là-bas ? Oh, bien sûr, il y aurait toujours de nombreuses personnes pour déplorer la perte du Survivant, mais Harry ? Quelqu'un se lamenterait-il sur sa perte à lui ? Le visage préoccupé de Morrens, le Langue-de-Plomb qui s'était occupé de lui à son départ, lui revint en tête. Oui, il y en aurait probablement quelques-uns, mais aucun qui le connaissent vraiment.

Ce qu'il avait perdu à son départ valait-il ce qu'il pouvait gagner ici ? Sans parler de tout ce qu'il pouvait améliorer pour d'autres que lui... La réponse était tellement évidente que Harry ne prit pas la peine de la formuler, pas même en pensée. Il avait fait le bon choix. Son monde, sa vie, c'était ici, maintenant. Après tout, qu'est-ce qui aurait pu un jour valoir le fait de passer deux semaines de vacances avec ses grands-parents, son père, peut-être même son parrain et leurs amis ?

Trois coups nets frappés à la porte de son bureau suivis de légers bruits de voix le tirèrent hors de ses réflexions. Jetant un coup d'œil à sa montre, il empoigna sa cape et sortit de la pièce pour rejoindre ses deux jeunes élèves qui l'attendaient de l'autre côté, évitant ostensiblement le regard de leur condisciple.

'Encore une dispute ?' pensa Harry, mi-amusé, mi-attristé. 'Sirius m'a bien dit qu'ils étaient sortis ensemble cette année, non ? Je commence à avoir des doutes...'

Harry resta immobile un instant en se contentant d'observer ceux qu'il ne savait s'il pouvait appeler comme ses parents. Leur relation stagnait beaucoup trop à son goût. Harry craignait d'avoir influé sur cette partie du monde qu'il ne voulait surtout pas changer sans s'en rendre compte. Et si ils ne s'aimaient jamais en fin de compte ? Mais après tout, était-ce vraiment qu'ils ne ressentaient rien l'un pour l'autre ou juste qu'ils ne l'avaient pas réalisé ?

Harry se souvenait que son père courtisait Lily depuis un certain temps déjà, mais il ne pensait pas que c'était réellement par amour. Plutôt par fierté. Après tout, elle était tout de même une jolie fille malgré le badge de préfète qui brillait sur sa poitrine. Harry en avait assez d'assister à leurs prises de bec sans avoir voix au chapitre. Il avait une semaine pour changer cela, et il en avait bien l'intention...

" Suivez-moi, vous deux " finit-il par dire.

Les deux adolescents obéirent sans un mot, refroidis par le long regard qu'il avait posé sur eux. Lily l'avait trouvé un peu trop calculateur à son goût... Le silence régna entre eux jusqu'à ce qu'ils atteignent le Grand Hall, moment auquel les deux jeunes gens réalisèrent pourquoi McGonagall leur avait conseillés de prendre des vêtements chauds. Un vent glacial s'engouffra entre les grandes portes quand le professeur les poussa.

" Euh... Professeur ? " se risqua James. " Où allons-nous ? "

" Pour l'instant, nous rejoignons Hagrid, Mr Potter " répondit Davies de son habituel ton nonchalant. " Il doit déjà nous attendre, vous étiez un peu en retard. "

Lily était sur le point de répliquer que tout était entièrement de la faute de Potter — comme d'habitude — quand une réalisation la heurta de plein fouet. Incrédule, elle demanda dans un espoir d'obtenir une réponse négative :

" Professeur Davies, on ne va pas aller... "

" ... dans la Forêt Interdite ? " compléta Potter sans qu'aucun d'entre eux ne songe à s'étonner du fait soudain et rare que leurs pensées soient parfaitement accordées.

Le professeur resserra les pans de sa cape sombre autour de lui, cachant ainsi aux regards le tissu brillant à la faible lueur des étoiles de son uniforme d'Auror, puis répondit avec un sourire rassurant :

" Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas l'intention de vous abandonner un plein milieu d'un repaire de vampires, si c'est ce genre de choses qui vous travaille. Nous resterons ensemble. "

" Mais, professeur... " s'exclama Lily. " La Forêt Interdite est dangereuse ! Encore plus en pleine nuit ! "

" Vous semblez bien renseignée, Miss Evans " dit Davies, une lueur de malice jouant dans les ombres de ses yeux bruns.

Lily se sentit rougir et tenta de bégayer quelque chose comme une négation. Elle pouvait sentir le regard incrédule de Potter sur elle et détourna les yeux, presque écarlate, se sentant autant en colère contre leur professeur pour ses allusions que contre le jeune homme qui continuait de la fixer, comme si le fait que la préfète ait pu passer outre une règle était la chose la plus extraordinaire dont il ait jamais entendu parler.

" Ah, vous v'là tous ! " leur parvint soudain la voix rocailleuse du garde-chasse de Poudlard. " Et prêts, à c'que j'vois. B'jour, vous deux " accueillit-t-il les deux élèves avec sa jovialité habituelle, avant de se tourner vers Davies. " Et b'jour à vous, professeur. "

L'Auror le salua en retour, son sourire tranquille aux lèvres.

" Etes-vous prêt à partir, Hagrid ? "

" On n'peut plus prêt, professeur " approuva le demi-géant en tapotant l'arbalète qu'il tenait à la main comme à chaque sortie qu'il faisait dans la forêt entourant Poudlard.

Lily le plaignit sincèrement de ne pas pouvoir utiliser de magie pour se défendre.

" Pourquoi allons-nous dans la Forêt Interdite, professeur ? " demanda James, incapable de se retenir plus.

" Le professeur Brouet vient de terminer sa réserve de Toile de Lune, et vous devrez donc lui en cueillir une nouvelle récolte. "

Les deux adolescents levèrent simultanément le nez au ciel. Nouvelle lune.

" Damnation, pourquoi a-t-il fallu que nos détentions se passent cette semaine ? " grommela James à mi-voix, si bien que seule Lily l'entendit.

" Peut-être que ça te fera réfléchir la prochaine fois que tu auras envie de prendre l'air " rétorqua Lily d'un ton tranchant.

James grogna mais n'ajouta rien de plus, comme l'Auror les incitait à suivre Hagrid qui se dirigeait déjà vers la lisière de la forêt. Lily frissonna lorsqu'ils atteignirent le couvert des arbres et resserra sa cape contre elle, hâtant le pas pour ne pas perdre le demi-géant de vue dans l'obscurité omniprésente. Potter la suivait et elle pouvait entendre le léger son de sa respiration, ainsi que le bruissement infime de ses pieds contre le sol. Cette pensée lui fit froncer les sourcils. Comment Potter pouvait-il produire aussi peu de bruits, aussi peu en fait qu'un animal sauvage l'aurait fait ?

Se concentrant sur son ouïe, elle se rendit compte que leur professeur de Défense contre les Forces du Mal était plus discret encore, au point qu'elle eut un instant peur qu'il les ait laissés seuls et qu'elle se retourna abruptement pour s'en assurer. Son pied trébucha contre une racine et elle se retrouva projetée en avant, seulement retenue dans sa chute par le bras que Potter passa vivement autour de sa taille.

" Bon sang, Evans, tu ne peux pas faire attention où tu marches ? " souffla le Gryffondor, irrité.

Lily allait lui jeter une réplique acide quand elle parut se rendre compte de la proximité dans laquelle ils se trouvaient tous deux. James était penché en avant pour mieux pouvoir la retenir et elle se reposait encore de tout son poids contre son avant-bras, leurs visages à peine à quelques centimètres l'un de l'autre. L'hésitation de la jeune fille, toujours si prompte dans ses répliques, parut rendre Potter à son tour soudain conscient de cet état de fait. D'un commun accord, ils détournèrent obstinément le regard et Lily s'écarta de lui, ignorant de son mieux la légère chaleur qui irradiaient ses joues.

" Rien de cassé, Miss Evans ? " murmura une voix profonde près d'elle, et elle sursauta en apercevant son professeur.

" Euh... non, merci, je vais bien " répondit-elle sur le même ton, tout en lui jetant un regard par en dessous.

Il semblait être vraiment resté derrière eux tout ce temps. Alors pourquoi ne pouvait-elle toujours pas l'entendre ? se demanda-t-elle alors qu'ils reprenaient leur chemin, écartant les fougères qui s'aventuraient un peu trop avant sur le sentier. Le bruit des feuilles glissant contre leurs vêtements, les bruits infimes de la forêt en pleine activité nocturne, hululements, claquements de becs, et parfois même un grondement indéfini et lointain, le pas lourd de Hagrid devant elle, le glissement presque aérien de ceux du Maraudeur en arrière, tout cela, elle pouvait l'entendre. Mais pas le professeur.

Lily fronça les sourcils. Elle s'était toujours targuée de posséder une très bonne ouïe. Cette compétence particulière était extrêmement utile dans son statut de préfète-en-chef, et surtout lorsqu'elle avait à suivre des adolescents camouflés par divers moyens ayant pour fonction de duper la vue — comme par exemple une cape d'invisibilité — mais elle n'avait jamais entendu quelqu'un, quelqu'un de vivant bien sûr, aussi discret dans ses déplacements. Ou peut-être... Lily frissonna à la pensée qui lui vint soudainement à l'esprit. Oui, il existait une personne qui avait retenu son attention sur ce point : Severus Rogue.

Le préfet de Serpentard avait toujours eu cette manière particulière de marcher en atténuant le son de ses propres pas, comme une personne habituée à devoir passer inaperçue. Mais même lui ne pouvait pas atteindre le niveau de silence qu'elle entendait quelques pieds derrière elle. A nouveau l'angoisse qu'il ne les suive pas refit surface et elle se surprit à tendre frénétiquement l'oreille pour tenter de capter un quelconque signe de vie de la part du jeune Auror. Enfin, elle crut capter un infime son, très léger frémissement de l'air, témoignant de l'avancée de l'homme aux longs cheveux noirs.

Ses épaules se relaxèrent de soulagement, avant qu'autre chose ne lui fasse froncer les sourcils. Il y avait quelque chose de particulier dans cette démarche qui mettait ses sens en alerte, et pas seulement leur volume sonore. Leur rythme avait quelque chose d'inhabituel et en même temps d'étrangement familier. Lily fouilla son esprit avec obstination. D'où lui venait cette sensation déconcertante ? Elle était sûre d'avoir déjà assisté à une démarche pareille, bien qu'en dans des circonstances totalement différentes. Y avait-elle seulement assisté, d'ailleurs ? Non, constata Lily, cela, elle ne l'avait pas vu d'elle-même, elle y avait eu accès... à travers la télévision ? Oui, définitivement, elle se rappelait quelque chose comme de vagues images et une voix atone et plus ennuyeuse encore que celle du professeur Binns. Un documentaire ? Oui, un documentaire animalier. Mais quelle relation avec Davies ? Lily essaya de se souvenir du sujet de cette émission précise...

... et fut coupée net par la voix de Hagrid.

" On est arrivé " annonça le demi-géant dans ce qui était pour lui un murmure, et pour eux un ton presque tonitruant.

" Parfait " dit Davies alors qu'ils émergeaient dans une clairière minuscule.

L'agacement de Lily prit fin lorsqu'elle se trouva en vue de leur destination. La trouée ne faisait que quelques mètres de diamètre, mais elle était totalement circulaire, comme si les arbres n'avaient pas osé pousser plus loin. Le sol recouvert de mousse d'un vert éclatant avait une consistance élastique sous leurs pieds. Au centre exact de la clairière, un arbre de seulement quelques mètres de haut semblait tenir tous ses congénères à distance, bien qu'apparemment parfaitement inoffensif.

Le tronc d'une teinte de gris presque uniforme se divisait juste au-dessus de leurs têtes en multiples branches formant presque un toit de verdure sous les étoiles. Car bien que l'hiver approche à grands pas, l'arbre était muni de toutes ses feuilles. Le phénomène n'était pas rare avec les plantes magiques, mais, plus extraordinaire encore, il était en fleurs. Ou du moins, c'était ce qui semblait. Pendant aux branches entre deux taches de vert, des lueurs de la taille d'un poing se balançait mollement à la faible brise, comme des lucioles de taille impressionnante et teintées de blanc.

Lily savait bien entendu tout ce qu'il y avait à savoir à propos de la Toile de Lune, mais elle ne s'était pas attendu à ce que cela soit plus beau encore que ce qu'elle avait imaginé. Durant la plus grande partie de l'année, les bourgeons de l'Arbre à Lune absorbait la lumière lunaire qu'ils ne relâchaient que lorsque sa source se tarissait quelques jours, c'est-à-dire lors de la nouvelle lune, et encore uniquement durant la nuit étant donné qu'ils semblaient presque bouder la lumière du soleil. C'était à ce moment que les fleurs s'ouvraient et que leurs pétales distillaient la lueur féerique qu'ils voyaient, et c'était également à ce moment qu'il fallait les cueillir pour un maximum d'efficacité en tant qu'ingrédient de potions. Mais ce n'était pas sans danger.

Lily passa une langue nerveuse sur ses lèvres et se tourna vers Davies qui lui envoya un sourire encourageant.

" Hagrid et moi allons distraire l'attention de l'arbre pendant que vous grimperez tous les deux. Ne vous inquiétez pas si vous tombez, nous veillerons à ce que vous atterrissiez sans difficulté. "

Lily hocha la tête et James fit de même, manifestement peu enthousiaste. Ils se raidirent tous les deux et observèrent les deux adultes tandis qu'ils contournaient l'arbre pour attirer son attention dans la direction opposée. Pas une feuille du végétal ne bougea jusqu'à ce que Davies s'approche prudemment et lève la main. Ses doigts avaient à peine frôlé la plus basse branche qu'un frémissement parcourut le feuillage comme celui du Saule Cogneur dans ses grands jours, et que chaque rameau et brindille se rua avec furie vers l'impudent.

Les deux adolescents poussèrent un cri unanime d'horreur, puis de soulagement quand Davies sauta agilement de côté, brandissant sa baguette pour geler les branches les plus entreprenantes. Hagrid leur fit un signe frénétique de la main tout en empoignant le parapluie rose qu'il avait emporté avec lui, Dieu sait pour quelle raison étant donné que le ciel était parfaitement dégagé, et en l'agitant ridiculement devant lui. Bizarrement, à ce instant, deux branches se trouvèrent inextricablement emmêlées. Sans chercher à y réfléchir plus, Lily se précipita à la suite de Potter vers le tronc.

L'arbre ne leur prêta aucune attention, occupé qu'il était à se charger de son premier agresseur et emporté par sa folie destructrice. James sauta sans hésitation vers la branche la plus basse et s'y hissa agilement. Lily eut plus de difficulté, peinant à se rétablir convenablement dans les convulsions de l'arbre, même si ce côté ne prêtait pas part au combat qui se déroulait plus loin. Finalement, elle dut envoyer un regard meurtrier à Potter qui la fixait d'un air narquois pour qu'il daigne lui tendre la main, qu'elle saisit avec brusquerie.

" Merci, Potter " siffla-t-elle, crachant plus que prononçant ce dernier mot.

" Mais de rien, Evans " répondit-il de la même manière.

Au signe qu'ils firent aux deux adultes, Davies et Hagrid reculèrent prudemment, se mettant hors de portée d'atteinte de l'arbre furieux. Bientôt, l'agitation cessa et les branches reprirent leur orientation initiale, bien que certaines arboraient des angles curieux. Avec méfiance, Hagrid s'avança pour venir déposer au pied du tronc, en dessous des deux élèves, les larges paniers qu'il portait sur son dos depuis leur départ. Après quoi, il battit à nouveau en retraite en leur faisant un signe encourageant et rejoignit Davies, déjà assis au pied d'un arbre de la lisière de la clairière qui lui offrait un bon point de vue au cas où il aurait besoin de rattraper l'un d'entre eux au cours d'une chute.

Avec un soupir, Lily assura sa prise autour du tronc avant de tendre la main vers la lueur la plus proche, juste au-dessus de sa tête. De plus près, la Toile de Lune était une fleur à la corolle blanche, aux pétales blancs, aux pistils blancs... Cela en faisait presque mal aux yeux. Lily sentit son cœur se serrer de devoir arracher cette beauté de sa plante d'origine, mais le souvenir des coups auxquels leurs deux accompagnateurs avaient tout juste échappé lui ôta ses scrupules et elle rompit délicatement la fragile tige.

A son côté, James se déplaçait avec l'agilité d'un singe, atteignant des endroits qu'elle n'aurait pas cru possible et changeant de branche d'appui dès qu'il n'y trouvait plus de fleurs. Malgré elle, Lily se sentit admirative devant son aise. Le souvenir de sa respiration sur sa joue lui revint soudain en mémoire et elle détourna vivement les yeux, espérant que son rougissement brusque passerait inaperçu dans l'obscurité. Pourquoi cela lui faisait-il un tel effet, tout à coup ? Ses sept dernières années, elle n'avait cessé de soutenir que James Potter n'était qu'un crétin arrogant et macho de la pire espèce. Est-ce que quelque chose avait changé ?

Une petite voix dans la tête de Lily chantonna :

" Oui, lui. "

Elle secoua la tête et fit mine de ne pas l'avoir entendu, mais quelque part au fond d'elle, elle se sentait troublée.

Cette seule nuit, ils dépouillèrent deux autres arbres de leurs précieux produits. Les Arbres à Lune, de taille réduite, ne possédaient chacun qu'une quarantaine de fleurs, et il fallut donc aux adultes effectuer deux fois de plus le même manège avec deux autres arbres plus loin dans la forêt pour que les deux paniers soient remplis. Heureusement, aucun d'eux ne fut blessé, pas plus que Lily ou James ne tombèrent. Cependant, Harry avait plusieurs fois senti son cœur remonter dans sa gorge en voyant son père se balancer aux branches à en faire pâlir Tarzan d'envie. N'était-ce pas un cerf, sa forme Animagus ? avait-il gémi mentalement avec angoisse, raffermissant chaque fois sa prise sur sa baguette.

Harry ferma une nouvelle fois la marche sur le chemin du retour, deux fois plus attentif encore qu'auparavant en raison de la fatigue qui faussait ses sens. Devant lui, James titubait à moitié et bâillait à intervalles réguliers, et Lily paraissait plongée dans de profondes pensées. Harry espéra de toutes ses forces que cela soit à propos du Maraudeur plutôt que du prochain devoir d'Arithmancie. La jeune Gryffondor lui rappelait tellement Hermione, parfois... Il dévia aussitôt le cours de ses pensées par automatisme. C'était encore trop douloureux pour qu'il y pense librement.

Lorsqu'ils atteignirent le château, il était environ une heure de matin. Harry se questionna une nouvelle fois sur la sagesse de leur imposer cela sept nuits de suite... et à lui aussi, d'ailleurs. Il était évident qu'il se ramollissait, lui qui pouvait autrefois passer à travers un mois de travail frénétique en ne dormant que quatre ou cinq heures par nuit pouvait maintenant difficilement supporter quelques veilles. Il fit intérieurement une grimace désapprobatrice et se jura de ne pas laisser cette situation durer.

Il souhaita distraitement une bonne nuit à Hagrid qui allait remettre leur récolte au professeur de Potions, probablement toujours profondément plongée dans ses chaudrons malgré l'heure tardive.

'Encore une qui fait mieux que toi, mon vieux' renifla-t-il intérieurement de dédain.

Le chemin vers la tour de Gryffondor fut silencieux. Harry prêta peu d'attention au mot de passe que Lily marmonna à la Grosse Dame qui lui ouvrit dans un demi-sommeil, et s'apprêtait à s'en retourner quand James le rappela :

" Professeur ! Que ferons-nous quand la nouvelle lune sera finie ? " demanda-t-il avec un regain de curiosité.

Lily stoppa à l'entrée de la Salle Commune pour entendre la réponse.

" Oh ! J'imagine que nous saurons bien trouver quelque chose, Mr Potter, n'ayez pas d'inquiétude " sourit Harry avec une nuance de sarcasme.

Lily ne s'attarda pas plus et fila vers son dortoir, épuisée, mais James resta encore un instant à le fixer. Harry leva un sourcil pour l'inviter à parler et le jeune garçon rougit brièvement et détourna le regard.

" Professeur, je pense que... enfin, je voulais vous remercier " murmura-t-il.

Harry pencha la tête sur le côté, intrigué.

" Que voulez-vous dire ? "

" Eh bien, d'abord, pour être arrivé à temps il y a quatre jours... "

" Comme je l'ai déjà dit au directeur, ce n'est pas à moi qu'en revient le mérite, mais à la personne qui m'a prévenu à temps " coupa gentiment Harry.

Voyant que l'adolescent s'apprêtait à demander quelque chose, les yeux brillant de curiosité, il ajouta vivement :

" Ne demandez pas ! Je ne vous le dirais pas. "

James fit une petite grimace de déception, mais accepta de bonne grâce, puis revint à son sujet originel.

" En fait, je voulais vous remercier pour tout ce que vous faites pour nous depuis que nous vous connaissons. Pas seulement moi, mais Sirius, Rémus et Peter... Je sais que vous êtes là pour nous protéger, mais je sais aussi que vous faites plus encore que votre travail ne le demande et... je vous en suis reconnaissant " termina-t-il avec hésitation, sans oser le regarder.

Harry sourit, confondu. Il ne s'était pas attendu à ce que l'on se rende compte aussi facilement de son léger faible pour les Maraudeurs.

" Etes-vous en train de dire que je ferais dans le favoritisme, Mr Potter ? " plaisanta-t-il d'un ton faussement vexé.

" Oh ! Professeur, non " balbutia le jeune homme en secouant frénétiquement le tête. " C'est juste que... "

" Calmez-vous, Mr Potter, je plaisante " avoua Harry en souriant. " Ecoutez, " ajouta-t-il d'un ton soudain plus grave qui piqua l'intérêt du Gryffondor, " accepteriez-vous un conseil ? "

" Bien sûr ! " s'exclama-t-il, surpris.

Harry fixa James un long moment, puis s'approcha de lui jusqu'à pouvoir lui murmurer à l'oreille. Il n'avait pas besoin de se baisser pour cela, James ayant déjà presque atteint sa taille adulte.

" Ne laissez pas le doute s'installer dans vos cœurs " souffla-t-il d'une telle façon que James sentit des frissons prendre naissance le long de sa colonne vertébrale. " Ayez confiance en vous. Et n'oubliez jamais que l'union fait la force. Jamais. "

James réussit à trouver la force de hocher la tête malgré sa stupéfaction, et l'Auror s'éloigna aussitôt de lui et descendit vivement le couloir jusqu'à disparaître de sa vue.

James ne répéta à aucun des Maraudeurs l'étrange conseil de l'Auror. La journée se passa dans une sorte de torpeur morne, depuis le réveil on ne peut plus difficile jusqu'au dîner lourd de tension. Malgré tous les efforts de James, Sirius avait refusé de dire quoique ce soit à propos de sa brouille envers Rémus, se contentant de prendre un air renfermé dès que le jeune lycanthrope se trouvait à proximité, et bien souvent détournant le regard. De son côté, Lunard arborait un air sombre qu'il prenait rarement et n'essayait pas de le forcer, faisant au contraire de son mieux pour l'ignorer en retour et ne pas se mettre accidentellement sur son chemin.

James ne comprenait rien à ce qui se passait et en venait à se demander si ses amis ne lui cachaient pas quelque chose, quelque chose de relativement important. Il n'était manifestement pas le seul : Peter arborait la plupart du temps l'air d'un hibou perdu en pleine tempête de neige au Sahara. James sentait de plus en plus poindre en lui l'agacement comme la situation stagnait et qu'il se sentait totalement impuissant à y faire quoi que ce soit.

S'il essayait de prendre Sirius à part pour exiger de lui qu'il s'explique, Rémus le regardait d'un air triste à faire pleurer les pierres et secouait la tête pour l'en décourager. S'il essayait de parler seul à seul avec lui, au contraire, c'était Sirius qui se mettait à jeter des regards assassins à Lunard. Et quant à Peter, il n'était pas sûr qu'une conversation avec lui arrangerait quelque chose, étant donné qu'il aurait fallu pour cela laisser les deux autres seuls un moment et que ce n'était peut-être pas une bonne idée dans l'état actuel des choses, et qu'ils étaient tous deux dans le flou le plus total.

D'ordinaire, il était habituel que Peter soit le dernier d'entre eux à comprendre quelque chose en particulier. L'adolescent n'avait jamais été d'une intelligence particulièrement vive, il fallait bien le reconnaître. Ce qui était très inhabituel, c'était que James se trouve dans la même situation que lui — et il n'aimait décidément pas cela. Ce n'était pas un sentiment agréable que de se sentir plus ou moins l'idiot du village, à regarder agir les autres sans rien comprendre à leurs motifs ou leurs buts.

Il se promit donc malgré tout d'en parler avec Peter, qui, après tout, semblait le seul être encore doué de raison dans leur chambre maintenant mortellement sinistre. En fait, il était difficile de convaincre Rémus d'aller se coucher quand Sirius se trouvait dans la salle, et vice-versa. Frustré au plus haut point, James partit donc pour sa seconde nuit de détention en laissant derrière lui un Patmol obstinément reclus derrière les rideaux de son lit, un Lunard faisant mine de lire devant le foyer de la Salle Commune alors que ses yeux fixaient le papier comme s'il espérait pouvoir le trouer par le seul pouvoir de son esprit, et un Queudver qui montait et descendait les escaliers les séparant en trottinant sans paraître vouloir se décider. A en juger par son expression, il était au supplice, et la tempête avait dû s'être changée en cyclone.

James était donc dans une humeur particulièrement massacrante lorsqu'il rejoignit Evans devant le bureau de leur professeur de Défense contre les Forces du Mal. Habituellement, c'était le genre de mauvaise humeur qu'il aimait passer sur la préfète, mais aujourd'hui était différent. Aujourd'hui, la colère de James n'était là que pour masquer ce qu'il ressentait réellement : une profonde inquiétude. Lily lui jeta un long regard devant son mutisme prolongé, mais ne dit rien, comme comprenant quelque part qu'il avait besoin de tranquillité.

Davies les rejoignit sans un mot et jeta un seul, bref regard à James dans lequel il lut autant, sinon plus d'inquiétude et de crainte qu'il n'en bouillait à l'intérieur de lui. C'est à ce moment seulement qu'il commença à prendre conscience du sens des mots qu'il avait prononcés devant lui la nuit même. Rien ne fut dit jusqu'à ce qu'ils rejoignent Hagrid, et si le demi-géant, étonné de l'ambiance sombre, chercha dans un premier temps à la rendre plus chaleureuse, il abandonna vite devant le peu d'attention que lui portaient James et Davies.

En désespoir de cause, il interrogea Lily du regard, mais elle ne put que hausser des épaules en signe d'ignorance. L'atmosphère au sein des Maraudeurs était lourde depuis la veille, soit, mais qu'avait Davies ? Elle n'en avait aucune idée, mais cela semblait le ronger. La cueillette se passa donc dans un calme irréel où le minimum de paroles fut prononcé. Les paniers furent pleins plus vite que la veille et ils rentrèrent vers minuit sans qu'aucun changement n'arrive. Cette fois-ci, Davies n'escorta pas les deux Gryffondors jusqu'à leur tour, se contentant de les saluer à mi-voix et de lancer un regard sombre vers James.

De même, Lily n'essaya pas de faire la conversation durant le trajet qu'il leur restait à faire ensemble, bien que la situation semblait lui peser. James ressentit une gratitude inattendue envers elle. Lorsqu'ils entrèrent dans la Salle Commune, il fut soulagé de constater qu'elle était vide. Lunard était monté se coucher, finalement. Il pouvait d'ici imaginer la joie de Peter quand il l'avait vu se lever. Las, il se dirigea à son tour vers les escaliers en souhaitant pouvoir s'écrouler le plus vite possible sur son lit.

Ce qui l'empêcha de remarquer que Lily le regarda partir sans bouger, l'expression préoccupée. Finalement, elle se mordit la lèvre, semblant se rendre compte qu'elle n'était pas censée s'inquiéter pour lui, et se dirigea vers son propre dortoir. Non sans un dernier regard en arrière.

" Je n'y comprends vraiment rien, James " disait Peter. " Avant, ils s'entendaient parfaitement bien ! Pourquoi est-ce Sirius agit comme ça tout à coup ? "

Le petit Gryffondor fixa son ami avec un air plein d'espoir, manifestement persuadé qu'il possédait la réponse à ses questions. James poussa un profond soupir.

" Je n'en sais pas plus que toi, Peter. Sirius se comporte avec Lunard comme si c'était un simple Serpentard. C'est à n'y rien comprendre ! "

Peter baissa les yeux et fixa le sol d'un air attristé.

" Tu ne crois pas qu'on ferait mieux de carrément leur demander ? " murmura-t-il.

" Je ne sais pas " répondit James sur le même ton. " Ecoute, Peter " reprit-il après un moment de réflexion, " je pense qu'on devrait les laisser se calmer, d'abord. Qui sait si ça ne va pas leur passer et qu'ils ne vont pas se réconcilier d'eux-mêmes ? "

" Mais si ce n'est pas le cas ? "

James s'appuya contre le mur de pierre du couloir et prit un regard résolu.

" Et bien, on les y forcera ! On leur laisse les vacances de Noël pour refroidir, d'accord ? Si, après la rentrée, ils sont toujours aussi bornés, on les secoue ! "

Peter reprit un peu d'espoir à son ton déterminé, mais ne put retenir une grimace à l'arrière-pensée qui lui vint.

" Ok " soupira-t-il. " Mais ça veut dire encore une semaine et demie à convaincre Lunard de lâcher son livre pour aller se coucher... "

James rit et posa un bras sur les épaules de son ami pour l'entraîner vers leur salle de cours. Brouet les regarda distraitement entrer avant de jeter un coup d'œil machinal à sa montre. Les deux Maraudeurs ne s'en préoccupèrent pas : ils avaient veillé à ne pas arriver en retard, ce qui leur valut d'ailleurs un haussement de sourcils de Evans, manifestement persuadée qu'ils n'avaient pas encore rempli leur quota de points perdus de la journée.

James et Peter s'assirent ensemble au fond de la classe, jetant au passage un signe de la main à Rémus. Le jeune homme leur répondit d'un sourire mélancolique, et, une fois n'est pas coutume, James bénit Sirius d'avoir préféré abandonné les cours de Potions après ses Buses. Au moins, il avait pu parlé avec Peter sans craindre de laisser les deux autres en tête à tête.

Le professeur Brouet annonça d'une voix atone le sujet du jour, une potion parmi d'autres pour James, et donna les consignes pour la réaliser. Après quoi, comme à chaque cours, chacun se tourna vers son chaudron et commença à rassembler les ingrédients nécessaires. Et comme à chaque cours, James veilla à surveiller ses arrières pendant qu'il coupait, éminçait ou décortiquait les divers éléments. Le cours de Potions était couplé avec les Serpentards, et le Gryffondor n'était pas sans savoir que Zabini n'avait toujours pas digéré le mois de détentions que son rôle dans la petite sortie de James lui avait valu.

Cependant, ce que son attention accrue lui permit de remarquer ne fut pas ce qu'il attendait. Alors que les contenus des chaudrons prenaient diverses teintes, lors de l'ajout des derniers éléments, un mouvement vif attira son attention. James faillit lâcher son couteau lorsqu'il vit Rogue attraper sans douceur le poignet de Rémus au moment où celui-ci s'apprêtait à introduire un ingrédient dans sa potion. Quand le Maraudeur lui jeta un regard interrogateur, le Serpentard pointa sans un mot une ligne sur le parchemin sur lequel Rémus avait inscrit la marche à suivre.

Rémus eut un sursaut et prit un air gêné, puis échangea rapidement ce qu'il tenait avec un autre ingrédient. Quelques minutes plus tard, sa potion arborait une teinte relativement proche de ce qu'on pouvait attendre d'une composition réussie. Incrédule, James épia les deux adolescents durant le reste du cours, ce qui lui permit tout juste de surprendre un claquement de langue réprobateur du Serpentard. Aussitôt, Rémus jeta un coup d'œil à son parchemin et s'empressa de baisser le feu sous son chaudron.

A la fin du cours, Gryffondor gagna une demi-dizaine de points pour la potion parfaitement réussie du jeune lycanthrope. Rémus sourit et jeta un très rapide coup d'œil à Rogue, lequel se fit un devoir de l'ignorer.

Plus tard, lorsqu'il s'assit dans la Grande Salle pour le dîner, James était plongé dans une réflexion profonde.

" Ca va, Cornedrue ? " demanda Sirius, ignorant Rémus comme à sa nouvelle habitude.

" Hein ? Oh... oui, oui, ça va. Je pensais juste... à ma détention " composa rapidement James.

Sirius haussa un sourcil mais ne fit aucun commentaire, acceptant sans rechigner le nouveau sujet de conversation.

" Alors, pas trop dur de passer autant de temps avec Evans ? "

" Bah ! " éluda James d'un haussement d'épaules. " Je survis ! "

Sirius lui envoya un sourire moqueur.

" Dis plutôt que tu es ravi de pouvoir aider ta chère préfète à ne pas se rompre le cou ! " Oh, James " "mima-t-il d'une voix suraiguë, " " tu m'as sauvé la vie ! ". "

L'instant suivant, Sirius reçut deux claques retentissantes à l'arrière de la tête, l'une de James qui, gêné, ne tenait pas à ce que toute la Grande Salle l'entende, et l'autre de Lily, arrivée entre-temps derrière lui et qui ne tenait pas à être en reste.

" Eyh ! " geignit Sirius en se couvrant la tête de ses deux mains. " Bande de brutes ! "

" Quand tu auras fini de déblatérer tes âneries, Sirius, dis-le moi " grogna James. " Tu es en train de me mettre la honte... "

" Humf ! " se contenta de prononcer Lily.

Peter et Rémus pouffèrent ensemble à la mine déconfite de leurs amis, et l'espace d'un instant, on aurait pu croire que rien ne s'était passé. Mais Sirius se reprit dès qu'il entendit le rire de Lunard et lui jeta un regard noir qui coupa net son amusement. Pâlissant, Rémus se tourna aussitôt vers son assiette. James et Peter échangèrent un coup d'œil triste et firent de même. Désarçonnée par l'atmosphère soudain sombre, Lily les fixa un moment avant de s'éclaircir la gorge et de reprendre la parole.

" Dépêche-toi un peu, Potter, il est presque l'heure d'y aller. "

James sursauta assez fort pour se cogner les genoux contre la table et jeta un coup d'œil à sa montre.

" Déjà ? " s'écria-t-il. " Je n'ai pas vu le temps passer ! "

" Peut-être, mais je suis sure que le professeur Davies n'a pas manqué l'heure, lui. "

En effet, la chaise du professeur de Défense était vide. James se leva vivement et attrapa une pomme avant de lancer à ses amis :

" 'Scusez-moi, mais je dois y aller ! A demain ! "

" Bonne nuit, James ! " dit Sirius d'un ton taquin en jetant un coup d'œil suggestif à Lily qui lui renvoya un regard noir.

Rémus se contenta d'un hochement de tête tandis que Peter le fixait d'un air abattu. James ne put que lui adresser un sourire qui se voulait rassurant et articula sans bruit :

" Désolé, Pet'... "

Le plus petit des Maraudeurs se tourna à nouveau vers son dîner avec un soupir à fendre les pierres. James s'élança aussitôt en courant vers la porte de la Grande Salle où la préfète l'attendait impatiemment.

" Pas trop tôt " grogna-t-elle.

James s'abstint de lui faire remarquer qu'elle aurait très bien pu y aller sans l'attendre, il n'était pas sûr que ce genre de nouvelles dispositions l'indispose. A la place, il la suivit donc en silence jusqu'au bureau de Davies, qui les attendait déjà, appuyé contre le mur.

" Ah ! Vous voilà " sourit-il en les voyant arriver.

" On est en retard ? " s'inquiéta Lily.

" Non, non, vous êtes pile à l'heure, Miss Evans. Allons-y, voulez-vous ? "

A nouveau, l'Auror semblait le parfait reflet des sentiments de James. Lui qui la veille avait paru si abattu, semblait ce jour-là plein de détermination. Il adressa même un sourire encourageant au Gryffondor, qui le lui renvoya maladroitement. Hagrid parut soulagé de ne pas avoir une nouvelle fois affaire à une troupe aussi sinistre, et ils se mirent en marche dans un silence confortable. James remarqua qu'Evans se retournait de loin en loin pour lui jeter un coup d'œil à la dérobée. Intrigué, il fit cependant mine de ne pas avoir remarqué.

Ce soir-là, ils durent avancer plus loin que d'habitude dans la forêt pour trouver de nouveaux Arbres à Lune, et James et Lily remarquèrent chez les deux adultes une certaine tension. La forêt elle-même paraissait dégager une atmosphère malsaine et sombre, et chacun des sorciers pouvait sentir la menace qui pouvait à tout instant prendre forme dans les ténèbres des sous-bois. Malgré tout, chacun accomplit son travail comme il devait le faire, s'efforçant de se concentrer sur sa tâche.

Alors que le premier arbre qu'ils avaient trouvé était déjà à moitié dépouillé de ses fleurs, James eut soudain conscience que Lily s'était immobilisée sur sa branche et ne bougeait plus, la respiration figée et les yeux à moitié fermés. Sa curiosité piquée au vif, il se rapprocha d'elle et se suspendit au tronc depuis la branche où il se trouvait pour frôler du bout de ses doigts l'épaule de la jeune fille.

" Ca ne va pas, Evans ? " murmura-t-il.

" Tu n'as rien entendu ? " répondit-elle.

" Hein ? Non... Pourquoi ? "

Lily leva des yeux inquiets vers lui, puis les détourna vers la lisière de la clairière où ils se trouvaient.

" Je suis sure d'avoir entendu quelque chose bouger dans la forêt. "

Un instant interdit, James prit le parti d'en rire.

" Tu délires, Evans, il n'y a eu aucun br... "

Un petit cri de la Gryffondor l'interrompit et il se retourna soudain pour suivre la direction de son regard, manquant perdre son appui sur le tronc dans le mouvement. Ce qu'il vit le lui fit définitivement perdre, et il ne dut qu'à Lily de ne pas s'écraser à terre, quelques mètres plus bas. Difficilement, il se rétablit sur la branche où se trouvait la jeune fille et, sans lâcher la main ni proférer le moindre remerciement, fixa de nouveau leur professeur de Défense contre les Forces du Mal.

Harry Davies se tenait fermement campé sur ses jambes face à la lisière des arbres, ses deux mains vides tendues verticalement devant lui. Hagrid, armé de son parapluie rose et de son arbalète, se tenait en retrait et l'observait avec stupéfaction. Ce qui retenait tant l'attention des trois sorciers sur l'Auror était l'énergie presque palpable qui émanait de lui.

Dans le monde sorcier, la manifestation de l'aura était un phénomène reconnu et répertorié. La plupart des livres spécialisés sur son étude la définissait à peu de choses près en ces termes : " On appelle " aura " l'apparition physique de l'énergie magique d'un sorcier, qui prend alors la forme d'un halo coloré et légèrement lumineux que seuls d'autres sorciers ou des créatures magiques peuvent percevoir. L'aura se manifeste lorsqu'un sorcier possédant une importante puissance est soumis à de violents sentiments et perd le contrôle sur une faible partie de sa magie qui se dilate alors. L'exemple le plus connu en est la colère, mais il arrive que dans des cas de magie très puissantes, la simple exécution d'un sort exige tant du magicien qu'il se trouve alors soumis au même phénomène. "

Les textes précisaient également que chaque personne possédait une aura différente : couleur, nuance... De nombreux sorciers avaient cherché à étudier l'aura, et, après des siècles d'échecs, avait fini par être créée une échelle de teintes reconnues d'une fiabilité relative permettant de tirer des conclusions sur la puissance ou le caractère du sorcier. Ainsi, une couleur tirant sur le rouge indiquerait une personne de nature passionné et prompte à la colère, tandis que le bleu représentait au contraire quelqu'un de calme et de réfléchi.

Si James n'avait pas la connaissance littéraire de Lily, il savait que dans cette fameuse échelle, il n'était jamaisfait mention d'une aura veinée à la fois d'or et de noir. La lumière et l'obscurité...

Quelque part dans la tête de James, une petite voix cynique railla :

'Tu aurais dû t'en douter ! Qui a jamais vu un prof de Défense contre les Forces du Mal se contenter d'êtreun peu bizarre ?'

Un long moment s'écoula sans qu'aucun mouvement ne laisse supposer que la scène n'était pas tout simplement figée pour l'éternité. Finalement, dans un ample mouvement de robes, l'Auror se laissa tomber au sol et y resta prostré. Aussitôt, James poussa un cri étranglé et se jeta au pied de l'arbre.

" Professeur ! " entendit-il Lily crier.

James se précipita vers Davies et s'agenouilla près de lui au même moment qu'Hagrid. Lily arriva quelques instants plus tard, mais l'Auror refusa toute aide pour se relever, les repoussant au contraire.

" Suffit ! " grogna-t-il férocement, ses yeux bruns brillant d'une étrange lueur, encore pantelant et aspirant de grandes goulées d'air.

Les deux adolescents eurent un mouvement de recul, mais Hagrid se contenta de froncer les sourcils.

" Professeur ? " interrogea-t-il de sa voix rocailleuse.

" Aidez-moi, Hagrid, nous avons peu de temps devant nous " exigea le jeune homme en se relevant vivement.

" Mais pour quoi, Professeur ? "

" Une bande de korrigans arrive. "

Hagrid prit aussitôt un air grave.

" On' est sur leur passage ? "

" Il n'y aurait aucune raison de s'inquiéter si ce n'était pas le cas " répondit-il simplement.

" Qu'es'vous voulez qu'je fasse ? "

" Gravez la formule sur l'Arbre à Lune, je vais le prendre comme appui. "

" Très bien. "

Perdu dans toute cette agitation soudaine, James sentit brusquement Lily l'empoigner par le bras.

" Qu'est-ce que ça veut dire, James ? " articula-t-elle d'une voix un peu trop aiguë.

Sans répondre immédiatement, James l'entraîna vers l'arbre qu'ils venaient de quitter et que Hagrid était occupé à examiner, remarquant à peine qu'elle l'avait appelé par son prénom.

" James ? " répéta Lily.

" Tu sais ce que sont les korrigans ? "

" Evidemment ! "

James retint un sourire. Même dans une situation pareille, cette fille ne pouvait pas s'empêcher de prendre un air outragé quand elle se sentait insultée dans son intelligence.

" On est sur le trajet d'une de leurs migrations. "

Malgré le peu d'éclairage dispensé par les Toiles de Lune, James la vit nettement pâlir. Les korrigans étaient des êtres de la taille de gnomes et, pris individuellement, ils étaient à peu de choses près aussi dangereux. Malheureusement, les korrigans vivaient en bandes d'une petite cinquantaine d'êtres. Ces bandes s'installaient dans un endroit bien précis, et lorsque cet endroit n'avait plus rien à leur offrir, l'un d'eux était envoyé en éclaireur afin de trouver un nouveau lieu d'accueil pour la colonie. A ce stade, les korrigans se montraient généralement excités et même plutôt agressifs, mais cela atteignait son paroxysme lors de la migration probablement dite.

En ces occasions, qui n'arrivaient heureusement qu'une fois par décennie, la bande entière se jetait sur tout être vivant qui passait à leur portée, en dehors des végétaux qu'ils ne digéraient pas. Eux qui se contentaient d'habitude de petits animaux, voire d'insectes, étaient alors parfaitement capables de dévorer quatre humains, dont un demi-géant.

James retourna son attention vers Hagrid, qui gravait maladroitement la formule qui devait servir à les repousser sur le tronc de l'arbre, s'arrêtant fréquemment pour se rappeler de ce qu'il en avait appris lors de ses propres études à Poudlard. Le jeune homme secoua sa camarade qui fixait la lisière de la forêt d'un air presque terrorisé.

" Lily ! " appela-t-il, faisant abstraction du fait que, cette fois, c'était lui qui l'avait appelée par son prénom. " Toi, tu dois te rappeler de la formule, non ? "

" Euh... je... oui " balbutia la jeune fille.

" Alors, dépêche-toi d'aider Hagrid ! "

Et il la poussa vers le garde-chasse. Un instant déboussolée, Lily parut se reprendre devant le défi imposé à ses capacités. James se félicita de l'avoir sorti de son état d'hébétude horrifiée. Son père avait côtoyé assez d'Aurors pour lui avoir appris que l'attente était le pire ennemi de celui qui s'apprêtait à combattre, car c'était à ce moment que la peur prenait le contrôle de ses sens. Si l'on n'y prenait pas garde, la bataille était perdue avant d'avoir commencé...

Une main sur son épaule le fit se retourner vers Davies.

" Bien joué, Mr Potter " le félicita-t-il avec un sourire presque calme. " Adossez-vous au tronc, maintenant. Moins j'aurais de surface à protéger, mieux cela vaudra. "

James hocha la tête, submergé par l'assurance presque irréelle de son professeur. Subjugué, il rejoignit Lily et Hagrid qui s'étaient déjà collés à l'arbre, et fixa l'Auror qui s'agenouillait au sol devant eux et joignait les mains autour de sa baguette levée devant son visage.

" On pourrait jurer qu'il a fait ça toute sa vie " entendit-il Lily murmurer.

James acquiesça sans la regarder, mais accepta sans rechigner la main fine qui vint se glisser dans la sienne. Autour d'eux, la forêt commença à frémir, comme un immense signal d'alarme que se relayait les arbres, les buissons et jusqu'aux fougères, et que seuls les créatures des bois savaient décrypter. Les oiseaux avaient depuis longtemps déserté le ciel et les derniers bruits de galopades s'estompaient au loin, bientôt remplacés par un caquètement malsain qui s'imposa progressivement à leurs sens.

" Il va y arriver " murmura James, comme pour se convaincre lui-même.

" Oui, il va y arriver " répéta Lily à son oreille.

Sur une impulsion, James se tourna brusquement vers la jeune fille et l'attira à lui, l'obligeant à s'agenouiller avec lui. Hagrid suivit le mouvement, se penchant au-dessus du couple de Gryffondors enlacés, le protégeant de son large corps. Davies commença à fredonner la formule, lente mélopée priant pour la protection des esprit de la forêt. Un à un, les symboles imprimés dans le tronc par la pointe d'un carreau d'arbalète de Hagrid s'illuminèrent d'une lueur or, qui se mariait avec la teinte pâle de celle que rejetait les Toiles de Lune.

La lumière féerique imprima des reflets surréels sur la robe d'Auror du professeur, qui, les yeux fermés, continuait imperturbablement le rituel. James perdit le sens du temps alors qu'il restait agenouillé au pied de cet arbre, Lily dans les bras, fixant l'homme aux longs cheveux noirs comme si plus rien d'autre ne comptait. Sur le tronc, seul un symbole restait encore éteint.

Un frissonnement parcourut la lisière de la clairière, et soudain, les korrigans furent là, créatures à peine plus hautes qu'un chat domestique les fixant en ricanant d'un air mauvais. De la meute, James ne reçut rien d'autre qu'un aperçu fugitif avant que, d'une note cristalline, Harry Davies ne scelle le rituel. Dans un jaillissement de lumière, le dernier symbole sembla prendre feu, comme répandant son pouvoir magique dans l'air l'environnant. Une barrière de lumière sembla soudain les séparer des créatures immondes et James ferma les yeux, aveuglé par la lumière, sur la vue de son professeur, les bras écartés, semblant dispenser à la protection toute l'énergie qu'il gardait cachée en son corps.

Cette image resta longtemps imprimée en traits de feu sur l'ombre de ses paupières tandis que les secondes s'égrenaient sous les cris rageurs des korrigans.

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