Chapitre 3
Deuxième matin à me réveiller sur un sol gelé, enroulé dans un swag. Ce voyage aura ma peau. Le départ pour l'excursion du jour, dans Kings Canyon, se fait encore aux aurores. Le minibus se gare devant le départ de la randonnée.
- Je vous attends là, je marmonne.
Regards entre Cooper et Amy. Le ranger me tend une paire de chaussures de randonnée.
- Tu viens avec nous.
- Hors de question, je réplique d'un ton sans appel.
- Hors de question que tu restes dans le van, « Mate ». Là il fait encore frais, mais les températures vont monter, il n'y a aucune ombre sur ce parking, tu vas cuire. C'est ma responsabilité.
Amy Dreadlocks approuve de la tête frénétiquement. C'est un complot.
- No worries, mate! me dit Cooper
- Putain ! je jure
- Reste poli, argue Amy.
Dix minutes plus tard, je me retrouve parmi le groupe face à une pente au dénivelé ridiculement élevé. Vingt minutes plus tard, je suis en train de souffler comme un bœuf au milieu de la pente et mon cœur menace de sortir de ma poitrine. Je me passe la main dans les cheveux, je suis en nage. Les amis d'Amy sont devant moi et n'ont pas l'air de galérer comme moi. En même temps ils ont dix ans de moins, je me dis pour me rassurer. Bon, la femme de 40 ans n'a pas l'air de souffrir non plus en fait...
Au moment où je crois décéder, la montée de l'enfer s'achève enfin. Tant mieux, car je suis à l'agonie. Le soleil commence à monter dans le ciel et la chaleur de ses rayons vient nous réchauffer. La température remonte sensiblement vite. Elle atteindra presque les 40 degrés en pleine après-midi. Nous évoluons en file indienne au milieu de ces roches rouges et orangés. Je me concentre sur mes pas pour ne pas trébucher. Le sentier est très escarpé. La femme hollandaise me tend une gourde et j'étanche ma soif. Je la remercie d'un hochement de tête. Après deux heures de torture, nous atteignons enfin le haut du canyon.
La vue qui s'offre à moi depuis le haut de Kings Canyon est à couper le souffle. Je me surprends malgré moi, à admirer les dominantes falaises de calcaire et la vue spectaculaire depuis le haut de la gorge. Le vide m'appelle et me happe, et je me sens étrangement à ma place au milieu de ces éléments bruts et arides. Une source d'eau se situe à cet endroit improbable. L'eau est tellement immobile, que cela crée un effet miroir, reflétant les roches rouges et jaunes à l'infini. J'entends Cooper expliquer que l'endroit constituait une importante réserve d'eau pour le peuple aborigène.
Quand une heure plus tard, nous reprenons place dans le minibus, je me sens vidé. Ma tête tombe sur le rebord de la fenêtre du van et je sombre dans un profond sommeil. Je me réveille au moment où le véhicule effectue un arrêt à Barrow Creek, une ancienne station télégraphe, pour le déjeuner. Amy et ses amis se plient à la tradition et, en riant, signent de leurs noms le mur de la station. Celui-ci est entièrement recouvert de graffitis, témoignage de tous ceux qui se sont arrêtés en ce lieu. Les voyageurs qui traversaient l'environnement hostile et impitoyable que constituait l'Outback australien y trouvaient autrefois un refuge.
Après un bref déjeuner, composé de sandwichs au thon, le van reprend à nouveau sa course vers le prochain site. Le véhicule avale les kilomètres de cette longue route poussiéreuse. Depuis que je suis arrivé sur ce pays continent, je ne m'étais jamais aventuré au-delà des villes. La traversée de l'Outback est une expérience qui vous prend aux tripes, vous rappelant votre place infiniment petite dans l'infiniment grand.
Notre périple emprunte la Stuart Highway, « The Track ». La route des explorateurs traverse le désert Australien, reliant le sud du pays depuis la ville d'Adélaïde jusqu'au Top End, la ville de Darwin.
L'excursion stoppe cet après-midi à Karlu-Karlu, que les Australiens ont rebaptisé Devil's Marbles et je me retrouve, malgré moi, obligé de me farcir chaque arrêt et de faire le pied de grue. J'attends que le groupe prenne le paysage en photo, sous tous les angles. Sous nos yeux se joue un étrange spectacle. Des formations rocheuses, telles des billes géantes posées au milieu de nulle part, s'empilent, s'éparpillent et s'entrechoquent, comme si le diable avait organisé une partie de pétanque géante. Certaines roches sont même fendues en leur centre, foudroyées sur place.
Avant l'invasion touristique, seuls les plus anciens et vénérés du peuple aborigène pouvaient pénétrer cette zone sacrée, afin de célébrer des cérémonies. Les roches représentant pour leur peuple les œufs fossilisés du serpent du « Temps du Rêve ». Je me demande quel effet ça leur procure de savoir leurs sites sacrés profanés par des hordes de touristes.
Pour ma part, cela fait bien longtemps que je ne trouve plus aucun intérêt à rien. J'ai perdu ce que j'avais de plus précieux dans cette vie. Au départ, j'avais envisagé de disparaître aussi, tellement ma souffrance était intense et me submergeait. J'ai en quelque sorte disparu, puisque j'ai fui tout ce qui composait ma vie d'avant. La flamme qui brûlait à l'intérieur de moi est éteinte depuis longtemps maintenant.
Je me tortille sur mon siège pour attraper la photo dans ma poche. Je ne la regarde quasiment jamais. Cela me fait autant de mal que de bien. Le simple fait de savoir qu'elle m'accompagne partout me suffit. Mais, à ce moment précis, je ressens un besoin urgent de la contempler.
Comme à chaque fois, ce sont des milliers de poignards qui se plantent dans mon cœur. Je le sens qui se serre sous l'effet de la douleur. Je touche le papier glacé et je peux ressentir chaque sensation, comme si c'était hier. Paradoxalement, tout ce pan de mon existence me parait n'avoir jamais existé. Ou dans une autre vie.
La porte du van s'ouvre et je sursaute. Je fourre la photo dans ma poche précipitamment.
- T'aurais dû venir voir Kylian, t'as raté quelque chose ! s'enthousiasme Amy en s'asseyant à l'arrière.
Cela me fait tout drôle d'entendre prononcer mon prénom. Tellement longtemps que je suis un anonyme. Amy doit remarquer mon drôle d'air mais pour une fois, elle ne parle pas. Elle pose juste la main sur mon épaule sans rien dire. Cette gamine aura ma peau.
Le soir tombe sur le campement de Tenant Creek où nous nous sommes installés pour passer la nuit. Grand luxe, nous ne dormirons pas à même le sol mais dans de petites cabanes aux parois transparentes, composées de filets anti moustiques. Il faut dire que nous avons progressé sur la route et que cette région devient petit à petit moins aride. Il y pleut deux fois plus qu'à Alice Springs et ces suceurs de sang s'en donnent à cœur joie.
Summum du confort, la tente comporte même deux lits. Bon, je dois partager la « chambre » avec ce ranger de Cooper mais, mis à part qu'il pue des pieds, il n'est pas trop intrusif.
Comme à mon habitude, je saisis ma guitare à la fin du repas et j'improvise un concert auprès du feu. La musique est ce qui m'a permis de me tenir debout, jour après jour. Chaque note jouée, chaque accord plaqué sur ma guitare, chaque parole chantée m'a aidé à ne pas sombrer dans la folie et à ne pas me foutre en l'air. Et tandis que résonnent les paroles et accords de « Nothing Else Matters » de Metallica, mon esprit s'envole loin d'ici.
https://youtu.be/waBb-UM5m4g
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Note de l'auteur: n'hésitez pas à me donner vos avis sur les descriptions de paysages etc, qui ne sont absolument pas mon point fort!
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