Chapitre 15
Suite à l'annonce de Guillaume, je suis ressorti de la salle pour prendre l'air. Je me sens terrassé. Qu'est-ce que je pensais ? Que je pouvais abandonner ma femme comme une merde après avoir enseveli notre fille sous terre, me re-pointer trois ans plus tard et récupérer notre vie ? Recommencer ? Recommencer quoi d'ailleurs ?
C'est juste que... Je ne peux même pas me l'avouer tellement la honte m'envahit. Quand j'ai vu Anaïs sur ce rebord de fontaine, je me suis senti plus vivant que jamais. J'ai entrevu une porte de sortie à toute cette souffrance. Je me suis dit que peut-être, on pourrait cicatriser ensemble, que peut-être enfin, on se ferait du bien. Sa présence à mes côtés est tellement naturelle, je sais avec certitude qu'elle a senti les mêmes émotions que moi. Un instant, juste un infime instant, nous étions juste un couple amoureux.
J'ai entrevu un avenir, malgré nos douleurs respectives. Je me suis fourvoyé en me disant que c'est le message que m'envoyait Stella de là où elle est. Que je devais m'occuper d'Anaïs, me racheter, je ne sais pas. C'est comme cet instant où vous vous réveillez le matin, vous vous sentez bien, tout semble possible. Et d'un coup, la réalité vous rattrape : ma fille est morte, j'ai abandonné ma femme, je suis un lâche, ma vie est foutue. J'aurais aussi bien fait de rester en Australie, ou de me foutre en l'air !
La citation de Cooper, le guide Australien, sur changer sa façon de percevoir la pluie affleure à mon esprit. Je suis pris soudain d'une colère noire ! Que des conneries ! Merde ! De rage, je mets un coup de pied dans le banc de pierre devant moi. La douleur lancinante qui s'en suit pourrait presque me faire regretter, mais je me dis que je mérite cette souffrance physique.
Une main se pose sur mon épaule et m'oblige à me retourner. L'intensité de ses yeux bruns me happe et m'oblige à détourner le regard.
̶ Ne t'isole pas Kylian, me souffle Anaïs de sa voix chaude éraillée. On est deux dans la même situation, tu le sais ? Je donnerais tout pour n'avoir jamais vécu cette épreuve. Tout. Je sais à quel point la charge émotionnelle à l'intérieur de nous est puissante et elle détruit tout sur son passage. Mais, si c'est une faiblesse, il faut également le voir comme une grande force.
Sa remarque fait écho au « changer la pluie » du ranger australien. La rage ressentie plus tôt refait surface quasi instantanément. Mon pied continue de me lancer.
̶ C'est ton David qui t'a appris ça ?
Aussitôt, je regrette mes mots. Je vois au visage d'Anaïs que j'ai visé juste. Si j'avais voulu lui faire plus de mal encore, je n'aurais pas pu. Elle soupire, comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules.
̶ Qu'est-ce que tu veux Kylian ? Est-ce que tu penses que ça a été facile pour moi de décider d'être là aujourd'hui ? Que je ne savais pas déjà que te revoir allait faire effondrer les maigres murs de défense que j'ai réussi à ériger ces dernières années depuis le décès de notre fille ? Je te dis que je n'ai pas compris ton départ mais c'est faux. Je me dis que c'est moi qui t'ai fait fuir ! Quand Stella est décédée, j'ai ressenti une souffrance insupportable. Elle était telle que je voulais y mettre un terme. Et toi... Toi, tu essayais. Tu voulais me consoler, malgré ta propre souffrance, c'était maladroit, mais la volonté était là. Tu voulais venir vers moi et je t'ai repoussé chaque fois. Chaque fois, et tu le sais. Je ne voulais pas de ton attention, c'était trop dur car je me détestais. Il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre que je n'y étais pour rien, avec l'aide de David, oui, c'est vrai. C'était plus simple pour lui car il n'était pas impliqué. Je... Je pensais être responsable de la mort de Stella.
̶ Quoi ?! je manque de m'étouffer à ces mots.
̶ Laisse-moi finir... Oui, je m'en suis voulue de plein de choses : ne pas avoir vu les signes de sa leucémie avant, j'étais sa maman, j'aurai du le sentir. Je m'en suis voulu d'avoir refusé en bloc l'annonce de sa mort et de lui avoir demandé de s'accrocher à la vie pour moi. Je pensais que c'était de ma faute si elle avait agonisé si longtemps, je lui interdisais de partir...
Sa voix se brise et elle se met à pleurer. Je m'approche doucement d'elle et la prends par les épaules. Les larmes coulent toutes seules sur mes joues également. La nuit chaude estivale nous enveloppe de sa douceur, et quelque part elle nous réconforte. Des enfants courent un peu plus loin en riant et je sais qu'Anaïs pense comme moi, Stella n'aura jamais la chance de grandir, d'apprendre, d'avoir un avenir.
̶ Nous avons chacun nos torts certainement, je murmure. Mais tu n'es pas responsable de la mort de Stella. Ou alors la responsabilité est partagée. Moi non plus, je n'ai pas pris les kystes au sérieux, je ne les ai même pas vus ! Comment t'en vouloir de désirer garder notre fille près de nous ? N'importe quel parent donnerait tout pour ne pas survivre à son enfant. Ce n'est pas dans l'ordre des choses.
Nous restons silencieux un moment, perdus très loin dans nos souvenirs.
- Tu sais, moi aussi, j'ai eu un « David » sur mon chemin, je lui avoue. Sauf qu'elle s'appelle Amy et qu'elle est la fille la plus enquiquineuse de la planète. Mais c'est parce qu'elle m'a déstabilisé puis ouvert les yeux que je suis ici aujourd'hui.
Je superpose l'image d'Amy et ses dreadlocks à celle de Stella dans ma tête, me disant qu'en grandissant, elle serait peut être devenue comme elle. Cette pensée me fait du bien.
Sans trop savoir pourquoi, je prends le poignet d'Anaïs, celui où une étoile est tatouée à l'intérieur et je la pose sur la mienne, sur le dessus de ma main. Je sens qu'elle me sourit à travers ses larmes. En fond sonore, la musique de la fête nous parvient de manière assourdie.
Demain, oui peut être demain, nous pourrons changer la pluie.
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