Chapitre 9 : Le Roi-Lune.

Le mage suivit le chevalier en armure blanche au milieu d'une foule d'humains en colère. Tous lui lançaient des cris, des sales regards. Des fruits pourris, des objets en bois et des petites lames volaient et le frappaient de tous les côtés. Bien que sa rédemption ne soit volontaire, Eklypsus avait préféré sauver les apparences et avait attaché les poignets de Solus avec une corde qu'il avait serrée au maximum du possible. De temps à autre, il tirait sur la corde pour faire avancer sa prise comme un esclave au milieu d'un salon de vente.

-Monstre !

-Crève comme tous les autres !

-Tu vas payer !

Les mêmes phrases revenaient et le pauvre mage ignorait toujours pourquoi son peuple prenait et recevait ces injures. Une jeune fille brandissant un poignard s'extirpa soudainement de la foule et se jeta sur le mage. Ce dernier n'eut pas le temps de réagir, la douleur lui arracha des larmes et un hoquet. La petite lame s'était plantée dans son abdomen, un peu en-dessous de sa cage thoracique. Il releva les yeux vers son agresseuse et ne put être en colère comme il l'aurait pu. Cette adolescente avait le visage mouillé, trempé par ses larmes de colère et de tristesse. Aucune des gouttes qui perlaient le long de son visage et s'arrêtait temporairement à son menton n'étaient issues de la joie ou de la réussite. La houle d'injures s'était tût au même moment où les premiers rangs réalisèrent la tentative d'assassinat de l'enfant. Le chevalier blanc le réalisa et se retourna. Lorsque son regard se posa sur la blessure de son prisonnier, puis sur cette jeune fille, son visage s'assombrit et il dégaina son épée hors de son fourreau. D'un pas lourd et cliquetant de son armure, il se tint de toute sa hauteur dans le dos de l'adolescente.

-Le mage appartient au roi. Ton acte est par conséquent révolutionnaire et mérite la sanction ultime.

-Mais ce monstre fait parti de ceux qui m'ont enlevé ma famille ! Je ne peux pas rester là à le voir se promener en vie sous mes ye...

La lame du chevalier venait de traverser de part en part la poitrine de la jeune fille et laissait plusieurs gouttelettes rouges tinter le sol au bout de son arme. Dans le silence le plus oppressant, le chevalier rengaina et reprit sa route, précisant à Solus de le suivre expressément. Le mage obéit mais préféra contourner le corps agonisant de l'enfant qui avait tenté de le tuer. Ce n'est que lorsqu'ils se retrouvèrent tous deux coupés du reste du monde, la porte du château passée, que le mage lui demanda la raison de cette exécution. Outre l'excuse publique qu'il avait énoncé.

-Le roi te veut en vie. ...Et je ne peux pas laisser le peuple se donner des idées de grandeurs alors que tu n'es pas en mesure de riposter. Je suis peut-être ton ennemi, mais je reste un guerrier. Voir un pair se faire lyncher alors qu'il ne peut, ou qu'il n'a pas envie de se défendre, c'est au-dessus de tout.

Sa tirade achevé, il planta le pommeau de sa lame entre les omoplates du mage et le fit grimper les marches recouvertes d'un tissu rouge. La salle du trône était la toute première pièce accessible depuis le hall. Trônant au sommet d'un immense escalier blanc-marbre décoré d'un tapis de satin à la couleur du feu, cette dernière imposait sa présence par un lourd portail de métal noir forgé et sculpté. La représentation d'un homme couronné dressant la pointe de son épée vers un soleil au visage de diable y était nettement identifiable.

Solus arrêta son regard sur l'arme du roi-guerrier. La garde de la lame était décorée d'une armoirie. Un soleil y subissait la venue prochaine d'une lune. Le jeune mage reporta son attention sur la boule enflammée de Satan, puis suivit son expertise visuelle avec l'éclipse solaire de l'épée. Il acheva son trajet sur le croissant de lune qui ornait la couronne de l'homme.

« Le roi-lune ? Par l'éclipse, il affronta le soleil... Pour quelle raison cela me semble si familier ? »

-Avance... Avance ! Solus... s'exclama le soldat à l'armure blanche.

Il quitta sa réflexion et reprit la grimpe des marches. Toujours focalisé sur la sculpture, elle ne l'abandonna que lorsque l'épais portail émit un son strident et grinçant.

La lumière l'éblouit de sa subite puissance quelques secondes. Il découvrit finalement une pièce toute en longueur, trois fois plus qu'elle n'était large. D'immenses vitraux décoraient les murs, scindés à intervalles réguliers par des contreforts internes. Les poutres de la charpente étaient visibles plusieurs mètres au-dessus de leur tête. Et le sol dallé offrait une quadrillage parfait, liant les piliers de chacun des murs.

Au fond de la salle, sur une estrade située trois marches plus haute, un homme siégeait au centre-même de sa scène. Solus remarqua une nouvelle fois le « roi-lune » sur le titanesque vitrail dans le dos de cet inconnu. Les deux vitraux encadrant le central représentant respectivement un chevalier blanc portant un renard dans ses bras et un jeune homme, la corde au cou, sur l'échafaud.

Il fut arrêté devant la première marche de l'estrade, retenu par le col. Eklypsus lui attrapa ensuite l'épaule et le força à s'agenouiller. L'homme du trône, le roi, se leva et imposa toute sa hauteur au mage. Il agita nonchalamment sa main sur sa droite, demandant à son soldat de s'écarter. Ce que ne manqua pas de faire Eklypsus, obéissant. Puis il lança un regard perfide et envieux à l'être inférieur qui lui faisait face, tout en gardant la tête haute.

-Solus Rivautise... Le mage qui obtint nombre de décorations au sein de mon armée par le passé. Mon plus fidèle soldat avec son ami et camarade Eklypsus...

Le roi adressa un vif regard au chevalier blanc avant de reprendre.

-... J'ai bien vu, et apprécié, la valeur de ton allégeance envers ma personne. Tu t'es, après tout, après le meurtre de ta famille, de ta sœur cadette, laissé vaincre par ton ancien compagnon. Tu t'es montré digne de ma confiance, et de ton intellect. Alors, dis-moi.

L'homme se pencha, fléchissant ses genoux afin d'être relativement au même niveau que son locuteur. Solus put alors se voir dans les iris grisâtre du roi. Ce dernier replaça quelques mèches brunes sur son front, retombées dans son action, et sourit au jeune homme. Un sourire faux, plein de haine et de rage.

-Dis moi Solus. Réponds-moi en toute franchise de ta propre pensée. Le soleil peut-il revenir à la vie ? N'aie crainte des religions ou de toutes autres inepties considérant l'immortalité d'une vie supérieure et réponds.

Solus patienta une dizaine de secondes, des secondes qui s'allongèrent sous la respiration agacée du souverain ne se tenant qu'à un mètre de lui. Une prolongation qu'il usa pour lui, durant laquelle il se demandait si son choix avait été le meilleur. Aux premiers abords, il s'était dit qu'il obtiendrait une réponse au « Change. », mais le roi venait de lui faire sous-entendre qu'il n'en aurait pas.

« -Quelle que sera ma réponse, la sienne ne fera que confirmer mon hypothèse. » pensa-t'il.

-Non... finit-il par annoncer.

Le roi souffla, ressentant un profond soulagement au fond de lui.

-Nous sommes d'accord. Le soleil ne ressuscite pas, mais la condition pour l'étouffer n'est pas l'éclipse. Ce phénomène ne fait que le cacher temporairement à nos yeux inférieurs. Mais connais-tu le fameux mois de la nuit ? Bien sûr que non !

Le roi se redressa et descendit de son estrade afin de se tenir sur la gauche du mage.

-Il s'agit d'un événement unique aux pays de l'extrême nord, je ne l'ai moi-même jamais vu. Durant un mois, pas plus, pas moins, le soleil disparaît du quotidien de ses sujets. Le coupable ? La lune... Épuisée d'avoir à céder sa place chaque jour, ne point partager un temps égal à celui de son compère céleste, tout cela la rendit faible et ignorée. Détestée par ses sujets, préférant dormir sous son regard mais se prélassant devant celui du soleil. Aujourd'hui...

Il plaça une main sur l'épaule de Solus.

-... La lune n'en peux plus. La nuit veut régner. Je, Noctis IIIe du nom, veux régner. Or un obstacle m'en empêchait, la magie me laissait au second plan. Ce fut clément de la part de mes prédécesseurs de vous laisser vivre. Mais je ne suis pas eux, et les temps changent plus vite que l'on ne meure. Tu es le dernier. La nuit va s'assurer que le soleil ne renaîtra pas.

Solus reconnut le glissement étouffé puis le tintement du métal que l'on retire de son lit. Il sentit la poigne du roi se resserrer un peu plus et le tirer en arrière. Ses yeux bleus se reflétèrent dans le miroir d'un acier poli et affûté avant de s'arrêter sur son torse. La dague venait de lui briser deux côtes et d'atteindre son cœur sans lui laisser le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait. Il tomba en arrière et croisa le regard noir du roi, se frottant les mains dans un tissu.

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