Une nouvelle planète

Une nouvelle planète

*

- Mira, mira !

Pitié, pas encore lui... Je me pelotonne contre Jason, comme si sa présence allait miraculeusement faire disparaître celui qui m'appelle. La première chose qui m'étonne, c'est que Jason ne fait aucun commentaire sarcastique. La deuxième, c'est qu'il possède ce sourire, le genre de sourire qu'il a quand il s'apprête à faire quelque chose de terrible. Non, non, si Dieu existe, faites qu'il ne fasse pas ce que je pense.

- T'as pas intérêt à...

- On est là ! hurle ce traître en explosant de rire.

Il ne faut que trois secondes avant que la tête d'Arthus apparaisse dans la cabine. Arthus, ma phobie sur Terre. Son prénom lui tout seul est un cliché. Ses parents adoraient les chevaliers de la table ronde et voulaient que leur fils soient aussi courageux que leur roi légendaire. Sauf qu'ils étaient bretons, donc ils se sont arrangés pour trouver un prénom correspondant à leurs origines.

Ils sont fous, ces bretons.

Bref, Arthus. Ce garçon doit vraiment avoir un don pour débouler au pire des moments. Je suis sûre qu'il le fait exprès. Dès que je disparais, il s'arrange pour me chercher afin de me montrer je-ne-sais-quoi d'inintéressant. Jason m'a dit une fois que c'était pour s'assurer que je ne restait pas trop avec son grand-frère (lui-même, donc). En vérité, il doit surtout s'ennuyer, ici. Je le comprends.

- Mira ! crie-t-il une troisième fois comme si j'étais sourde.

- Oui ! je hurle encore plus fort que lui.

- On approche d'une planète !

- Ok ?

- Mais ce n'est pas n'importe quelle planète... C'est la planète Mira !

Il me contemple en souriant, comme si j'allais exploser de joie. C'est juste la septième planète nommée Mira qu'on contourne. Mira, c'est moi - enfin, ce n'est que mon diminutif, mais seul Jason le sait. En vérité, je m'appelle Mirabilia. C'était un délire de mes parents, comme quoi mon prénom voudrait dire « merveille » en latin. C'est peut-être une belle étymologie, mais j'ai suffisamment souffert étant enfant (« Mirabilia la mirabelle » ça va deux minutes), alors j'ai dit aux autres que je m'appelais Mira. Mira tout court.

- Viens voir ! crie de nouveau Arthus en m'entraînant vers le hublot géant.

J'ai juste le temps d'apercevoir la tête de Jason émerger de la cabine, mort de rire, avant de me faire tirer en dehors du couloir. Haha. Qu'est-ce que c'est drôle. Il ne perd rien pour attendre, lui.

Arthus me traîne pendant quelques secondes, puis me lâche la main et s'élance à toute vitesse dans les couloirs déserts. Son énergie m'étonnera toujours. C'est lui le plus petit, sur le vaisseau. Parfois, je me dis que c'est dommage qu'il n'y ai pas d'autres enfants de son âge dans notre section ils pourraient s'amuser à plusieurs. Les autres jeunes ont aux alentours de dix, onze ans, et sont bloqués dans cette phase pré-adolescente insupportable où ils contestent tout. Arthus est encore un peu mignon (un tout petit peu). Il doit se sentir seul.

Mais en l'occurrence, quand je le vois foncer tête baissée dans le hall en hurlant « URGEEEEEENCE VIP LAISSEZ PASSER » je suis plutôt contente qu'il soit seul. Déjà qu'un Arthus, c'est beaucoup trop, je n'ose même pas imaginer ce que doivent être deux.

Autour de moi, les autres s'activent. Ils ne prêtent plus vraiment attentions aux gamineries d'Arthus. Ils ont finit par s'y habituer, à la longue. Quelques uns révisent, d'autres s'entraînent sur le mur d'escalade, d'autres encore semblent jouer à un jeu terrien qui m'est inconnu. La plupart doivent être en salle de pilotage, en train de réviser leurs futurs examens. On gagne des points, quand on travaille, qu'on peut ensuite dépenser en s'achetant des trucs comme des sucreries, des lits plus confortables ou des jeux terriens qu'on ne connaît pas encore. C'est censé être motivant et instructif. Au bout de neuf ans de trajet, c'est surtout lassant.

Sur le vaisseau, les plus jeunes ont neuf ans et les plus âgés ont dix-sept ans. Nous sommes divisés en sections de milles, elles-mêmes divisées en quartiers de cent. On peut changer de quartier, si on ne supporte vraiment plus personne, mais on ne voit jamais les enfants des autres sections. C'était prévu par les scientifiques : quand on arrivera sur la planète, il faut qu'on ne connaisse pas tout le monde, afin de pouvoir rencontrer d'autres personnes.

Arthus est le plus jeune de notre section, et c'est celui qui se plaît le mieux, ici. En même temps, il ne garde aucun souvenir de la planète Terre, autr que dans des manuels poussiéreux où sur les écrans tactiles. Quand on a embarqué, il avait trois mois et n'était même pas sevré. C'était il y a neuf ans. Nous avions tous été poussés par nos parents qui avaient l'espoir qu'on survive à la maladie et qu'on atterrisse sur une planète plus clémente. Plus clémente, tu parles.

Quand j'étais petite, je détestais la Terre pour avoir prit mes parents avec elle. Avec le temps, j'ai compris qu'elle avait fait tout son possible pour accueillir les humains, mais que ceux-ci avaient considéré que la détruire était la meilleure chose à faire.

Les humains, quel fléau.

Arthus manque de foncer dans la porte, se rattrape de justesse, et l'ouvre avec une sorte de fascination sacrée. La salle du hublot. C'est le seul endroit où l'on arrive à le faire taire. L'endroit est vide, comme d'habitude. Au début, tout le monde s'y rendait, ne serait-ce que pour contempler une énième fois la planète sur laquelle nous étions nés. On était tous nostalgiques de la planète qu'on venait de quitter, de nos parents, nos familles.

Entre temps, on a contourné tellement d'autres planètes que la Terre n'est devenue qu'un vague souvenir de la mémoire collective. Nous, les plus grands, on s'en souvient encore. Mais les plus jeunes n'auront jamais cette chance... ou cette malédiction ? Quand je les vois, avec leurs figures souriantes et leurs regrets inexistants, je me dit que j'aimerais bien être comme eux.

- Euh... Mira ? C'est normal que la planète soit si grande ?

L'astre n'est pas si grand que ça, à peine un dixième de la Terre. C'est elle, Mira ? Elle n'est pas si impressionnante. En revanche, je réussis à apercevoir chaque détail de l'ocre et de l'améthyste qui la composent, les moindres falaises, les flots qui la parsèment. Elle est beaucoup trop près.

Arthus a raison. Ce n'est pas normal.

Nous sommes en train de foncer à toute vitesse dessus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top