Un procès inconventionel

Un procès inconventionel

*

Ils ont brillé autrefois les soleils éclatants.

Le temps coule, s'écoule, se noie dans les flots monstrueux de mon esprit, glisse dans mes mains tremblantes d'impuissante, s'échappe de mes doigts enserrés, s'enfuit à toute allure. Il s'amenuise, s'effiloche, peau de chagrin au mains d'un insatiable, plonge vers les abysses décharnées d'un monde en perdition.

L'espoir s'envole, sa barrière se brise, le temps agonise, le cosmos s'effondre.

Je n'ose plus me retourner.

Dans mes mains encore moites de sueur, la jarre, objet dérisoire dans une paume de géants, est le seul témoin silencieux de tout ce qu'il s'est passé. Elle émet une douce lumière, un infime éclairage qui peinerait à illuminer les ténèbres, je la sens vibrer désespérement contre mes mains crispées. Elle n'en a plus pour longtemps, je le sais, et lorsqu'elle s'éteindra, rien ne pourra jamais la rallumer.

- Livie, qu'avez vous à dire pour sa défense ?

Je n'ai rien à dire, rien à avouer, pas plus que le ciel ne pourrait s'empêcher d'abriter les nuages ou que la mer de s'échouer sur les rochers brisées. Ils ne me croiraient pas, me traiteraient de folle, pousseraient les réflexions jusqu'à planter une graine de doute au fond de mon âme... et je ne pourrais le supporter. Ces souvenirs, c'est tout ce qu'il me reste de lui, d'eux, de cette magnifique civilisation disparue en un clin d'œil, si belle mais si dévastatrice...

Alors j'y repense, fort, pour éviter que ces souvenirs éphémères ne retournent au néant d'où ils proviennent, je leur insuffle toute ma force, force désespérée, force faible, force lasse de se battre contre tous les obstacles du chemin. J'y instille des dizaines de rêves, d'espoirs - de déceptions aussi, de combats acharnés face à un adversaire inconnu, et de défaites brûlantes, qui font et suer et pleurer dans la chaude atmosphère matinale.

Je n'oublierai rien, quitte à me perdre dans les méandres boueux de mes propres pensées, à perdre la raison, à m'oublier moi-même dans l'illusion bienheureuse des souvenirs.

- Livie ?

Je les ignore, mon esprit vogue, divague, s'égare dans les recoins de ma propre conscience, se laisse bercer par les doux vestiges du passés, affronte les tempêtes de pensées et cascades de souvenirs, jusqu'à couler, sombrer, se noyer, dans l'unique espoir de les retrouver. Aucun des maigres souvenirs que je possède ne pourrait leur décrire l'horrible magnificence des merveilles devant eux, sous leurs yeux d'aveugles cupides et liberticides.

Je n'oublierais ni l'espoir illuminant la douce brise du matin, les tendres matinée passées autour du lac, les découvertes mirobolantes d'un monde inexplicable. Ni les villages s'embrasant à la tombée du jour, les cris retentissants dans la sombre atmosphère du crépuscule, le feu ravageant les maisons assiégées. Ni les vies quittant l'une après l'autre un univers dévasté, l'enfer sur terre rendu fou d'horreur et de désarroi, l'espoir s'enfuyant à tire-d'aile de sa prison dorée.

Ni la chute.

La chute, par leur faute.

- Si la défense n'a rien à dire, Priam est déclaré coupable. Les modalités de sa condamnation seront rendues publiques dans quelques jours. La séance est levée.

Dans mes mains, la jarre de bronze s'éteint définitivement.

Ils ont vraiment brillé pour toi les soleils éclatants.

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