Sicario
Des lunettes cassées, un baiser pleurant, de l'eau qui coule.
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Avertissement à l'attention des quelques lecteurs : je n'ai absolument pas respecté le thème du jour. A la limite, on peut trouver la notion de baiser sous la pluie, mais ce texte est loin d'être une histoire d'amour. Ce chapitre peut contenir quelques spoilers (assez minimes) du film Sicario, dont la bande annonce est au dessus. Si cela vous intéresse, j'explique deux/trois choses sur ce texte, et le film en général, au bas du chapitres.
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- Tu n'es pas un loup.
Oh, non, elle n'avait jamais été un loup. Elle ne s'était jamais fondue dans la masse, mais ne possédait ni crocs, ni griffes, ni hurlements qui glaçait le sang. Elle se serait plus identifiée à un chien de berger : se défendre, protéger les plus faibles à grands coups d'armes et d'idéalismes, c'était ça son boulot. Elle avait cru que ce rôle lui conviendrait toute sa vie.
Jusqu'à ce qu'elle se confronte aux véritables loups.
Elle n'était plus sûre de rien, maintenant.
Elle n'aspirait peut-être pas à une vie tranquille, c'est vrai, mais elle n'aurait jamais imaginé mettre un jour les pieds dans tout ça. Elle connaissait l'agressivité. Elle connaissait les difficultés. Elle connaissait la mort, aussi. C'était son métier, après tout. Mais passer de ça à un monde d'une telle violence, inouïe, impensable, inénarrable ? Elle n'aurait même pas pu l'imaginer.
Elle aurait dû s'y attendre, pourtant. Mais elle y avait vraiment cru. Elle y croyait, qu'elle serait à la hauteur, qu'elle parviendrait à se créer une place dans ce milieu horrifique, qu'elle parviendrait à changer ce monde qui la bouleversait tant. Qu'elle parviendrait à punir les coupables. À instaurer la justice.
Et elle avait réussit, pendant un temps. Elle l'avait fait.
Elle n'en était que tombé de plus haut.
- Tu ne survivras pas ici.
Cette trahison avait l'amertume du sel et le piquant du poivre, la pointe acérée du verre et la couleur de la haine.
Elle n'avait jamais été un loup, n'avait jamais vraiment fait partie de leur meute. Pourtant, ses mains immaculées étaient maintenant couvertes de sang poupre.
C'était un trop plein d'émotions. Des regrets, des remords. Elle aurait dû agir plus vite. Elle n'aurait pas dû intervenir. Elle aurait dû les dénoncer. Elle n'aurait jamais dû se mêler à leurs affaires. Elle aurait dû lui tirer dessus. Elle n'aurait jamais dû pointer son arme sur lui.
Elle se sentait vide, bafouée et inutile. Le seul rôle qu'elle aurait pu avoir, elle ne l'avait même pas décidé elle-même. Elle avait été trahie.
Elle se sentait si faible.
Qu'aurait-elle dû faire ? Qu'aurait-elle pu faire ?
Des jours et des jours qu'elle y repensait, se torturait l'esprit. Elle n'avait toujours pas trouvé de réponse.
Elle ne pouvait s'empêcher de ressasser les évènement en boucles. Elle se sentait bête. Inutile. Inconsciente. Elle maudissait son idéalisme, sa volonté d'égalité, de paix. Elle n'avait été qu'un appât. Quelqu'un qu'on jette et dont on ne se ressert plus. Non, pire encore : elle s'était elle-même désignée comme appât. Elle manquait de confiance, ce soir-là. Elle avait envie de revivre cette sensation de volupté, de tendresse et de légèreté.
Elle n'avait fait que plonger dans les abysses de la mélancolie.
Plus rien ne serait comme avant, maintenant. Comment pourrait-elle continuer à vivre, avec tous ces morts sur la conscience ? Comment des humains pouvaient-ils perdre leurs émotions à ce point ? Une telle violence lui semblait inimaginable. Impensable, même. Mais elle existait bel et bien.
Reggie avait tenté de la prévenir. Ils allaient la manipuler. Elle devait faire attention. Demander des informations, refuser la mission si on ne l'écoutait pas. Mais voilà, c'est elle qui n'avait pas écouté. Elle s'était crue invincible. Utile à la société. Elle avait enfin un rôle à jouer dans une guerre qui s'annonçait terrible.
Elle s'était si lourdement trompée !
Et lui, Alejandro... Elle ne savait toujours pas où elle devait se placer par rapport à lui. Elle ne parvenait toujours pas à le haïr. Ou bien elle le haïssait, mais le comprenait aussi. Ses sentiments étaient confus. Elle ne se comprenait plus elle-même. S'il ne l'avait pas menacé, aurait-elle signé ce foutu papier ? Elle n'en était pas sûre. Elle ne pouvait rien affirmer non plus.
- Tu me rappelles ma fille qu'ils m'ont enlevés.
Autant dire qu'elle ressemblait à une toute petite enfant lorsqu'elle était effrayée. Sa fille... était-elle une idéaliste, elle aussi ? Avait-elle vu des comédies romantiques, rêvé d'histoires magnifiques dans lesquelles elle sauvait des personnes en danger ? Avait-elle imaginé son premier baiser radieux et souriant, près d'un soleil de plomb, ou bien vaporeux et pleurant sous une pluie ruisselante ?
Il n'y avait rien eu de tout cela, finalement. Sa naïveté avait été remplacée par un œil au bord noir, ses rêves d'idéalistes avaient laissés place à un vide béant, une trahison horrible.
Elle avait l'impression de s'être trahie elle-même, d'avoir trahie ses valeurs.
Elle ne se reconnaissait plus.
Et elle avait peur.
Terriblement peur.
*
Quelques explications quand à ce texte :
J'ai vu le film Sicario il y a quelques jours et j'ai été vraiment bouleversée par la puissance qui en émanait. Le film est dur, horrible parfois, l'histoire est loin d'être rose (trafics de drogues, vengeances et manipulations) ; en revanche, les personnages sont tout simplement parfait. Kate (le personnage de ce texte), idéaliste qui déchante bien vite, oscillant entre force surhumaine et fragilité soudaine, Alejandro délicieux dans son ambivalence constante...
Ce film a été un gros, gros choc ; à un tel point que j'ai vraiment passé une heure devant mon écran avant d'écrire ce texte, sans savoir par où commencer. Je voulais écrire quelque chose d'aussi fort, d'aussi dérangeant, qui fasse sursauter et perturbe suffisamment pour donner envie d'aller voir le film. Je voulais raconter l'histoire horrible des cartels de drogue au Mexique.
Je voulais faire tout ça à la fois... et je savais que je ne réussirais pas. Alors j'ai simplement voulu exprimer mes émotions par rapport à ce film (c'est pour ça que les idées sont un peu chaotiques haha), en essayant de spoiler le moins possible. C'est ce que je ressentais, ce que je pensais que Kate ressentait, ma terreur face aux actions qui sont déroulées et se passent encore de nos jour, et l'espoir qu'un jour cela puisse changer (entre temps j'ai supprimé la partie d'espoir puisque je doute que Kate ait encore de l'espoir après tout ce qu'elle a vécu dans le films, mais je la pense quand même : il faut se battre. Pour nous, pour eux, et pour tous ceux qui sont dans l'incapacité de protester).
Je vous conseille vraiment, vraiment ce film. C'est une vraie claque. C'est dur. Mais c'est beau, aussi, et ça permet de prendre conscience d'énormément de choses. (et puis y'a Emily Blunt et elle joue trop trop bien donc regardez le hehe)
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