Sentiments au clair de lune

*

- Parfois, je me demande si l'amour, ça en vaut vraiment la peine.

Il faisait tendre pour cette trop chaude saison d'août, et la phrase retentit dans l'air doux de la nuit. Bianca haussa un sourcils, un air moqueur sur le visage.

- Ça t'arrive souvent de te transformer en émo la nuit ?

- Seulement quand il est quatre heure du matin.

L'écho du rire d'Hazel résonna le long des champs, glissa dans la prairie et s'enroula dans les brins d'herbe. Elle avait une belle manière de rire, Hazel. Ses lèvres se retroussaient, ses fossettes apparaissaient et elle riait d'une façon douce et délicate, comme si elle jouait d'un instrument fragile.

- Je dis pas ça comme si la vie servait à rien sans amour, tenta-t-elle de se justifier, mais on nous parle de l'Amour avec un grand A depuis qu'on est toutes petites, alors je trouve pas que ce soit si dingue que ça.

- Tu sors avec Kendall en même temps, tu m'étonnes que ce soit pas ouf.

Hazel fronça les sourcils et se redressa, croisant le regard de Bianca

- Ça n'a aucun rapport.

- Quand le mec en question a un prénom qui commence par « ken » et en est fier, ça compte quand même un peu.

Hazel put s'empêcher de lâcher un rire amusé. Elle se laissa retomber dans l'herbe brûlante, aux côtés de Bianca, et soupira longuement.

- Arrête, il est gentil quand même.

Elle-même ne semblait pas réellement y croire. Bianca haussa les épaules et l'observa à la dérobée. Elle était allongée dans l'herbe, les yeux rivés vers le ciels. Ses longs cheveux blonds se mêlaient au jaune de la prairie, sa bouche couleur sang égayait le paysage cuivré. Elle était belle, Hazel. Non pas d'une beauté ahurissante, qui renversait les gens. Mais d'une beauté normale, imparfaite. Elle rayonnait dans sa banalité, illuminait le quotidien des personnes normales.

- Tu te souviens quand on s'est rencontrées ? souffla soudain celle-ci.

Bianca sursauta, tourna sa tête vers les étoiles. Oh, oui, elle se souvenait de leur rencontre. Elle n'aurait jamais imaginé devenir amie avec une fille comme Hazel. Son prénom même était le cliché de l'adolescente populaire, de celles qui allaient à des fêtes tous les vendredis soirs, sortaient avec l'un des plus beaux mecs du lycée et parlaient dans le dos de tous ceux qui ne lui ressemblaient pas.

Si elles avaient été dans le même établissement, elles ne se seraient jamais réellement parlées. Hazel possédait ce pouvoir de s'entendre avec tout le monde, de marquer l'esprit des gens à tout jamais. Elle n'était pas de ceux qu'on oubliait. Son passage laissait des étincelles dans les yeux, des paillettes dans le cœur.

La première fois qu'elle l'avait aperçue, Bianca l'avait admirée, de loin, sans oser lui adresser la parole. Qu'aurait-elle pu lui dire ? Elle venait sans doute passer une partie ses vacances ici, à râler contre les bouses de vache et l'éloignement de toute vie en société, comme la plupart des citadins. Elles s'étaient recroisées, quelquefois, sans jamais se parler.

Jusqu'à ce qu'elles se rencontrent dans ce même champs, au beau milieu du plus bel orage de la saison.

- Ouais. Il faisait moche. Le seul jour de juillet où il pleuvait.

- C'est parce que le soleil ne voulait pas te faire d'ombre, sourit Hazel.

Bianca lâcha un rire qui se perdit dans les champs. Elle adorait ces compliments à la limite de l'ambiguë qu'elles se faisaient, cette ambivalence constante dans leurs paroles. Cela la perturbait, parfois ; mais toujours délicieusement, avec douceur.

Dire qu'elles avaient failli ne jamais se rencontrer... Bianca n'osait même pas l'imaginer. En à peine quelques jours, la présence d'Hazel était devenue le rayon de soleil de sa journée. Elle avait un véritable don pour mettre les gens en confiance, tout en restant légère et drôle à la fois

Mais ce soir, Bianca ressentait autre chose. Il lui semblait qu'Hazel était plus triste. Mélancolique. Ses paroles étaient soufflées sur le bout des lèvres, et elle semblait porter quelque chose, un secret qu'elle ne parvenait pas à formuler et dont elle ne pouvait se défaire.

- C'est la pleine lune, ce soir. Ma mère disait toujours que les pleine lunes, c'était les soirs de révélation.

Bianca se tourna de nouveau vers Hazel, leurs visages se retrouvèrent face à face. Elle pouffa quand elle aperçu les brins d'herbes qui parsemaient sa chevelure. Les ombres de la nuit prenaient le pas sur la conversation, leur accordant un brève moment de répit. Durant quelques secondes, les deux filles se regardèrent sans rien dire, prunelle ambrée contre prunelle forêt.

Bianca reprit la parole à contrecœur.

- Quand j'étais petite, je croyais que chaque lune était différente. C'est pour ça qu'elle n'apparaissait pas de la même façon.

- Moi, je croyais qu'elle était en fromage.

La jeune fille donna un petit coup dans l'épaule d'Hazel.

- Arrête de casser la magie du moment !

- Je m'excuse, je m'excuse. En vrai, j'aime bien ta comparaison. Mais ça veut dire que tu pensais qu'elle mourrait à chaque fois ?

- Non... enfin, je ne sais pas. Je me suis jamais vraiment posée la question. Mais je me souviens que je préférais la lune en croissant. Ce n'était pas celle qui brillait le plus, ni la plus ronde ou la plus belle, mais elle me convenait. Elle existait sans qu'on la connaisse entièrement. J'aimais bien l'idée d'une face cachée.

- Une face cachée... soupira Hazel en écho.

Elle expira lentement, comme si elle regrettait sa naïveté d'une époque lointaine. Elle semblait si jeune et si vieille à la fois ! Sa silhouette mélangeait la candeur de l'enfance et le poids des siècles passés. Elle était si belle, à ce moment là. Frêle et forte à la fois, baignée par une lueur argentée, on aurait dit qu'elle venait des étoiles.

- C'était la pleine lune, quand mes parents ont divorcés. C'était aussi la pleine lune, quand mon frère est mort. Ça doit être pour ça que j'ai pas trop confiance en l'amour. Mais parfois...

Bianca retint son souffle pendant qu'Hazel prenait une grande inspiration.

- Parfois, je me dit que j'aurais mille fois mieux fait de sortir avec toi.