- 68 -

Seo-Joon avait pris le bus jusqu'à l'hôtel, Taehyung étant parti sans lui. En arrivant dans la chambre, il le trouva allongé sur le lit, le regard rivé vers le plafond. Il semblait calme, et sa poitrine se soulevait à intervalles réguliers.

Sans rien dire, il ôta sa veste et posa sa sacoche, puis contourna le lit, et s'assit dans le fauteuil près de la fenêtre, et croisa les jambes. Puis il attendit, observant l'héritier du coin de l'œil.

De temps en temps, Taehyung changeait d'expression, ses yeux s'ouvraient subitement, brillaient d'une lueur d'espoir, avant de nouveau s'assombrir, puis il mordait sa lèvre, tirant dessus avec ses dents, et agitait ses doigts entre eux. Hormis ces quelques tics qui se répétaient en boucle, il ne disait pas un mot, et ne bougeait pas d'un pouce.

Ils restèrent ainsi durant quatre heures. Quatre heures pendant lesquelles un silence absolu se fit autour d'eux.

Durant ce temps, les images passaient devant les yeux de l'héritier. Il repensait à ce qu'il avait ressenti lorsqu'il avait trouvé la première énigme de Jungkook dans la bibliothèque. Il avait été tellement fier de lui, du noiraud, et tellement heureux à l'idée de le revoir. Puis à son départ précipité du manoir, à la gare de Namyangju, et à nouveau à l'excitation qu'il avait ressentie en déverrouillant ce casier bleu. Tout son corps avait tremblé en pensant aux retrouvailles avec Jungkook. Mais cet après-midi au parc, il avait craqué. Il avait lâché prise. Trop de doutes et de questions assaillaient son esprit. Combien d'autres énigmes restait-il ? Et s'il ne parvenait pas jusqu'au bout ? S'il ne le retrouvait jamais ? Que deviendrait-il ? Il serait contraint de rentrer, de retrouver sa vie, et de prendre en charge la succession du groupe Lotte.

Il ne voulait pas de cette vie, de ces costumes trop chers, de ces dîners mondains, de ces interviews ennuyeuses, et de tous ces journalistes devant chez lui. Non. Il voulait retourner en Thaïlande, sur ce yacht avec Jungkook, et fuir le monde, fuir la réalité.

Mais ce n'était pas possible de fuir. Du moins pas toute sa vie. Un jour ou l'autre, avec ou sans Jungkook, il devrait faire face à ses responsabilités. Il devrait affronter Jin, Namjoon, et les autres. Leur dire ce qu'il souhaitait faire, et essayer de ne pas faire les mauvais choix.

Cependant, Taehyung ne savait plus quels étaient les bons choix et les mauvais choix. Tout avait été trop loin, son amour pour Jungkook l'avait poussé à faire des choses qu'il ne se croyait pas capable de faire un jour. Et il ne savait pas s'il serait capable d'y faire face pour le restant de ses jours.

Néanmoins, Jungkook ne méritait pas qu'il abandonne. Peut-être qu'ils ne finiraient pas leurs vies ensemble, peut-être que le noiraud lui en voulait, ou qu'il ne l'aimait plus comme avant. Mais il devait le retrouver pour qu'ils aient cette discussion, et que tout soit clair. Abandonner sans rien savoir était pire que tout.

C'est ainsi qu'à vingt heures, Taehyung se décida à bouger de son lit. Seo-Joon piquait du nez dans le fauteuil, et il posa sa main sur sa cuisse pour le secouer doucement.

— Hey...

— Hein, quoi ?!

Le garde se réveilla en sursaut, et Taehyung posa sa main sur son épaule. 

— C'est moi. Est-ce que tu as faim ?

— Oui, un peu, admit Seo-Joon.

Depuis la veille, il n'avait rien avalé, laissant à l'héritier le loisir de la balader à droite et à gauche sans manger.

— Allons dîner.

Les deux hommes optèrent pour un restaurant de pizzas et de hamburgers, et commandèrent beaucoup de nourritures. L'endroit avait des vibes des années soixante-dix, avec une décoration très rétro. Les banquettes étaient en cuir turquoise, et les tables en formica blanc. Il y avait un jukebox, et des affiches de cinéma américain.

— Alors, questionna Seo-Joon. Tu as pu réfléchir cette après-midi ?

— Un peu... avoua Taehyung en mordant dans son hamburger.

— Et tu y vois plus clair ?

— Pas du tout.

Le visage du garde se crispa quelque peu, et il reposa sa part de pizza, essuyant ses mains grasses sur la serviette en papier.

— Comment ça ?

— Je suis totalement perdu. Je pensais que j'arriverais à gérer la situation, mais c'est un leurre. Je ne gère rien, je ne sais plus où j'en suis, si bien que je ne parviens même plus à distinguer les bons choix des mauvais.

— Comment est-ce que je peux t'aider ?

— Tu ne peux pas. C'est à moi d'y arriver. Et d'ailleurs, je tiens à m'excuser, j'ai été un gros con avec toi depuis le début...

Seo-Joon fixait la sauce que Taehyung avait au coin de la bouche et il ne put s'empêcher de penser que malgré son sale caractère et ses idées tordues, il restait la personne dont il était le plus proche après Hyung-Sik.

— Est-ce que tu as pu appeler Hyung-Sik depuis notre départ ? demanda Taehyung en attrapant une frite.

— Non... juste quelques textos. Pour le bien de tous, je suis censé être dans de la famille pour une urgence.

— Tu devrais l'appeler depuis cette cabine là-bas... affirma le châtain. Ça ne laisse pas de trace ce genre de truc. Il a le droit de savoir que tu vas bien...

Seo-Joon acquiesça, et se leva pour rejoindre l'appareil dans l'angle de la salle. Le coup de fil fut bref, il ne fallait pas éveiller les soupçons quant à la raison de sa venue ici, avec Taehyung. Le garde pu rassurer son petit ami, et apaiser les tensions.

En revenant à table, l'héritier avait commandé des desserts. Deux milkshakes, des glaces, ainsi que des donuts.

— Tu comptes noyer ton chagrin dans le sucre ? plaisanta Seo-Joon.

— C'est probable, répondit Taehyung le regard triste.

— Alors... dis-moi... pourquoi es-tu si perdu ? Jusqu'à maintenant, tu voulais retrouver Jungkook coute que coute, et aujourd'hui, tu hésites... qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?

Taehyung soupira, posa ses mains sur ses cuisses, et soupira en regardant les spots au plafond.

— J'en sais trop rien... dit-il en touillant son milkshake. Je crois... que j'ai tout idéalisé, du début à la fin.

— Genre... quoi ?

— Genre, depuis mon départ à Harvard. C'était digne des romans d'amour. Celui qui s'éloigne, laissant son amant sur le bas-côté, crier son chagrin. Je me complaisais là-dedans. Dans ma souffrance. Au point où j'ai élaboré ce plan, comme si nous étions dans un Hitchcock. Finalement, toute cette histoire d'énigmes, de codes, de chasse au trésor était très excitante, et je voyais déjà Jungkook courir vers moi et me sauter dans les bras. Mais j'ai réalisé que tout ça, c'était dans ma tête...

— Pourquoi ça ne serait pas réel ? demanda l'homme en croquant dans un donut.

— Parce que rien n'est romantique là-dedans. J'ai tué mon père... Seo-Joon. Je t'ai fait acheter de l'Aconit sur le Dark web, et je t'ai demandé de l'empoisonner ! Parce qu'il n'était pas d'accord avec le fait que je sorte avec Jungkook. Est-ce que tu ne crois pas que j'ai un tout petit peu dépassé les bornes ?!

— Vu comme ça... c'est sûr que ce n'est pas très engageant. Mais tu obscurcis le tableau, Taehyung. Tu oublies de dire que Daek-Jae était un tortionnaire. Autant avec toi qu'avec ses employés. Tous le craignaient au manoir... il était intransigeant, ce n'était pas quelqu'un de bien.

— Peut-être, mais est-ce qu'il méritait de mourir pour autant ?

— Le fait est... que c'est fait. Tu ne peux pas revenir en arrière, affirma le garde l'air sérieux.

— Je sais. Et je me demande, quand Jungkook l'apprendra... est-ce qu'il me verra toujours comme avant ? S'il se met à me détester, j'aurais fait tout ça pour rien. Même lui, je ne l'aurais plus.

— Alors c'est ça ? C'est ça qui te fait stresser ?

— Ça, et le reste.

— Le reste ?

— J'en sais rien, Seo-Joon ! Je me demande si tout ça, c'est ce que je veux !

— Ça quoi ?! s'agaça le brun.

— Ça... Jungkook... moi... nous enfuyant à travers le pays pour vivre notre amour... je voulais quelque chose de romantique, pas tragique. S'il ne veut pas rentrer au manoir, alors nous serons contraints de nous séparer.

— Oui... c'est certain. C'est quelque chose auquel il aurait fallu penser avant. Mais tu ne pouvais pas savoir qu'il se serait enfui.

— Non. Mais j'aurais dû prendre en compte son avis quant à la mort de mon père. J'ai agi sans même me demander s'il accepterait.

— Il n'est pas encore l'heure d'avoir des regrets, Taehyung.

— C'est-à-dire ?

— C'est-à-dire, que tu pourras te poser toutes ces questions quand vous serez l'un en face de l'autre. En attendant, trouvons-le.

Le châtain acquiesça, et ils finirent de manger avant de retourner à l'hôtel.

[]

Jungkook avait terminé le travail à dix-huit heures ce soir. En fermant le rideau de fer, il mit sa capuche, et prit la direction de la plage. Là, il marcha dans les mêmes traces que le matin, et s'arrêta au même endroit. C'est là que les coordonnées GPS s'arrêtaient. Du moins pour le dernier indice. C'est là que Taehyung devait retrouver le gamin. S'il le retrouvait...

Parce que depuis le début, Jungkook venait ici deux fois par jour, et il n'y avait pas l'ombre d'un Kim Taehyung à l'horizon.

Ce soir, Jungkook se sentait morose, comme s'il sentait au fond de lui, que tout ça ne fonctionnait pas. Il s'assit par terre, ses pieds s'enfonçant dans le sable, et regarda le soleil se coucher derrière l'océan. Une fine larme roula le long de sa joue, alors que le vent emportait sa capuche, et se glissait dans ses cheveux blonds.

Ils avaient poussé depuis le temps. Il attrapa donc un élastique qui trainait au fond de sa poche, et attacha le tout en une petite queue de cheval. Quelques petits cheveux persistaient à voler autour de son visage. De nouvelles larmes prirent place aux coins de ses yeux, et soudainement, il explosa en sanglots, entourant ses genoux de ses bras.

Un mois était passé depuis son arrivée, et il savait que c'était terminé. Demain, nous serions fin juin, et il était évident que jamais Kim Taehyung ne viendrait le chercher. Jungkook aurait pu abandonner son plan, et rentrer au manoir. Mais il savait qu'en se jetant dans la gueule du loup, alors Daek-Jae ne lui pardonnerait jamais de s'être enfui. Il le tuerait, et jetterait son cadavre comme bouffe pour les dobermans de la sécurité.

Mais ce qui était encore plus dur à supporter, c'était de ne pas savoir si Taehyung avait essayé, s'il avait tenté de le retrouver, ou si jamais il n'avait été au courant de son plan. Ce qui le rendait fou de chagrin, c'était de penser que le châtain s'était imaginé qu'il l'avait abandonné, et qu'il avait décidé de partir sans même penser à lui une seule seconde. Alors qu'en réalité, il s'était donné du mal, il avait pensé à lui à chaque instant, sa poitrine se resserrant en pensant aux moments passés ensemble.

Et Jungkook avait peur. Il avait peur d'un jour, oublier le visage de Taehyung, la douceur de ses lèvres, et la façon qu'il avait de l'embrasser, comme s'il était la chose la plus fragile et précieuse du monde. Alors chaque jour, il pensait à tout ça, ressassant ses souvenirs pour les garder en mémoire, pour que jamais ils ne s'effacent. Sauf que ce procédé lui faisait mal, tellement mal, que chaque nuit, il pleurait, repensant à tous ces souvenirs qui le hantaient.

Il fouilla dans sa poche, et en tira le petit écrin renfermant les boutons de manchettes ornés de colombes. Elles symbolisaient la liberté, leur liberté. Mais jamais elles ne seraient libres, condamnées à errer dans le néant. Parce que sans l'autre, elle n'était rien. Comme Jungkook n'était rien sans Taehyung.


****

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top