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— J'avais dit dix heures !!! Où est-ce que tu te crois sale garnement ?!
La voix de la vieille femme tira Jungkook de ses songes, et il ouvrit les yeux alors que la couverture fut arrachée violemment, provoquant un frisson dans tout son corps.
Bordel, il avait oublié l'heure ! Il n'avait pas de téléphone, pas de réveil, et il avait dormi plus qu'il ne le pensait, oubliant de libérer la chambre à l'heure. Il se redressa en position assise, les yeux affolés en direction de la vieille.
— Oh, pardon ! Excusez-moi, j'étais si fatigué...
— Je me fiche de tes excuses ! Prends tes affaires et déguerpis ! OUST !! railla-t-elle.
Jungkook posa un pied au sol, et se leva pour enfiler son jean, quand il manqua de tomber au sol. Il se rassit sur le lit, son visage grimaçant de douleur, puis posa les yeux sur sa cheville. C'était encore pire que la veille. Elle était gonflée, avec un hématome violacé qui l'entourait. La femme regarda le gamin, et souffla, reposant la couverture sur le lit.
— Fais voir ça ! grogna-t-elle.
— Ça va... ça va aller, merci, souffla le blond en enfilant son jean.
— Je t'ai dit de me montrer ça ! Alors, ne discute pas, gamin ! grogna-t-elle en s'asseyant à ses côtés.
Jungkook obtempéra, et la vieille femme attrapa sa cheville qu'elle cala sur ses genoux.
— Bon... tu vas venir avec moi, habille-toi, prends tes affaires et rejoins-moi en bas dans cinq minutes.
— Hein ?! Non, c'est bon, j'dois y aller, j-
— Cesse de discuter !!! Personne ne t'a appris à obéir bon sang ?!
Le gamin baissa les yeux.
— D'a-d'accord...
Il faut dire que la femme n'était pas commode, et ne donnait pas envie de désobéir avec son air revêche et ses petits yeux noirs. De toute façon, il devait se rendre en ville pour essayer de trouver un logement, un travail, et de quoi manger. Alors autant accompagner la vieille, il pourrait toujours décider de faire son chemin de son côté une fois sur la route.
Elle quitta la chambre, alors qu'il finissait de s'habiller. Il réunit toutes ses affaires, et enfila ses chaussures maladroitement. Rien que de sentir quelque chose enserrer sa cheville le faisait souffrir. Mais il essaya de ne pas y prêter trop attention, et refit le lit, avant de jeter son sac sur son dos, et de descendre jusqu'à l'accueil. Là, la vieille attendait derrière le comptoir. En voyant le gamin, elle attrapa un vieux cabas en osier, noua un foulard autour de ses cheveux, et pris sa canne. Puis elle incita Jungkook à sortir, grognant un peu après lui, et ferma la porte derrière elle.
— Vous fermez ? Il n'y a pas d'autres clients ? demanda-t-il.
— Très peu... c'est rare qu'on voie des visiteurs par ici... généralement, ce sont des hommes en transit... des soldats de Corée du Nord qui passent par ici avant de rejoindre une base, ou une division. Pas de touriste.
— Oh... je vois, répondit le garçon.
Silencieusement, il suivit la vieille en boitant. À cet instant, Jungkook remercia le destin que la femme ne marche pas plus vite, car il n'aurait pas pu la suivre avec sa cheville si douloureuse. Elle prit la route qu'il avait emprunté la veille, et entra dans l'épicerie. Jungkook pouvait maintenant voir la ville en plein jour.
Ce n'était pas vraiment grand, un petit centre-ville, entouré d'habitations, mais il semblait y avoir une plus grande agitation, et des bâtiments un peu plus loin, au cœur d'une ville plus grande. Au loin, on pouvait voir les montagnes, se dressant de façon majestueuse. Et de l'autre côté, Jungkook pouvait déjà sentir l'odeur de l'océan. La vieille poussa la porte de verre, et entra dans le magasin surchauffé. Ici, pas de climatisation, ou alors, elle ne fonctionnait plus depuis longtemps. Elle s'avança vers la caisse, et Jungkook reconnut de suite le vieil homme de la veille.
— Ah ! Te revoilà ! dit l'homme en voyant le gamin arriver.
— Seongnim, occupe-toi de lui, sa cheville est en mauvais état.
Le vieil homme observa le gamin, et lui fit signe d'approcher. Jungkook hésita un instant, jetant un coup d'œil à la femme qui lui mit un coup sur l'épaule avec sa canne.
— Avance donc !
Il contourna la caisse, et resta planté devant l'homme qui le regardait. Il avait le visage abîmé par le temps, comme si le travail l'avait épuisé plus que nécessaire. Il portait un pantalon marron à bretelles, ainsi qu'une chemise en tissu léger blanc. Il avait une petite moustache poivre et sel, et quelques rares cheveux. Il plissa les yeux, son regard allant du gamin à la vieille.
Jungkook les regardait également, ne sachant pas trop quoi faire. Il finit par sourire bêtement, et se balança d'un pied sur l'autre, ignorant la douleur à sa cheville. Puis le visage de la veille sembla se détendre un instant, et se fit plus doux. Ses yeux se firent plus brillants quand elle regarda l'homme, et l'instant d'après, tout disparu, et elle arbora de nouveau son visage revêche et sévère. L'homme posa une main sur l'épaule de Jungkook.
— Assied-toi, on va regarder ta cheville.
Pendant que Jungkook s'installait, la vieille femme s'éloigna, et l'homme la héla :
— Songyun, tu es sûre ?
Jungkook releva les yeux, et s'étonna de voir la vieille s'en aller en marmonnant.
— Oh, vous partez ?
— J'ai à faire, gamin.
— D'accord... merci pour tout, madame. Et désolé de ne pas m'être réveillé à l'heure.
— C'est bon. Occupe-toi de soigner cette cheville au lieu de raconter des sottises.
— Oui, madame.
Elle ouvrit la porte sans regarder en arrière, et quitta la boutique. L'homme souffla, et posa son regard sur le garçon. Et dans un geste auquel Jungkook ne s'attendait pas, il fit basculer sa capuche en arrière, et dévoila ses cheveux blonds.
Ses joues s'empourprèrent, mais il ne dit rien. L'homme balaya son visage du regard, et dit :
— Comment tu t'appelles ?
— Oh, euh... Park Joomin, monsieur.
L'homme émit un petit rire, et lissa sa moustache. Puis il s'éloigna entre les petits rayons de la supérette.
— Enlève ta chaussure, et pose ta jambe sur le tabouret face à toi.
— O-oui...
Seongnim récupéra de la crème, ainsi que des bandes, et retourna près de Jungkook.
— Comment tu t'es fait ça ?
— Je suis tombé en marchant.
Le vieil homme haussa les sourcils en le regardant.
— En marchant, hein ?
— O-oui... je ne suis pas très adroit.
L'homme attrapa le pied de Jungkook et déposa une grosse noisette de crème dessus. Le gamin grimaça de douleur, puis Seongnim enroula une bande épaisse tout autour.
— Tu es là pour combien de temps ?
— Je... j'en sais trop rien... j'aimerais me poser en fait. Mais je dois trouver un travail, et un logement... et aussi de quoi me nourrir, alors...
— Je t'engage.
— Quoi ?! s'exclama le blond.
— J'ai besoin de travailler aux champs. Mais je ne peux pas parce que je suis coincé ici, avec cette boutique. Alors je t'engage pour rester ici, et t'occuper des clients. Pendant ce temps, je travaillerai aux champs.
— À votre âge ?!
Le visage du vieux se ferma.
— Es-tu en train d'insinuer que je suis trop vieux pour travailler ?! Alors que je t'offre un emploi ?
— Non !!! Non, non !! répondit Jungkook en mettant les mains devant lui. Pas du tout... mais ce serait plutôt à moi de vous aider aux champs... le travail est physique, et je suis jeune, je pe-
— Tu ne serviras à rien aux champs avec cette cheville ! vociféra l'homme.
Jungkook baissa les yeux. En effet, tant que sa cheville n'était pas soignée, il ne pourrait pas faire grand-chose.
— Alors ? demanda-t-il. Tu acceptes ?
Jungkook releva le regard vers lui. Est-ce que vraiment, il venait de trouver un job aussi facilement ?
— Oui ! Oui j'accepte, merci du fond du cœur !
— Ne t'emballe pas, gamin ! Ce ne sera pas très bien payé...
— C'est pas grave, répondit le garçon. Tant que je peux me payer de quoi manger, et un endroit où dormir...
Seongnim parut réfléchir un instant, les mains posées sur ses hanches.
— Reste ici pendant la journée. Occupe-toi des clients, encaisse-les, renseigne-les... fais l'ouverture à huit heures, et la fermeture à dix-huit heures. En échange, je peux t'héberger, et te nourrir, qu'est-ce que tu en dis ? Tu auras un jour de repos dans la semaine, le dimanche.
— Mais pourtant, hier vous avez fermé plus tard, non ? Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je reste plus longtemps ?
— Non... si je vais travailler aux champs et toi ici, il ne sera pas nécessaire de rester aussi longtemps.
— J'accepte, répondit Jungkook sans réfléchir plus longtemps.
Même si ce job n'était pas des plus intéressants, le vieil homme lui permettait d'avoir un toit, et de la nourriture. C'est tout ce qui comptait en attendant que Taehyung vienne le chercher.
[]
Le châtain avait eu beaucoup de mal à entrer dans sa propre chambre le soir venu. C'est comme si toutes ses affaires avaient été déplacées de quelques millimètres, portant l'essence même de Jungkook. Il avait vécu là pendant six mois, et l'héritier pouvait sentir son parfum sur les draps, et même la salle de bain portait l'odeur de son gel douche et de son shampoing.
Il s'était assis sur le lit, et avait sorti de sa poche, le petit mot trouvé dans le roman. Il posa de nouveau les yeux dessus, et le relu avec attention.
« Nos ennemis ne sont pas toujours ceux qu'on croit. »
« Polaris — R23-E3-L17 ».
Que pouvait bien vouloir dire cette suite de lettres et de chiffres ?
Réfléchis Taehyung ! pensa-t-il. Polaris, c'était l'étoile Polaire, celle que l'on voit dans le ciel en premier, celle qui guide les aventuriers égarés, celle qui indique le nord... Mais « R23-E3-L17 ». Bordel... Il n'en avait aucune idée.
Peut-être des coordonnées GPS ? Non... Ça n'y ressemblait pas...
Par acquis de conscience, Taehyung déverrouilla tout de même son téléphone et tenta de chercher un lieu avec cette combinaison. Mais rien.
Il souffla, avant de tomber sur son lit, le petit papier toujours sous les yeux. Jungkook lui manquait. Son sourire lui manquait, sa façon de s'exprimer, de bouger. Même sa façon de bouder, de prendre la mouche, ou de crier sur lui, lui manquait. Il aurait tout donné pour une dispute avec lui, là, tout de suite. Peu importe qu'il le déteste, qu'il ne l'aime plus ou qu'il ne souhaite pas faire sa vie avec lui. Taehyung voulait juste pouvoir le regarder, et le savoir en sécurité.
C'est là qu'il se rendit compte que rien n'avait eu plus d'importance dans cette histoire que Jungkook. Il n'avait pas fait ça pour lui. Il aurait très bien pu continuer à endurer sa vie telle qu'elle était s'il ne l'avait pas connu. Son père l'aurait rabaissé, encore et toujours. Et lui aurait obéi. Il serait devenu quelqu'un d'autre, quelqu'un de méprisant, sans sentiment, avec une carapace tellement dure que personne n'aurait jamais pu la percer pour voir au travers. Taehyung serait resté caché de tous et de tout le monde.
Seul Jungkook était parvenu à le voir tel qu'il était, à le comprendre, à lui laisser le temps de s'ouvrir. Alors tout ça, tout avait été fait uniquement pour Jungkook.
Ce n'était pas pour sa propre liberté que Taehyung avait tué Daek-Jae. C'était pour celle de Jungkook. Uniquement pour ça. Pour ça, et son bonheur.
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