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Seo-Joon conduisit jusqu'à un café plutôt calme et pas trop bondé en journée, qui se tenait dans le quartier de Gangnam. Jungkook et le garde trouvèrent une place un peu reculée, vers le fond de la grande salle, près de la vitre, et s'installèrent sur des chaises en fer forgé noires, recouvertes de coussins d'assise couleur crème. Les tables étaient en chêne verni, et les murs peints en blanc cassé. Du plafond tombaient une multitude de plantes en cascade, donnant l'impression d'être dans la jungle, et en pleine nature. De grosses ampoules étaient suspendues depuis le plafond, tombant assez bas et éclairant la pièce. C'était un mélange de verdure et d'industriels assez particulier, mais qui avait son charme.

— Bonjour, messieurs, que souhaitez-vous commander ?

La serveuse était minuscule, les cheveux attachés en une queue de cheval basse, un tablier bleu autour de la taille. Elle portait un pantalon à pince noir, et un polo blanc. Elle avait l'air douce, et son visage était agréable et souriant.

— Je vais prendre un café crème, et le jeune homme prendra un chocolat viennois, ainsi que des hotteoks s'il vous plaît, affirma le garde.

— Très bien, je vous apporte ça.

— Je n'avais rien demandé, rétorqua Jungkook lorsque la serveuse fut partie.

— Je sais. Mais il faut que vous mangiez. Si vous ne le faites pas pour lui, faites-le pour vous.

Jungkook ne répondit pas, et Seo-Joon se racla la gorge, espérant que cette conversation allait l'aider à en savoir plus sur cette lettre.

— Bon, je dois vous avouer que j'ai besoin de votre aide... mais je ne souhaite pas vous mettre dans l'embarras... alors si vous ne souhaitez pas m'aider, je comprendrai.

— De quoi tu parles ? demanda le noiraud dans une grimace.

— De ça...

Seo-Joon sortit le petit morceau de papier froissé, et le déposa sur la table.

— C'est une lettre que Taehyung m'a fait passer, le jour où il est arrivé à Cambridge, expliqua-t-il. L'homme qui l'a accompagné me l'a transmis. Mais j'avoue que je ne comprends pas vraiment de quoi il parle... c'est très flou, comme s'il y avait un sens caché, mais je ne parviens pas à déchiffrer quoi que ce soit.

Le visage du gamin se décomposait devant le morceau de papier replié sur lui-même, face à lui. Il se mordit la lèvre, détournant les yeux pour balayer la pièce du regard, et essayer de se trouver une contenance. Puis il se racla la gorge, et reposa son regard sur Seo-Joon.

— Jungkook... j'ai vraiment besoin de toi...

La familiarité avec laquelle il s'adressa à lui le fit capituler. Il avait besoin de quelqu'un de qui se sentir proche, et Seo-Joon avait toujours tellement pris soin de lui et de Taehyung, qu'il le voyait un peu comme son grand frère. Quoi qu'il en soit, il se sentait bien plus proche de lui que de quiconque au manoir. La main tremblante, il attrapa la lettre, et la déplia, déglutissant doucement. Ses yeux se posèrent sur les mots qui s'enchainèrent dans son esprit. À la fin de la lettre, il leva les yeux vers le garde, les sourcils froncés.

— Tu as une feuille ? Et un stylo ?

— Euh... non. Mais je vais demander à la serveuse, je reviens.

Seo-Joon s'éclipsa un instant, alors que les mots switchaient dans l'esprit de Jungkook à la vitesse de l'éclair. Toute son attention était focalisée sur les lignes qui se reflétaient dans ses yeux. Il l'avait, il tenait la solution ! Les lettres semblaient se détacher des mots, et n'être que des symboles, avant de former un nouveau message.

— Tiens.

— Non. Prends-là, et écris s'il te plaît.

— Ah ? D'accord...

Le garde s'exécuta, et attendit que Jungkook lui dicte quelque chose.

— T

— Quoi ?

— T ! La lettre T !

— OK, OK !

— R... O... U... V...

Jungkook enchaîna les lettres, et Seo-Joon écrivit au fur et à mesure que le gamin dictait. À la fin de la lettre, Jungkook lui arracha la feuille des mains pour vérifier sa théorie. Seo-Joon restait bouche bée.

— Trouve un moyen de me contacter... lut Jungkook à voix basse.

— Comment tu as trouvé ?

— J'ai pris la première lettre du premier mot de chaque phrase. C'était un code !

Les yeux du noiraud allaient de la lettre au garde, et pour la première fois depuis deux semaines, Seo-Joon y décela une lueur d'espoir. Jungkook étala le papier entre eux, et du bout des doigts, lui montra la solution qui avait été sous son nez pendant tout ce temps.

Seo-Joon,

Tu vas bien ?

Rien à signaler ici.

Ou quelques secousses dans l'avion.

Une fois arrivé, j'ai rencontré Min-Ho, qui te remplace auprès de moi, le temps de mon passage à Cambridge.

Vérifie que tout se passe bien au manoir, s'il te plait.

Et passe le bonjour à mon père.

S'il te demande, dis-lui que je me porte bien.

Une fois de plus, j'ai causé du tort à la famille...

Nul n'est parfait...

Mais je profiterais de cette deuxième chance pour me reprendre, c'est promis.

Oh ! J'allais oublier !

Y a-t-il quelque chose de particulier que je doive faire ici ? J'ai un peu été abandonné à mon triste sort, et je me sens perdu.

En tout cas, présente mes excuses à mon père pour moi s'il te plaît.

N'oublie pas Jin et Namjoon, ils ne méritaient pas d'avoir un cousin si égoïste.

Demain, je commence mes cours à Harvard.

Et je t'avoue que je suis un peu stressé d'entrer dans un nouvel environnement.

Mais je te promets, à toi, comme aux autres, de faire de mon mieux.

Et également de me reprendre, afin de rendre mon père fier de moi.

Crois-tu qu'il serait possible que tu demandes à Jungkook de me pardonner ?

Ou alors, passe-lui simplement le bonjour...

N'insiste pas ; s'il m'en veut, je le comprends.

Tu peux lui dire de prendre mon télescope quand il le souhaite, je sais qu'il aimait observer les étoiles.

Aussi, je te remercie par avance pour tout ce que tu feras pour moi.

Crois en ma sincère gratitude pour m'avoir servi tout ce temps.

Tu peux être fier de m'avoir supporté toutes ces années.

Et aussi d'avoir autant servi le gamin arrogant que je suis.

Rares sont les fois où j'ai pu vous rendre fiers, toi et ma famille...

Avec tous mes regrets,

Kim Taehyung.

Seo-Joon tapa du poing sur la table.

— Putain ! Comment j'ai pu être aussi stupide !

La serveuse arriva, et déposa devant eux les boissons, ainsi que l'assiette de hotteoks tout chaud.

— Tu n'es pas stupide ! Taehyung est un enfant, il adore ce genre d'énigmes... rétorqua Jungkook en attrapant un hotteok en soufflant dessus. Il voulait te contacter sans que son père en soit informé... mais pourquoi ?

— Certainement pour me parler de choses... confidentielles... fit remarquer le garde.

— Des choses que je ne dois pas savoir ?

— J'en sais rien. Je dois trouver un moyen de lui répondre sans que Daek-Jae s'en rende compte.

— Pourquoi tu ne lui envoies pas un mail ?

— Si c'était si simple, tu crois vraiment qu'il aurait utilisé un code ?!

— Lui, non. Mais nous, on peut le contacter via les mails interétudiants.

— Comment ça ? demanda Seo-Joon totalement perdu.

Jungkook soupira d'exaspération. C'était plus simple de discuter avec Taehyuhng. Lui au moins pouvait suivre les conversations. À croire qu'il parlait une autre langue.

— Eh bien chaque étudiant dispose d'une adresse mail au sein de l'université. Ils peuvent s'envoyer des mails, mais seulement en interne. Du coup, jamais Daek-Jae ne pourra surprendre vos conversations, puisqu'elles auront uniquement lieu sur le serveur de la fac.

— Mais comment je fais pour lui envoyer un mail en interne alors que ne suis pas à Harvard moi-même ?

Jungkook toisa le garde, et soupira de nouveau.

— Je me demande pourquoi il a souhaité te contacter toi, et pas moi... c'est simple, il suffit d'hacker le système de l'Université, et de te créer une adresse mail interne, comme si tu étais un étudiant lambda. Ensuite tu pourras lui envoyer tous les mails que tu souhaites.

— J'ai une tête à hacker le système de communication d'Harvard ?!! s'énerva l'homme.

— Toi non. Mais moi, oui.

Jungkook sourit, avalant son dernier morceau de hotteok et se lécha les doigts en s'adossant fièrement à la chaise derrière lui. Seo-Joon le regarda faire, agacé de voir avec quelle facilité il avait pu sortir de ce pétrin.

— Alors... tu vois que tu manges ! provoqua-t-il. Je pense que Taehyung savait que je te demanderais de l'aide... c'est pour ça qu'il a choisi ce code. Il savait que toi seul étais capable de le déchiffrer...

[]

— Bonjour !

Taehyung leva les yeux de son ordinateur pour les poser sur Hayley, la fille de la veille. Il se souvenait de l'avoir rencontré à la fête de la sororité, et d'avoir dansé avec elle. Ensuite tout devenait flou. Il se rappelait simplement avoir vomi, et ressenti un immense vide, puis sa poitrine se comprimer, broyant son cœur.

Il se souvenait être rentré et s'être endormi, ressentant une peine immense et une solitude exacerbée. Depuis maintenant plus de quinze jours, Taehyung découvrait ce que signifiait « être en manque ». On aurait pu croire qu'il parlait de drogue, alors qu'en réalité, le garçon était clairement en manque de Jungkook. Son petit-ami lui manquait à un point qu'il n'imaginait pas. Il n'avait jamais été amoureux, et avait toujours eu tout ce qu'il voulait. Alors jamais l'héritier n'avait connu le manque, et le fait de se sentir si faible en étant seul. En étant lui-même.

— Salut.

— Alors... dit-elle en posant son sac sur la table à côté de lui, et en tirant la chaise pour s'y asseoir. Est-ce que tu vas mieux ?

— Mieux ?

— Oui... hier soir tu semblais... mal en point.

— J'avais trop bu, murmura Taehyung en se reconcentrant sur la dissertation qu'il essayait de rédiger.

— Non, je ne parlais pas de ta condition physique, c'est secondaire. Mais plutôt du fait que tu avais l'air... de souffrir intérieurement.

Le visage de l'héritier se ferma.

— Ça ne te regarde pas.

— Tu as dit... des trucs, et j'aimerais qu'on en parle, si tu n'y vois pas d'inconvénients...

Mais Taehyung ne l'écoutait plus, les yeux rivés sur le mail qu'il venait de recevoir. Un autre étudiant, du nom de John Crawford, venait de lui envoyer un message. Il fronça les sourcils, ne connaissant aucun John Crawford au sein d'Harvard, et cliqua sur le message qui s'intitulait : «devoir d'éco».

Est-ce qu'il avait déjà parlé à un étudiant en cours d'économie sans s'en rappeler ? Il ouvrit le mail, Hayley continuant de jacter à ses côtés alors qu'il ne l'écoutait pas le moins du monde.

Taehyung,

C'est moi, Seo-Joon. Je vous écris par ce biais parce que je sais qu'en interne, personne ne pourra lire nos mails. À part quelqu'un de la fac, mais qui ça intéresserait de savoir qu'un vieil ami de Corée vous écrit?

J'ai eu beaucoup de mal à déchiffrer votre lettre, et c'est Jungkook qui a trouvé la solution. Il était très fier de lui. Et c'est aussi lui qui m'a permis de vous contacter ici, en toute sécurité. Nous pouvons parler sans se soucier de Daek-Jae ni de personne d'autre.

J'espère que vous allez bien, et que ce n'est pas trop difficile à Harvard. Je sais que vous auriez souhaité que je vous contacte plus rapidement, mais les énigmes, c'est vraiment pas mon truc.

Ici, ça va. Je sais que vous voulez savoir s'il va bien. La réponse est oui. Et non. Parfois j'ai l'impression qu'il va bien. Et la seconde suivante, il semble être au bout de sa vie. Je sais que vous auriez en horreur que je vous mente. Alors je vous dis la vérité, même si elle blesse.

Vous lui manquez, Taehyung. Il a du mal à vivre comme avant. Il a élu domicile dans votre chambre, et les premiers jours étaient catastrophiques. Aujourd'hui, il est plutôt silencieux, il reste dans ses pensées la plupart du temps, et il ne sourit plus. Votre père le fait assister aux réunions, et exige qu'ils prennent leurs dîners ensemble tous les soirs. Jungkook s'y plie, mais il reste fort, et ne parle jamais. Il se contente de faire acte de présence, et de raser les murs.

Il y a eu deux repas avec Cristy. Elle vient en général le dimanche, et dîne avec Jungkook et votre père. Pour l'instant, il n'en demande pas plus. Mais je l'ai entendu discuter, et il va certainement leur imposer des rendez-vous jusqu'au mariage. Jungkook a demandé que vous puissiez rentrer pour les fêtes, mais votre père a refusé.

Je sais que vous souffrez tous les deux, mais tenez le coup... Jungkook n'abandonnera pas, je vous le promets. On trouvera un moyen de vous sortir de là, et de vous faire revenir. Je vous aiderai, je vous le promets, Taehyung. Je ne vous abandonnerai pas.

À bientôt.

Park Seo-Joon.

Une larme coula sur la joue du châtain, et Hayley le regarda, étonnée.

— Tout va bien ?

— Oui. Mieux que jamais.





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