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Jungkook avait pleuré pendant trois heures. Jamais il n'avait senti son cœur lui faire si mal. Il avait la sensation que sa poitrine se compressait, écrasant son organe vital dans un étau. Et vers huit heures du matin, il s'était extirpé des draps pour se rendre sous la douche.
Une fois dans la salle de bain, il avisa son reflet dans le miroir, et observa le suçon que Cristy lui avait fait quelques heures plus tôt. Il passa ses doigts dessus, regrettant de ne plus voir ceux de Taehyung. Parce que malgré toute la souffrance qu'il pouvait ressentir, il ne pouvait pas s'empêcher de se dire que l'héritier avait été la personne qu'il avait le plus aimée dans sa vie. Qu'il lui avait fait confiance, malgré ses réticences, et que bien qu'il ait tout tenté, il était tout de même tombé amoureux de lui.
Pourtant, il l'avait senti dès qu'il l'avait rencontré. Il avait su qu'il ne devait pas lui faire confiance, et que s'il le faisait, il regretterait amèrement. Mais voyez-vous, Jungkook était un romantique, un sensible, qui s'imaginait que les gens pouvaient changer, et que même si vous paraissiez détestable, mauvais, pourri gâté et exécrable, la vie pouvait faire ressortir du bon en vous. Sauf qu'en regardant ses yeux bouffis dans le miroir, il se dit qu'il aurait dû s'abstenir, se protéger, et ne pas croire que Kim Taehyung était différent. C'était un héritier, un fils de Chaebol. Comment avait-il pu s'imaginer qu'il compterait un tant soit peu à ses yeux ? Il était évident qu'il allait le manger tout cru. Que croyait-il en atterrissant ici ? Découvrir quelqu'un de bon ? De bienveillant ? Quelqu'un qui le considèrerait autrement que ce qu'il est ? Un gamin paumé dans un monde trop grand pour lui.
— Foutaises ! grogna-t-il en envoyant valser les produits qui trônaient sur le meuble de la salle de bain.
Au-delà du fait d'en vouloir à Taehyung, Jungkook s'en voulait à lui-même. Et en se douchant, il se demanda à qui il en voulait le plus ? À lui-même ou à Taehyung ? De plus, ce n'était pas comme si Taehyung avait été une femme. Il était un homme, et pour ça, Jungkook s'en voulait encore plus d'avoir cédé à ces envies obscènes. Il l'avait pourtant ressenti, qu'à regarder le garçon de la sorte, ça n'augurait rien de bon. Mais il n'avait pas pu s'en empêcher. Tout le corps du plus vieux l'avait tenté, et voilà qu'il se retrouvait maintenant sur le carreau, avec d'affreux remords et une envie de vomir rien qu'à se regarder dans le miroir.
En sortant de la salle de bain, il repensa à Cristy. La jeune fille avait été vraiment gentille de l'aider de la sorte sans rien demander en retour. Jungkook lui avait promis de l'inviter à déjeuner ce midi pour la remercier. En attendant de rejoindre Bogum devant le manoir pour aller en ville, il envoya un message à la jeune fille, lui demandant où elle désirait déjeuner. Il se cala ensuite devant la fenêtre, avec un bouquin, et laissa son regard se perdre à travers l'immense fenêtre quadrillée. Il savait que la souffrance disparaîtrait avec le temps. Il avait déjà vécu une expérience similaire lorsque sa grand-mère les avait quittés il y a quelques années. Jungkook avait pleuré pendant deux semaines, le vide à l'intérieur de lui ne parvenant pas à être comblé par quoi que ce soit. Pourtant, sa mère avait tout essayé. Elle l'avait emmené manger une glace, puis elle avait demandé à Jimin de rester avec son fils à la salle d'arcade. Elle lui avait donné un billet de cent mille wons pour que les deux garçons puissent s'amuser. Mais Jungkook n'y était pas parvenu. Et la soirée s'était terminée sur l'une des grandes plages de Busan, à boire une bière en compagnie de son meilleur ami qui avait tenté de le réconforter du mieux qu'il avait pu.
— Kookie, je sais que c'est nul, mais ça passera. Tu verras, un matin, tu te lèveras, et cette douleur que tu ressens juste ici, avait assuré Jimin en posa sa main sur sa poitrine ; cette douleur, elle sera moins vive. Elle finira par s'éloigner. Elle ne disparaîtra jamais complètement, avait-il expliqué, mais tu pourras de nouveau vivre avec, sans en souffrir atrocement.
Jungkook avait acquiescé sans vraiment y croire, trop pris dans le tourbillon de chagrin qui l'affligeait. Mais Jimin avait eu raison. Quelque temps plus tard, Jungkook avait de nouveau repris goût à la vie. Jimin s'était réjoui de voir de nouveau son joli sourire orner ses lèvres roses. Jungkook se demanda si cette fois-ci aussi, il réussirait à passer au-delà de la souffrance. Elle lui semblait différente de celle qu'il avait ressentie pour sa grand-mère, car Taehyung n'avait pas disparu, il était toujours là, bel et bien vivant. Et Jungkook devrait supporter son visage jour après jour, en repensant à ce qu'il lui avait fait. Comment il l'avait atteint dans sa fierté, et comment il lui avait volé ces moments trop intimes.
En voyant ça sous cet angle, il avait l'impression que jamais il n'y parviendrait. En plus, il allait devoir à nouveau l'affronter lui, en compagnie de ses cousins. Il se sentait tellement seul. Avant, il avait Taehyung. Du moins, il y avait cru. Une larme roula sur sa joue, qu'il effaça du revers de sa manche, quand son téléphone émit un « ding ». Il attrapa l'objet posé à ses côtés, et consulta le message qui venait de Cristy. La jeune fille lui donnait rendez-vous du côté de Hongdae à midi pour le déjeuner. Il répondit par l'affirmative, et posa son téléphone. Il était content de la rejoindre. Lorsqu'il s'était enfermé dans sa chambre cette nuit avec elle, la jeune fille avait fini par lui demander la raison de sa présence ici. Jungkook lui avait dit qu'il ne pouvait pas vraiment lui en parler, mais de fil en aiguille, les deux gamins avaient fini par discuter de tout et de rien. Jungkook avait appris que Cristy vivait à Gangnam, pas très loin du manoir. Son père gagnait très bien sa vie en étant l'une des enseignes favorites de la famille Kim. Elle vivait avec lui dans un luxueux appartement, mais n'avait jamais vraiment adhéré à cette vie mondaine en soi. Elle aimait ça, comme tout le monde, mais n'en jouait pas au point de changer de personnalité. Elle avait d'ailleurs dû convaincre son père pour entrer dans une Université d'Arts de Hongdae, où elle suivait des cours de danse classique et contemporaine.
Son père avait été décontenancé qu'elle ne souhaite pas entrer à la SNU, mais il avait laissé la créativité de sa fille unique s'exprimer comme elle le souhaitait. La mère de Cristy et son père avaient divorcé lorsqu'elle n'avait que quatre ans. Depuis, sa mère s'était remariée, et avait quitté la Corée du Sud pour s'installer à Los Angeles, sa ville natale. Jungkook avait remarqué que Cristy n'avait pas le physique commun à toutes les Coréennes. C'était parce que sa mère était Américaine. La jeune fille disposait donc des gènes occidentaux de cette dernière, lui donnant un charme non négligeable.
Jungkook n'avait pas vraiment eu le loisir de lui expliquer pourquoi il était là. Il avait donc opté pour le même mensonge depuis le départ, lui racontant qu'il avait fait des pieds et des mains pour obtenir un stage auprès de monsieur Kim, afin de rendre un mémoire sur le groupe Lotte à la fin de ses études. La jeune fille n'avait pas trouvé à redire, et c'était contenté de cette version de l'histoire. Néanmoins, elle lui avait posé quelques questions sur sa famille, et Jungkook avait pu évoquer Busan, ainsi que Yugyeom, Jimin, Hoseok et Yoongi. Un instant, il avait pris plaisir à se remémorer ses moments passés avec ses amis, mais très vite, la réalité était revenue au galop quand il avait repensé à Taehyung.
Il avait rapidement chassé ses larmes, et évité le sujet de l'héritier. Un peu avant midi, il descendit les escaliers en direction du hall, et croisa monsieur Kim qui sortait de son bureau, ses chaussures en cuir vernies claquant sur le marbre de façon cassante. Même sa démarche était rude et implacable. On savait d'emblée en le voyant avancer, que l'homme qui se tenait devant nous ne plaisantait pas.
— Jungkook, mon garçon ! dit-il en approchant sa main de la nuque du garçon.
Il passa sa main autour de ses épaules, et le rapprocha de lui.
— Bonjour monsieur, souffla poliment Jungkook.
— J'ai vu que tu étais en bonne compagnie hier soir... remarqua l'homme avec un sourire mutin en posant ses yeux sur le suçon qui ornait son cou.
Jungkook se mit à rougir, et se racla la gorge.
— Oh, euh, oui... excusez-moi je ne voul-
— Non, non, non ! coupa monsieur Kim. Cristy est une gentille fille, et son père est très travailleur. Je suis content que vous vous soyez rencontré !
Jungkook lui rendit un sourire faible.
— Ne trouves-tu pas que c'est un meilleur avenir que ce que tu avais prévu... ? Hmm ?
Jungkook blanchit. Est-ce que l'homme faisait réellement allusion à sa relation avec Taehyung ?
— Euh, eh bi-
— Si tu souhaites qu'elle vienne te rejoindre dans ta chambre, il n'y a aucun souci, ce serait bon pour ton image qu'on te voit avec des filles. Et même si un jour tu souhaites sortir sérieusement avec l'une d'elles, cela pourrait être une bonne chose pour l'image du groupe.
Il lui envoya un clin d'œil, et le relâcha.
— Ne te retiens pas, Jungkook ! Fais fonctionner ton charme, n'hésite pas ! déclara-t-il en s'éloignant.
Le gamin le regarda partir, et s'engouffrer dans la berline noire. Est-ce que vraiment monsieur Kim lui demandait de coucher avec Cristy ? Jungkook descendit les quelques marches qui le séparaient de l'allée de graviers blancs, et avisa l'horizon. La journée s'annonçait magnifique. Le ciel était d'un bleu azur, et le soleil était déjà haut. La chaleur était étouffante, et l'humidité était à son comble. Déjà il pouvait sentir son t-shirt coller à son dos. Il monta dans la BMW, et le garde le conduisit jusqu'au centre de Hongdae.
— Vous avez passé une bonne soirée d'anniversaire hier soir, monsieur ?
Jungkook lui lança un regard noir à travers le rétroviseur.
— Ferme-là et roule !
Bogum détourna le regard, et se concentra sur la route sans plus rien dire. Une bonne soirée ? La pire de sa vie, oui. En arrivant, le garde escorta Jungkook jusqu'au restaurant, où Cristy l'attendait déjà à une petite table carrée en formica. Beaucoup de jeunes filles se retournèrent sur le passage du jeune homme, créant des messes basses, mais il ne les remarqua pas, son regard brillant déjà posé sur la jeune fille qui l'attendait.
— Hey ! le salua-t-elle en se levant pour lui donner une petite accolade.
— Salut ! Répondit-il en souriant.
Les deux jeunes gens s'installèrent, et Bogum prit place non loin, à une table voisine. Une serveuse apporta la carte plastifiée bon marché, et Jungkook sourit en se retrouvant enfin dans un restaurant qui lui était familier. Pour une fois, il n'y avait pas de musique classique, d'assiette peinte à la main, de couverts en argent, ou de fontaine dans ce restaurant. Chacun se levait pour se servir à boire, ça sentait la friture et les épices, les tables étaient petites et les sièges n'étaient autres que des tabourets en métal ; et la plupart des clients étaient des étudiants de l'Université qui se trouvait à deux pas.
— Est-ce que tu vas mieux ?
— Mieux ? demanda Jungkook en fronçant les sourcils.
— Oui. Je sais que tu ne peux pas m'en parler, mais cette dispute avec Kim Taehyung, est-ce que vous avez pu parler ? Ça s'est arrangé ?
— Oh, ça... murmura-t-il en baissant la tête. Non, pas vraiment.
— Je suis désolé, Jungkook rétorqua-t-elle en posant sa main sur celle de Jungkook.
Elle avait laissé tomber la tenue de soirée, et portait un jean bleu assez large, ainsi qu'une ceinture noire à grosse boucle, et un crop top blanc. Aux pieds, elles avaient des tennis, et des bracelets de perles ornaient ses poignets. Son style était beaucoup plus décontracté, mais elle était toujours aussi jolie.
— C'est rien, souffla-t-il en fronçant le nez.
— Tu sais, mon père nous a vus hier !
— Ah oui ?
— Oui. Et... enfin... c'était assez étrange.
— Pourquoi ?
Cristy paraissait mal à l'aise, et entortilla ses doigts entre eux, jouant avec les perles de ses bracelets, tout en tentant de s'expliquer.
— Eh bien, en réalité, il aurait parlé avec monsieur Kim... et ils auraient évoqué le fait qu'on sorte ensemble à l'avenir.
— C'est pour ça alors que ce matin, il m'a parlé ?! s'égosilla Jungkook.
— Il t'a parlé ?! demanda Cristy.
— Oui, il m'a dit que je ne devais pas hésiter à t'inviter au manoir, et à sortir avec toi, que ça serait bien pour l'image du groupe, et accessoirement, pour ma propre image, tu imagines ?! dit-il en riant.
La jeune fille ne le suivit pas dans son élan, et resta sérieuse, un air timide collé au visage.
— Justement... objecta-t-elle tout bas.
— Qu-quoi ? demanda Jungkook suspicieux en se mordant la lèvre.
— Eh bien... je me disais... puisque je t'ai aidé cette nuit... et qu'on s'entend plutôt bien...
Jungkook regardait Cristy avec attention, les sourcils quelque peu froncés. Qu'essayait-elle de lui dire au juste ?
— On pourrait peut-être se voir plus souvent... et... et essayer de voir ce que ça donne... suggéra-t-elle.
— Attends, essayer quoi exactement ? demanda Jungkook, sidéré.
— Eh bien... toi, moi, nous...
— Tu veux qu'on sorte ensemble ?! cria-t-il. Pour de vrai ??
— Chuuuuuut !!! Intima-t-elle en se penchant vers lui afin d'essayer d'être plus discrète. J'en sais rien... c'est une idée. Mais je t'aime bien, alors... pourquoi pas essayer, non ? chuchota-t-elle en haussant les épaules, peu sure d'elle.
Le gamin se mit à rire d'une façon moqueuse, sans vraiment croire à ce qu'elle disait. Puis quand il vit son visage rester fermé, il se ravisa.
— Attends... t'es sérieuse là ?
— Je... Oui.
— Ok... soupira-t-il, surpris. Je peux réfléchir un peu ?
— Bien sûr, c'était juste une idée. Et si tu refuses, j'aimerais qu'on continue tout de même à se voir, en tant qu'amis, si tu es d'accord...
— Évidemment.
La serveuse arriva pour prendre leur commande, et le repas se déroula de façon un peu moins joviale que prévu. Jungkook n'arrivait pas à croire que Cristy lui proposait de sortir avec lui. Le moins qu'on pouvait dire, c'est que sa vie avait pris un tournant à quatre-vingt-dix degrés depuis hier soir. Jamais il n'aurait imaginé que de tels changements aient lieu. Après le déjeuner, il rejoignit la BMW en compagnie de Bogum.
— Vous souhaitez aller quelque part ? demanda le garde.
— Quelque part ? Pour aller où... chuchota Jungkook, les yeux brillants en balayant la rue du regard.
— Je peux vous conduire où vous voulez, monsieur.
— Où je veux, c'est vrai ?
— Bien sûr, monsieur, assura Bogum.
— Je voudrais aller à la plage.
— À la plage ? s'étonna-t-il.
— Oui. À Haeundae.
— Vous parlez de la plage de Busan, monsieur ?
— Oui. On peut y aller ? S'il vous plaît... implora le jeune garçon, les sourcils arqués vers le bas.
— Je ne sais pas, monsieur, c'est assez loin...
— S'il vous plaît... j'vous en prie... demanda Jungkook, la voix se brisant dans un sanglot.
— Je vais devoir demander la permission à monsieur Kim.
— Laissez-tomber, il refusera.
— Non. Non, je vais l'appeler, assura Bogum de bonne foi.
Jungkook regarda par la fenêtre de la voiture. Un groupe de filles venait de sortir du restaurant, et se dirigeait vers l'Université en riant. Jungkook se fit la remarque, qu'elles ignoraient la chance qu'elles avaient de pouvoir ainsi se promener en toute liberté, avec rien d'autre en tête que leur jeunesse. Elles n'avaient pas d'autres soucis dans leur vie, que de réussir leurs études. Et elles n'auraient jamais à connaître la ceinture, ou l'enfermement dans une maison qui n'est pas la leur. L'isolement, ou encore la solitude.
— Monsieur ? reprit Bogum en le coupant dans ses pensées.
— Oui ?
— Monsieur Kim accepte. C'est un geste envers vous pour votre anniversaire, mais il compte sur vous pour ne pas tenter quoi que ce soit, et être rentré avant demain.
Un sourire se dessina sur les lèvres de Jungkook.
— C'est vrai ?! Oh merci ! Merci !! s'extasia-t-il en sautillant sur la banquette de cuir noir.
Bogum se mit à sourire de voir le gamin si heureux, et démarra en direction du Sud. La route fut longue, mais Jungkook n'émit aucune plainte durant tout le voyage. Et un peu moins de quatre heures plus tard, la BMW longea la côte de Busan à la recherche d'une place de parking. Il était déjà tard, plus de dix-huit heures, mais la chaleur était toujours aussi étouffante ici, et le soleil pas encore couché.
Bogum se gara dans une petite impasse dans une ruelle près du bord de mer. En sortant, Jungkook respira les embruns marins en fermant les yeux. Un petit restaurant se tenait face à eux, d'où sortaient des effluves de poissons marinés. Il n'attendit pas, et courut jusqu'au bout de la rue pour apercevoir l'océan, et immédiatement, tous les souvenirs de son enfance refirent surface. Bogum le rejoignit, un peu embarrassé d'avoir à partager ce moment avec lui. Le gamin ne l'avait pas vraiment apprécié depuis leur rencontre, et encore aujourd'hui, il avait pour habitude de le rabrouer à chaque tentative de communication de la part du garde. Jungkook marcha le long de l'avenue bordée de palmiers, et ôta ses chaussures avant de glisser ses pieds dans le sable.
— Donnez-les-moi, monsieur.
Jungkook lui tendit sa paire de tennis, et il les rangea dans un grand cabas qu'il portait à bout de bras. Pendant ce temps, le gamin avait trottiné jusqu'au bord de l'eau pour y tremper ses orteils. L'eau était froide, mais le bonheur de se retrouver ici effaçait tout, et un immense sourire barrait le visage angélique de Jungkook. Bogum l'accompagna, et ils longèrent la plage, les pieds dans l'eau pour lui, les mocassins dans le sable mouillé pour son garde.
— Tu ne dois pas être très à l'aise en chaussures dans le sable, nan ? demanda-t-il en fronçant le nez.
— Ne vous en faites pas, monsieur, ça ira.
— Je ne m'en fais pas. Tu as simplement l'air idiot en smoking Guess sur la plage par cette chaleur, avec tes mocassins Armani.
Au lieu d'être offensé, Bogum esquissa un sourire.
— Pourquoi tu souris ? demanda Jungkook, les cheveux dans le vent.
— Parce que vous avez appris. Vous avez reconnu que mon costard était un Guess, et mes mocassins des Armani. C'est bien, c'est le métier qui rentre.
— Le métier ? Quel métier... maugréa le plus jeune. C'est inutile comme connaissance, ça...
— Pas dans notre milieu, monsieur.
— Vous ne comprenez pas ! finit-il par s'emporter en s'arrêtant, les pieds dans l'eau. Je ne suis pas de votre milieu !!! Je ne veux pas l'être ! Je veux simplement payer ma dette à monsieur Kim, retrouver ma vie et rentrer chez moi !
Bogum baissa les yeux, puis les releva, regardant tout autour de lui.
— Vous viviez ici, c'est ça ?
Jungkook regarda le soleil se refléter dans l'eau, et scintiller à la surface. Des gamins couraient sur la plage, se poursuivant en riant, alors que des couples bronzaient sur des serviettes un peu plus loin. Un groupe de jeunes écoutaient de la musique, assis en tailleur autour d'une glacière renfermant divers snacks. Il était jaloux. Envieux de cette facilité avec laquelle ils laissaient la joie s'immiscer dans leur vie. Lui, plus jamais il n'aurait de joie. La seule joie qu'il trouvait à sa vie au manoir s'était éteinte hier soir. En repensant à Taehyung, Jungkook remonta la petite dune de sable, et alla s'asseoir face à la mer. Bogum le suivit, et sans un mot, s'installa à côté de lui. Jungkook laissa son regard glisser sur lui, et s'aperçut qu'il suait à grosses gouttes. En même temps, être en costard par un temps pareil, il y avait de quoi devenir dingue. Pourtant, son statut lui imposait de ne jamais se plaindre, et rien que pour ça, Jungkook l'admirait.
— Je vivais ici. Pas très loin, dans une maison avec mes parents. Je venais souvent sur cette plage, après les cours, le week-end, ou même en soirée. C'était un peu... notre havre de paix avec Jimin et Gwiyomi. Ça me manque... mais en réalité, cette plage ne me manque pas tellement que ça.
— Ah oui ? s'étonna Bogum.
— Oui. Ce sont mes souvenirs qui me manquent. Mes amis avec qui je venais là, mes parents. Le lieu, lui, n'était que la destination de notre amitié. C'est l'essence même de ce qui me construisait qui me rend incomplet aujourd'hui. Le fait de ne plus avoir accès à ces moments.
Soudain, Jungkook tourna le visage vers le garde, et observa son profil se tendre vers le lointain.
— Et toi, il n'y a rien qui te manque ? Tu as toujours été... seul ? Comme maintenant ?
— Non, je ne l'étais pas. J'étais comme vous, monsieur. Un gamin, avec des parents, des amis, et des souvenirs, aussi.
— Raconte... demanda Jungkook intéressé, en glissant ses pieds dans le sable.
Bogum émit un petit rire. Il était à la fois étonné et satisfait de voir le gamin si curieux à propos de lui.
— Eh bien... j'ai commencé chez les Kim il y a cinq ans. J'avais vingt-sept ans, et je venais de finir mes études en droit. Je voulais devenir avocat.
— Avocat ?! s'étonna Jungkook en haussant les sourcils.
— Oui. Mon père l'était... et j'ai toujours voulu marcher sur ses traces. J'avais une vie plutôt calme, du côté de Pyeongchang, dans le nord. J'avais des amis, et une petite amie...
— Comment vous en êtes venu à travailler en tant que grouillot pour les Kim ?
— Je ne suis pas un grouillot ! s'agaça Bogum, visiblement vexé.
— Non, enfin, c'est quand même loin du métier d'avocat, non ?
— C'est sûr...
Le garde regarda de nouveau l'océan, semblant réfléchir.
— Disons... que la vie n'est pas toujours celle qu'on croit.
Jungkook fronça les sourcils.
— Comment ça ?
Le soleil déclinait peu à peu, dispersant une aura rougeoyante derrière l'horizon.
— Ma petite amie m'a quitté, un jour, sans prévenir. Et j'ai... plutôt mal vécu la situation. Je me suis un peu laissé aller à des comportements... sordides, avoua-t-il.
Bogum marqua un temps, et Jungkook laissa le silence les envelopper. Le garde semblait hésiter à se confier, puis au bout d'une poignée de seconde, il soupira.
— Elle m'a quitté pour une autre femme.
— Une femme ?! s'exclama Jungkook, complètement ahuri.
— Oui, une femme... soupira Bogum en riant de façon mesquine. J'n'y croyais pas non plus... et je pense que cette découverte m'a plus atterré que si elle m'avait quitté pour un homme.
Jungkook haussa les épaules.
— Hmm... ça revient au même, homme ou femme, elle n'est plus avec toi aujourd'hui.
Le garde lui envoya un regard mauvais.
— Ces gens-là ne sont pas normaux... siffla-t-il. Ils sont... déséquilibrés... rien ne va chez eux pour qu'ils aient recours à de telles pratiques.
Jungkook sentit son cœur se compresser. Il avait lui aussi pensé être quelqu'un d'anormal, de dégoûtant, avec un problème mental pour être attiré par Taehyung. Mais il avait eu beau chercher pendant des heures, des jours et des semaines, il n'avait jamais rien trouvé chez lui qui clochait. Il était juste inexorablement attiré par l'héritier.
— Ce sont des êtres humains... ils ont le droit d'aimer, comme tout un chacun. Peu importe qui on aime... homme ou femme... tant que la personne à l'intérieur nous correspond.
Bogum émit de nouvel éclat de rire dédaigneux, mais bien plus froid et plus franc.
— Non ! L'église est contre, Dieu est contre ! Ils sont dégoûtants, et le jour venu, ils seront châtiés.
— Le fait d'être si odieux t'a rendu ta femme ? osa le gamin.
Le garde le regarda avec une telle haine, que s'il n'avait pas été sous sa protection, l'homme l'aurait certainement noyé dans l'océan.
— Bref, ajouta Jungkook. Que s'est-il passé ensuite ?
— Je suis tombé bien bas. J'ai fait une dépression, et je suis tombé dans l'alcoolisme. J'ai perdu le travail que j'avais obtenu dans un cabinet d'avocat renommé... c'est mon père, qui m'a fait rencontrer monsieur Kim. Il était un de ses clients, et... il m'a offert ce job.
— Pourquoi tu n'as pas arrêté quand tu t'en es sorti ? questionna-t-il.
Bogum lui ébouriffa les cheveux avec un sourire doux.
— Vous êtes encore bien naïf, monsieur Jungkook. Quand on rentre chez les Kim, il est très difficile d'en sortir, pour ne pas dire impossible.
Bogum se leva, et inséra ses mains dans les poches de son costume gris. Puis il descendit de quelques pas, regardant le soleil se coucher derrière l'horizon. Jungkook se rendit compte alors qu'il n'était pas le seul à avoir perdu beaucoup avec cette famille. Bogum aussi était pris au piège. Peu importe qu'il ne l'aime pas, qu'il soit détestable, suffisant, bêcheur, ou encore orgueilleux ou homophobe. Lui aussi avait perdu sa vie, au détriment de la famille Kim.
Les deux hommes restèrent un moment à scruter l'horizon, le temps que la nuit s'installe. Jungkook pensa alors qu'il n'aurait jamais l'occasion de venir ici avec Taehyung comme il en avait si souvent rêvé ces derniers jours. Jamais il ne connaitrait Jimin, Yoongi ou Hoseok. Et jamais sa mère ne cuisinerait pour lui. Ils n'iraient pas faire des balades en vélo avec son père, et ne mangeraient jamais de glace sur cette plage, les pieds dans le sable. Son cœur se serra, et une larme dévala sa joue alors qu'il remontait ses genoux sous son menton. Tout ça, parce qu'il était tombé amoureux de la mauvaise personne. Il en voulait tellement à Taehyung de lui avoir fait ça. Lui qui répétait sans cesse que jamais il ne lui ferait de mal. Il aurait préféré ne jamais coucher avec lui, ne jamais sentir toutes ces caresses sur son corps, et toutes ces sensations enivrantes. Parce qu'aujourd'hui, elles le collaient comme un vieux chewing-gum. Il avait du mal à s'en défaire, et il avait le sentiment qu'il n'y parviendrait jamais. Comme il n'oublierait jamais la sensation de la ceinture sur son dos, de l'odeur du cuir, il n'oublierait jamais la voix de Kim Taehyung l'appeler « petit cœur », et ses lèvres embrasser son corps.
Jungkook pleura en silence pendant de longues minutes, à se demander comment avoir moins mal, comment continuer de vivre dans cette famille sans avoir à affronter tous les jours ce garçon qui représentait tant pour lui. Bogum ne bougeait pas non plus, les mains dans les poches face à l'océan, jusqu'à ce que l'obscurité les enveloppe. Puis il remonta aux côtés de Jungkook.
— Monsieur, il faut y aller.
Jungkook acquiesça et ils remontèrent la plage jusqu'à atteindre la voiture. Il laissa son regard balayer une dernière fois la plage de Haeundae, et enfila ses chaussures puis s'engouffra dans le véhicule. Le trajet fut long, encore une fois, et Bogum céda à la demande de Jungkook, et s'arrêta au drive d'un fast food, puis le gamin mangea dans la voiture sous le regard outré de son garde.
— Je ne vais pas tacher les sièges, ne t'en fais pas, promit-il en trempant une de ses frites dans la mayonnaise.
— Je n'ai rien dit.
— Ouais, mais je vois tes yeux, on dirait que tu vas t'évanouir, lâcha le gamin avec un rire.
Bogum se mit à sourire en regardant Jungkook dans le rétroviseur.
— J'ai été ravi de faire cette escapade avec vous, monsieur.
— Hmm...
Le silence se fit de nouveau, et une fois qu'il eut fini de manger, Jungkook s'enfonça dans le siège en cuir chauffant, et ferma les yeux.
[]
Les lèvres de l'héritier parcouraient le cou de Jungkook qui soupirait, glissant ses doigts dans sa tignasse de boucles châtain.
— Tu m'as tellement manqué... Petit cœur...
— Monsieur... souffla Jungkook en sentant son entre-jambe le tirer.
— J'ai cru t'avoir perdu pour toujours... souffla-t-il tout bas, la voix grave et rauque.
Il envoya un coup de bassin à Jungkook en s'accrochant à ses hanches. Celui-ci se mordit la lèvre en gémissant. Puis il rouvrit les yeux, et attrapa les lèvres de Taehyung avec les siennes. Ce dernier se mit à sourire, et introduisit sa langue dans la bouche du plus jeune, et caressa sa langue avec la sienne.
— Monsieur... couina Jungkook en se détachant de lui. J'ai besoin de vous, de vous sentir...
— Tout ce que tu voudras, petit cœur, répondit Taehyung en glissant son visage dans son cou.
Jungkook tourna la tête, et admira la tenture accrochée au mur de la chambre. Il faisait nuit, mais les constellations brillaient dans l'obscurité, comme fluorescente. Quand il regarda par la grande fenêtre, il remarqua que la Lune était juste là, énorme et ronde, pile face à la fenêtre. Elle les observait depuis l'extérieur.
— Taehyung, regarde... la lune...
Mais l'héritier n'écouta pas, occupé à embrasser son corps. Jungkook soupira, puis fronça les sourcils.
— Tu avais déjà vu une lune aussi grosse ?
— On s'en fiche de la lune, Jungkook !! rétorqua-t-il sèchement.
Le gamin reporta son attention sur lui, stupéfait de sa remarque.
— Mais... d'habitude tu aimes regarder le ciel, non ?
Taehyung glissa de nouveau sa bouche sur la mâchoire de Jungkook qui se tortilla.
— Et les étoiles... ? demanda le plus jeune en regardant de nouveau par la fenêtre.
— Je me fiche des étoiles !! Je veux juste te baiser, et que tu arrêtes de l'ouvrir, c'est compris ?!!!
Jungkook sursauta au ton qu'employait l'héritier, et leurs iris se rencontrèrent.
— Qu-quoi ? murmura-t-il. Qu-qu'est-ce que tu as dit... ?
Taehyung s'arrêta, posant ses avant-bras de chaque côté du visage de Jungkook.
— J'ai dit que je voulais uniquement te baiser, le reste n'a pas d'importance !
— Mais... commença-t-il à sangloter, les yeux baignés de larmes, ses pupilles cherchant dans celles de l'autre, une explication à son agressivité.
— Quoi ? se recula soudainement Taehyung pour le surplomber. Tu as cru que j'allais tomber amoureux de toi ? Qu'on allait vivre une belle histoire d'amour et s'aimer comme deux putains de gay ?! vociféra-t-il.
— Taehyung, arrête... supplia-t-il en se recroquevillant sur lui-même.
Mais l'héritier n'arrêta pas. Il se mit à rire à gorge déployée. Un rire moqueur, un rire sarcastique. Et Jungkook pleurait, il pleurait à chaudes larmes, regardant l'héritier se moquer de lui. Il sentait son cœur se disloquer en petits morceaux. Il l'aimait, il l'aimait tellement, comment pouvait-il encore l'ignorer ? Les rires de Taehyung envahissaient la pièce, sans qu'il ne puisse s'arrêter, se tenant le ventre, jusqu'à ce qu'une main se pose sur l'avant-bras de Jungkook.
— Monsieur ?
Mais le gamin se mit à geindre, essayant de se dégager.
— Monsieur, nous sommes arrivés...
Jungkook ouvrit les yeux, et se retrouva dans la BMW, garée juste devant le manoir. Il reprit sa respiration, encore essoufflé de son cauchemar, et descendit du véhicule pour entrer dans le hall.
— Bonne nuit, monsieur.
— Bonne nuit, répondit-il rapidement en empruntant les escaliers.
Il monta les marches quatre à quatre, le cœur battant, et ouvrit la porte de sa chambre, en nage, puis s'assit sur son lit en se tenant la tête entre les mains. Ce rêve avait été affreux. Et plus jamais il ne voulait en faire des semblables. Il sorti son téléphone de sa poche, et appuya sur le contact de Cristy. Il n'était pas loin d'une heure du matin, mais tant pis. La jeune fille décrocha à la deuxième sonnerie, d'une voix quelque peu endormie.
— Jungkook ?!
Le gamin laissa un silence planer, avant de se mordre la lèvre et de répondre :
— C'est d'accord.
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