Interlude
— Lily, bientôt les choses vont changer, tu le sais ça.
Je me tourne pour voir ma sœur sourire, seulement ce n'est pas un vrai sourire, c'est un sourire qui est loin d'être sincère, un sourire triste.
— Je vais juste aller à la fac, voir le monde. Tu sais, tu aurais pu partir toi aussi.
La tristesse sur son visage disparaît, et j'ai l'impression de revoir ma sœur.
— Je devais m'occuper de toi, espèce de petite terreur.
J'ai seize ans, je n'ai pas besoin d'une grande sœur pour prendre soin de moi, j'ai mes parents, mon père, ma mère. Gwen aurait dû partir, vivre sa vie. J'ai toujours pensé qu'il y avait quelque chose qui la gardait ici, quelque chose qui la poussait à rester avec nous. Peut-être qu'elle craint le monde, peut-être même qu'une fois que je serai partie, elle le fera aussi. Peut-être que je finirai par la persuader de prendre un appart avec moi.
Seulement, Gwen a changé, elle est plus distante, plus secrète. J'en ai parlé avec ma mère, elle s'est contentée de me dire qu'elle avait vingt ans, qu'il était temps qu'on se détache l'une de l'autre, que l'on vive nos vies respectives. J'ai trouvé ça étrange. Avec du recul, j'ai toujours su que ma mère n'était pas fan de la relation que j'entretenais avec ma sœur, elle nous trouvait trop fusionnelles. Parfois, j'ai même cru qu'elle me protégeait de quelque chose. Après tout, j'étais sa petite sœur, et elle m'avait protégée au péril de sa vie.
C'est ta faute qu'elle est morte.
Il fait nuit, et Gwen m'a amenée au cinéma. Nous avons gardé un film d'horreur bien nul. Nous avons mangé du pop-corn et ri devant l'imbécilité des personnages.
Si seulement j'avais su, j'aurais tout fait autrement.
L'air de la nuit est frais, me caresse le visage. C'est l'été, le vent sent les fleurs fraîches. La place est déserte, après tout, nous sommes dans un cinéma de campagne, le genre d'endroit qui diffuse les films trois mois après leur sortie en avant-première.
Gwen essaye de me faire peur, elle me court après comme un monstre, déformant son beau visage en hilarantes grimaces. Nous avons toutes les deux seize et vingt ans, pourtant nous sommes toutes les deux des gamines. C'est ce qui me plaît tellement chez Gwen, avec elle, je retourne en enfance, et je suis loin d'en avoir honte.
Avec un geste amusant, je lui prends les clefs de sa voiture, elle se met à me courir après. Je m'imagine que si quelqu'un nous observe par leur fenêtre, ils doivent bien rire, deux adultes en train de jouer à trappe dans le noir.
Si seulement j'avais su, si seulement j'avais su que les loups étaient dans la bergerie.
Finalement, nous entrons dans la voiture, et c'est à cet instant que notre monde bascule. C'est à cet instant que je sens un couteau contre ma gorge, c'est à cet instant que j'entends le bruit d'une arme que l'on charge.
Je pousse un cri de surprise, mais Gwen reste silencieuse. Elle semble effrayée, mais loin d'être étonnée. J'ai tellement peur que je reste complètement silencieuse. Je sens le souffle chaud de mon agresseur contre mon cou, je sens son souffle sucré dans mes cheveux.
— Va jusqu'au bois.
Gwen démarre la voiture, et c'est ainsi que commence la nuit. Dans une voiture, menacée par deux hommes qui veulent sûrement nous tuer. Je ne me rappelle plus du chemin, je me contente de regarder la route, de tenter de compter les marquages sur la route bétonnée.
Je ne crie pas quand l'un d'entre eux me déshabille et me fait sortir de la voiture, je suis tétanisée.
— Si tu n'as pas crié, c'est que tu as aimé ça.
Je le laisse faire de moi ce qu'il veut, Gwen elle, crie, se débat. L'homme la frappe, la retourne, la plaque contre un arbre. Elle pleure, mais ce n'est pas de tristesse ou de désespoir, c'est de la rage, une rage si intense que j'ai l'impression qu'elle va exploser. Je ne vois pas le visage des hommes, ils sont cachés par des masques, et leurs voix sont déformées par le tissu qui recouvre leur bouche.
Puis, Gwen réagit, elle pousse violemment l'homme qui profite d'elle, elle se rue sur lui. Puis elle s'attaque à l'homme qui est sur moi. Il pousse un grognement quand la pierre dans les mains de sa sœur ?
— Cours, cours jusqu'à ne jamais revenir !
— Et toi ?
Son visage se déforme en une rage étrange, une rage que personne ne peut arrêter.
— COURS !
Je me mets à courir. J'ai perdu mes chaussures. Derrière moi, Gwen crie, et part dans la direction opposée. Les branches entrent dans la plante de mes pieds, je trébuche à plusieurs reprises sur des pierres, m'écorchant les genoux.
« Cours Lily, cours. »
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