Chapitre 5 - Je t'aime, moi non plus - Jacob


Chapitre 5

Je t'aime, moi non plus

Jacob

Des cicatrices parcourent son ventre, et étrangement, elles ne me repoussent pas, mais m'intriguent. Je reste là un instant à la lumière du soleil, à observer les rayons lécher sa peau marquée. J'ignore l'origine de ces stigmates ou même si elle les a faites elle-même. Je dois ravaler l'envie de la caresser, de tirer les draps et de découvrir son corps entier. Elle remue, et un sourire se dessine sur mon visage, tandis que les sentiments de la veille reviennent me hanter. Les questions ne me quittent pas. Je me demande ce qu'elle a ressenti et ce qu'elle voulait. Si cela se reproduira.


Elle doit sentir mon regard appuyé, car elle se réveille et se relève. Éclairée par le soleil matinal, elle est magnifique, et j'aimerais la prendre en photo, capturer ses cheveux sombres dansant contre sa peau d'albâtre.

— Je suppose que je te verrai ce soir.

Elle fait volte-face en souriant. Je me redresse sur mes coudes, chassant l'admiration que je ressens pour elle et ce besoin de lui demander de rester.

Elle est brisée. Tu ne veux pas t'engager avec elle, surtout après ce qui s'est passé la dernière fois.

Je me racle la gorge et m'empresse de répondre.

— Je pense que je suis volontaire contre mon gré.

Je souris sans la quitter des yeux. Le regard de Lily raconte une histoire différente de celle des autres adolescentes ; il scintille d'un éclat sage éclipsé par la brume d'une peine profonde.

— Mais je te verrai là-bas, elle finit.

Elle enfile son pantalon, sautillant sur place avant d'attraper ses chaussures et de se diriger vers la sortie.

— Tu es certaine que je ne peux pas t'accompagner ?

Je demande une dernière fois.

— Jacob, si l'on nous voit ensemble, les gens poseront des questions.

Je mords ma langue et ravale ma salive. Depuis quand suis-je devenu celui qui réclame plus ? Hier soir, c'était génial, mais pas extraordinaire. J'avais déjà eu des liaisons avec des filles bien plus belles, bien plus douées. Mais Lily a laissé son empreinte, et je ne suis pas près de l'oublier de sitôt.

Mon amante me sourit une dernière fois et sans dire un mot, elle quitte ma chambre.

Reprends-toi, Jacob.

Soulagé, je m'extirpe des draps. J'enfile les vêtements de la veille qui jonchent le sol ; ma mère aura sûrement une variété de missions en cette radieuse journée. Je file sous la douche et chasse avec véhémence les souvenirs de la nuit précédente. Puis, je passe devant la glace couverte de buée et me rase à la hâte, avant de fermer la porte derrière moi. Il fait froid, et mes cheveux mouillés n'aident pas à chasser les frissons qui descendent le long de ma colonne vertébrale. Je suis heureux de ce loft aménagé par mes parents, mais le trajet de ma chambre à la cuisine est loin de me plaire.

Au moins, je ne les entends pas se battre. Au moins, je ne l'entends pas pleurer toutes les nuits.


Je trouve des céréales et du jus d'orange dans le frigo, et je mange tout en faisant défiler mon téléphone. Olive me harcèle déjà, tandis que mes amis Alec et Victor préparent leur prochain coup pour ce soir. Mon père lit son journal et ma mère retourne les œufs avant de me tirer de mes pensées.

— Qui est cette fille ? me demande-t-elle avec dédain.

Prévisible, maman.


— Une amie, je l'ai ramenée de la soirée de Sam hier, elle était trop ivre pour rentrer.

Ma mère hausse des sourcils, visiblement contrariée. Elle adorerait que je me pose, que je déniche une bonne fille de bonne famille, comme elle l'a fait avec mon père. D'ailleurs, comme si elle avait lu mes pensées, elle entame son monologue habituel.

— J'aimerais que tu trouves une fille bien, gentille. J'apprécie Olive, ses parents sont de bonne famille.

Je roule des yeux. Olive est une amie. Certes, il y a peut-être eu quelque chose entre nous, mais jamais je ne pourrais envisager une relation avec elle. Olive est mauvaise, méchante, et à l'exception de sa beauté, elle ne possède aucune qualité. Je suis à cran ce matin, je m'en rends compte lorsque je décide de répondre à ma mère.

— C'est Lily Basher, je pense que sa famille est assez riche.

Mon père, le shérif, lève les yeux de son journal pour s'intéresser à notre conversation.

— Jacob, ce n'est pas ce que dit ta mère.
Il marque une pause comme pour s'assurer que je l'écoute bien.

— Les Basher ne sont pas nets, l'argent ne fait pas tout.

Les paroles de mon père m'arrachent une grimace. Je pourrais dire la même chose de ma famille ; une fortune aux origines douteuses, un père chef des forces de l'ordre qui ferme beaucoup trop les yeux sur les différents incidents de la ville. Après tout, notre magnifique ville possède un club de strip (et plus si affinité), son propre réseau de drogue et bien sûr son propre service d'incarcération.
Mon père se lève et réajuste son arme dans son holster. Je me demande combien de temps durera sa bonne humeur cette fois, si un jour il videra son chargeur sur ma mère. Ou si un jour elle se retournera sur elle-même.

Mon père nous laisse seuls dans la cuisine et ma mère profite de ce moment pour me demander un service. Elle se rapproche, et se pose à la place en face de moi. Comme d'habitude, elle est maquillée, et ses cheveux bruns sont parfaitement bien peignés. Mais ses ongles manucurés et le botox dans ses joues ne peuvent cacher les cernes ni les bleus sous son chemisier de créateur. Alors, parce que je suis un bon garçon, j'esquisse un sourire.

— Jacob, j'ai besoin que tu ailles chercher les poulets.

Ma bonne volonté s'envole.

— Les poulets, sérieusement, maman ?

Je perds tout mon sérieux, soudain je me retrouve au collège, à traîner des pieds.

— Oui, je me suis dit que tu pourrais t'en occuper.

Évidemment, que je veux aller poireauter chez les ploucs.

— Il faut que tu te rendes chez les Georges.

— Maman ! Je n'ai...

Elle fronce les sourcils et je capitule avant de me redresser et d'attraper les clés du pick-up de mon père sur le plan de travail.
Les Georges sont les paysans du coin et habitent une ferme à l'est de la ville, sur le bord du lac. Leur fille est un vrai phénomène de foire, une pseudoscientifique, plus allumée qu'autre chose. Nia m'aime un peu trop : une fois, elle a piraté mon téléphone pour simplement écrire « Coucou ». Après ça, je l'avais évitée du mieux que je pouvais, et avec le temps, elle avait perdu l'intérêt.

Mes cheveux sont presque secs lorsque je quitte la maison pour rejoindre le garage. Je déteste la voiture de mon père, mais je préfère de loin salir la sienne avec des déjections de poule plutôt que mon précieux bébé. Le gros 4x4 continue sur la route en direction de la ferme des Georges, et ma tête commence à regretter ma consommation de la veille. J'ai peut-être un peu trop bu, et les pilules de Victor n'ont pas amélioré les choses.

Voilà peut-être la raison pour laquelle Lily s'est glissée sous ma peau. Alors que je me concentre sur la route, essayant de ne pas m'endormir, mes pensées voguent vers la nuit dernière. Lily est bizarre ; elle a l'air d'avoir été habituée à ce genre d'interaction. Ses réactions sont mesurées au point qu'elles en étaient frustrantes.

Normalement, à mon réveil, je dois expliquer les termes de mes relations : non exclusives, sans attachement. Ce matin est presque un renversement de situation. Après tout, ce n'est pas déplaisant, nous pourrions peut-être recommencer, si elle est d'accord. Mais le souvenir de ce plaisir ardent est aussi teinté de problèmes. Pourquoi se fait-elle du mal ? Quelles sont les origines de ces cicatrices ? Et pourquoi est-elle si distante ? Que cache-t-elle derrière ses yeux si sombres ?

Je laisse les questions derrière moi et me concentre sur les arbres qui défilent le long de la route. Aujourd'hui est un jour de fête et Lily Basher n'a rien à faire dans mes pensées.
Bientôt, je me gare dans l'allée de terre battue, allumant la dernière clope de mon paquet. La ferme des Georges est composée de bâtiments préfabriqués, témoin des années soixante. Elle se dresse face au lac, les murs semblent souffrir de cette humidité environnante. La façade se détache, comme des lambeaux de peau qui tombent d'un cadavre en décomposition. Je reste là un instant, jugeant le monde qui m'entoure. L'année prochaine, je pourrai m'enfuir, aller à la fac et laisser cette merde derrière moi.
Bientôt, une silhouette familière s'échappe du bâtiment et vient à ma rencontre.

— Jacob ! Ta mère m'a appelé pour dire que tu passerais.

Le père George est plutôt petit, et son regard est aussi expressif qu'un chien face à une gamelle pleine. C'est une de ces personnes qui arborent une joie constante que je ne peux m'empêcher d'associer à une stupidité débordante. Derrière, je remarque la silhouette de Nia par la fenêtre délabrée et je fais de mon mieux pour l'ignorer.

— Les poulets sont prêts, je suppose, demandais-je à demi-voix.

Je prends une autre bouffée toxique de ma cigarette.

— Bien sûr, jeune homme ! Que serait la fête de l'Équinoxe sans sa fameuse course de poulets  !

Une fête qui pourrait être supportable.
Le fermier a déjà amassé les volailles dans des cages, que j'entreprends de stocker à l'arrière du pick-up. Il me pose des questions mondaines et stupides. Je m'efforce de répondre dans la politesse, et l'irritation ronge ma patience déjà trop fine. Nous terminons très vite de décharger les poulets, et le père George m'offre de venir boire un café. Je refuse avec politesse avant de rejoindre le siège de mon auto.

« Mec, il est midi passé, tu es où bordel. »

Mon téléphone vibre. C'est Victor qui me demande ce que je fous.

J'ai oublié, j'ai promis de monter la sono pour la pièce de théâtre d'Olive ce soir. Pire encore, j'étais censé en parler hier soir avec elle, en la ramenant chez elle. Tant pis. Elle me casse les couilles en ce moment. Elle me tourne autour comme une abeille sur du sucre, et l'arrivée de Lily risque de compliquer les choses.
Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
Par le passé, Olive avait décidé de s'en prendre à Maëva, à cause de ma liaison avec cette dernière. Elle est même allée jusqu'à la gifler. Seulement, Maëva ne s'est pas laissé faire et lui a tiré les cheveux avec une telle violence qu'elle a réussi à arracher une de ses mèches. Lors de l'altercation, je suis resté en retrait.
Lorsqu'Olive m'a confronté à ce sujet, je lui ai simplement répondu.

« Je ne suis pas ton mec, alors si tu veux te chamailler avec d'autres filles. La prochaine fois, amène une piscine de boue. »

Elle a grincé des dents et fait mine de me faire la tête.

Quand Lily est arrivée, cette petite chose perdue sous la pluie, je me suis dit que j'allais flirter avec elle pour la rendre jalouse. Elle est jolie, Lily, mais jamais je n'aurais imaginé qu'elle était comme moi.


***

Bien sur, Olive me fait la tête et semble persuadée que cela m'affecte d'une manière ou d'une autre. Elle boude et fait mine de ne pas me voir, alors que je rejoins mes amis sur la place principale.

Olive est le genre de fille que j'aurais pu aimer, dans une autre vie peut-être. Elle est banale, mais elle essaie par un effort surhumain de se démarquer du « commun des mortels ». C'est le genre de fille qui se prend vingt fois en photo pour trouver l'angle parfait. Elle est le genre de fille à se maquiller à outrance alors qu'elle est bien plus belle au naturel. Mais ça, je ne lui ai jamais dit, car je ne veux pas qu'elle pense qu'elle et moi pourrions aboutir à quelque chose. Je ne veux pas finir comme un père et ma mère. Jamais.

Victor et Alec m'attendent adossés sur un SUV gris. Lorsqu'ils m'aperçoivent, ils me font signe de les rejoindre, et Alec replace ses lunettes sur mon nez. Bien sûr, Victor lance la conversation qui tourne autour de la jolie fille qui me foudroie du regard de l'autre côté de la place.

— Jacob, tu devrais aller lui parler, m'interpelle-t-il.

La petite ville semble dans un état d'excitation totale, l'endroit grouille de monde. J'inspire profondément avant de m'allumer une nouvelle clope et la porter à mes lèvres.

— Flash info : je n'en ai rien à foutre, ce n'est pas ma meuf, et j'en ai marre de ses gamineries.

Mon meilleur ami émet un rire moqueur en se tournant vers la reine autoproclamée, entourée par ses nombreuses courtisanes, comme le dirait Lily.

— Tu avais promis de la ramener hier, j'ai dû me la coltiner, tu avais complètement disparu. Tu étais où, d'ailleurs ?

Je sens un sourire satisfait s'afficher sur mon visage, le genre de sourire que Victor n'a aucun mal à décrypter.

— C'est qui cette fois ? Sa question me prend de court.

Un sentiment étrange se prend de mon estomac. J'ai l'envie présente de garder l'identité de Lily secrète, et je hausse les épaules alors que mon ami continue de me lancer un regard lourd de sous-entendus.

— C'est une des filles de la classe ?

Je me contente de sourire, cela aurait pu être n'importe qui, et il le sait. Mais moi, je le sais, j'ai toujours gravé sur la toile de mon esprit les formes de Lily, ses grands yeux bruns, sa peau mutilée, sa présence si douce.

— Tu ne finiras jamais de me surprendre, mon ami.

Je le dévisage et prends une taffe de ma clope. Le tabac me brûle la gorge, je me retiens de tousser.

— Voilà pourquoi tu m'aimes, Victor.

Je regarde les gens s'amasser, sortir dans leurs beaux habits du dimanche, comme si la fête de l'Équinoxe pouvait donner lieu à quelque chose d'intéressant. J'observe Olive se tortiller dans ses pseudos vêtements de créateur, elle n'a pas l'air à sa place. Ses cheveux sont accrochés en un chignon plus gros que son crâne, et ses ongles laminés me font penser aux griffes d'un prédateur.

Je souris en pensant à Lily et ses remarques imaginatives.
En silence, je regarde les fermiers qui déchargent leurs bêtes et ma mère qui se pavane en talons aiguille, puis il y a mon père, un verre à la main, un flingue dans l'autre.

Je donnerais tout pour partir, pour ne plus être le fils. Victor me parle de Rose, apparemment ils se seraient presque tapés hier soir. Je l'ignore, je n'ai pas envie de parler de cette fille.

— Jacob ? La voix me tire de ma rêverie, Kali est devant moi, ses poings collés sur ses hanches.

Elle a l'air d'un bonhomme sur qui on a greffé une tête de femme.

— Que me vaut le plaisir ?

Elle me sourit. Toutes des gamines, toujours coincées au collège.

— Olive veut te parler, annonce-t-elle d'une voix joviale.

— Elle ne peut pas venir d'elle-même, elle a vraiment besoin de toi pour faire le pigeon voyageur ?

Victor pouffe de rire derrière moi, et je me lève à contrecœur pour la rejoindre. Je pourrais la faire mariner, l'envoyer chier, mais je n'ai pas envie de me mettre Olive à dos, et surtout, je ne veux pas me mettre ma mère à dos, pas ce soir.
Elle me regarde arriver, les bras croisés sur la poitrine. Elle s'attendait à quoi, que je la supplie de me pardonner du fait qu'elle ne me parle plus, me causerait une douleur irrémédiable ?

— Olive ? Ma belle princesse, ô dis-moi ce que je peux faire pour vous rendre satisfaite.

Elle rougit, je dois avouer que la colère lui va relativement bien. Olive est jolie, incroyablement jolie, même. Voilà pourquoi je revenais toujours vers elle.

Mais lorsqu'elle ouvre la bouche, le charme est rompu, je retrouve sa voix nasillarde et insupportable.

— Tu étais censé me ramener hier, j'ai eu l'air d'une imbécile.

Elle commence les bras croisés sur sa poitrine.

— Tu es bien rentrée chez toi, non ?

Elle fulmine de colère, je le vois dans ses yeux, elle ne tardera pas à m'en coller une si je continue à la titiller de la sorte.

— Oui, mais là n'est pas la question.

Je roule des yeux, cette conversation stérile me tape déjà sur le système.

— Je ne vois pas le problème Olive, franchement.

— Tu avais promis, et puis tu as dansé avec l'autre pute au lieu de moi.

Dans le mille.

— Olive, tu vas devoir être plus précise parce que, à tes yeux, toute la gent féminine est susceptible d'être une pute avec toi.

Elle fronce les sourcils et pointe son doigt manucuré en ma direction.

— Ne me fais pas passer pour la méchante, Jacob.

J'hésite à lui souffler de la fumée de tabac à la figure, mais je me retiens, elle est déjà assez en colère comme ça.

— Mais tu es méchante Olive, tu es même ce que certains qualifient d'une peste.

Ma réponse lui arrache une grimace des plus détestables.

— Mais tu t'es vu, toi ?!

Elle hurle maintenant, et je ris, je trouve la situation hilarante, elle continue de croire que nous sommes quelque chose. Alors que la réalité est bien autre.

— Contrairement à toi, j'assume et je suis lucide de ma condition.

Elle ouvre la bouche pour répliquer. Mais je l'en empêche.

— Et contrairement à toi, je sais qu'il n'y a rien sauf de l'amitié entre nous, donc arrête de te prendre pour ma meuf.

Son visage se décompose. Je sais que j'ai tort, je l'ai peut-être embrassée. J'ai peut-être même presque couché avec elle une nuit, lors d'une soirée trop arrosée. Mais elle ne sera jamais ma copine.

Je lui tourne le dos, et je la vois. Elle porte encore ses vêtements particulièrement amples et sombres. Lily se tient au côté de Rosa, un sourire plaqué sur son visage. Soudain, je donnerais n'importe quoi pour me retrouver à ses côtés, pour l'entendre rire, et découvrir ce qui se cache derrière ses yeux sombres.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top