Chapitre 27 - Sauve-la -Jacob




Je ne peux pas laisser Lily s'en aller avec simplement un « merci ». Je dois vivre, je dois trouver un moyen de survivre. Alec se démène, un morceau de verre entre ses mains gantées. Nos regards se croisent, et je comprends, il nous reste une chance de nous en sortir, et nous allons la saisir, qu'importe les conséquences.

Enfin, il se libère et s'écroule au sol ses lunettes roulant devant lui. IL grimace, mais continue motivé par une peur que nous partageons tous deux.

Les adultes sont trop occupés avec Lily pour remarquer notre lutte. Alors Alec me rejoint, et commence à couper mes liens, entaillant ma chair au passage. Je m'effondre à mon tour, ma vision encore floue, la peau poisseuse de sang, un goût métallique sur ma langue.

Pour Victor. Pour Lily. Pour moi.

—   Les autres ? Je demande en chuchotant.

Alec fait non de la tête, et j'esquisse un maigre sourire.

—   Pas de nouvelle bonne nouvelle.

Mon ami acquiesce et je repousse les images de Victor pour me concentrer sur les bois, et mon père qui se tient au-dessus de la femme que j'aime.

C'est à ce moment qu'un autre coup de feu retentit. Hagard je lève la tête et les adultes se détournent de Lily pour faire face au bois. Leur poignent se resserrent autour de leurs torches et ils grommellent dans la nuit.

Puis, je distingue Nia dans les bois, une ombre immobile suivie d'une autre, plus grande. Elle tire encore et encore l'arme collée contre son épaule. Autour de moi, les adultes chutent comme des mouches.

Putain, je pourrais l'embrasser, si je n'étais en si mauvais état.

Les rafales continuent, et je rampe péniblement sur le sol couvert de feuilles. Ma progression est une lutte constante contre la peur qui m'étreint. Je m'approche de Lily. Elle est à peine consciente quand je prends sa main dans la mienne, maculée de sang et poisseuse. Un frisson me parcourt tandis que je réalise l'ampleur de la tragédie qui se joue. La terreur s'insinue en moi, car je sais au fond de moi que ce genre de chose arriverait. Je suis née pour ça, pour connaître cette horrible fin. Des souvenirs étranges me reviennent, les disputes inintelligibles chuchotées dans l'obscurité, les larmes de ma mère et les gifles de mon père.

Lily papillonne du regard, mais il est vide. Elle frissonne quand je porte ma main contre sa joue, et elle murmure une dernière fois :

— Moi aussi, Jacob.

Mon cœur se fend, une douleur poignante qui accompagne le triste adieu à la vie. Mais je ne peux plus avancer, je n'ai plus de force, plus d'espoir. Je m'écroule sur le dos, rejoignant les feuilles et les plantes mortes.

Autour de moi, les adultes crient, les détonations résonnent sans fin, mais je teins sa main dans la mienne, fort et à jamais. Au loin, des sirènes retentissent.

Les sirènes de la délivrance.

La peur m'étreint, l'incertitude de la situation amplifie l'angoisse qui me paralyse de la tête aux pieds. Peut-être que nous sommes sauvés, peut-être que Lily me le répétera, peut-être qu'elle saura enfin ce qui est arrivé à sa sœur ? Mais là dans cet horrible instant, je me laisse aller, submergé par le tumulte de la terreur qui me retourne les entrailles. Les lumières frétillent sur le champ de ma vision et j'abandonne, avant d'embrasser l'obscurité.

***

— Il chute, son corps est saturé de la toxine ! On va le prendre, hurle une voix par-dessus les sirènes.

Mon corps est à nouveau percé d'aiguilles. À nouveau, je me perds dans les lumières.

— On ne peut pas lui faire ça ! Nous n'en avons pas besoin !

Ma mère pleure, je suis sur ses genoux, une petite voiture de police à la main. Je me tourne vers mon père.

— Il est fort, notre fils, il s'en sortira.

— Et s'il n'y arrive pas, Thomas ? susurre ma mère.

Mon père prend une gorgée de sa bouteille de bière et hausse les épaules.

— Alors, profite de lui autant que tu peux, Lise. C'est la tradition, les choses se font de la sorte à Clémentine Lake et tu le sais.

Je descends des genoux de ma maman pour continuer mon parcours sur le tapis. Je n'ai pas plus de six ans. Pourtant, ce souvenir m'avait échappé, du moins jusqu'à maintenant.

— Comment peux-tu sacrifier ton enfant de la sorte ? Tu as vécu les mêmes horreurs. Tu cries dans ton sommeil toutes les nuits.

Ma mère continue de crier, à bout de souffle.

— Ferme-la !

La bouteille de bière se fracasse contre le sol. Mes parents sont trop occupés à se battre pour me voir ramasser les éclats.

— Il fera comme toute sa famille jusqu'à maintenant. Nous avons besoin de survivre, nous avons toujours fait de la sorte ! Les enfants doivent nourrir les parents !

Ma mère se lève, ses pieds nus s'enfoncent dans les éclats de verre que je n'ai pas réussi à réunir dans mes mains. Bientôt des taches rouges fleurissent sur le tapis cramoisi.

— C'est notre fils ! Espèce de monstre !

La gifle l'envoie au sol, la première de mes souvenirs, la première de bien trop nombreuses fois.

***

Je tangue entre la conscience et l'inconscience, incapable de rester éveillé plus que quelques instants. Les murs, les visages familiers des infirmières, les sons des machines en action me parviennent dans ma torpeur. Je me trouve dans un hôpital, sans contrôle sur mon propre corps. Les pensées de Lily m'obsèdent, me tourmentant dans la prison de mon esprit. L'idée de l'avoir abandonnée, d'être le seul à en réchapper à Clémentine Lake, hante mes pensées.

Par moments, dans mes rêves, les souvenirs de Victor ressurgissent, nos premiers jeux et le gazon sous nos genoux écorchés. Je ris aux éclats à ses côtés et il me rend mon sourire. Puis, son visage se transforme, laissant place à l'image déchirante de sa tête éclatée par une hache.

Mon meilleur ami, mon frère.

Les souvenirs de mon enfance reviennent ; une cage dorée et un père abusif. Ma mère, défaillante, m'avait abandonné, incapable de trouver la force de se battre pour son enfant. Je m'étais enfermé dans un monde familier, la violence de mon père et l'indifférence de ma mère. Je nourrissais une haine envers elle, envers toutes les femmes à cause de celle qui avait refusé de me protéger.

Au gré de ma fièvre, la voix de Lily se mêle à mes rêves, ses mains douces me supplient de me réveiller. Par moments, j'entrevois sa main sur la mienne, je sens l'odeur de ses cheveux contre mon visage tuméfié. Dans la torpeur, les échos des voix des inspecteurs de police et les pleurs de mes amis, Lily et Alec, résonnent toujours à mon chevet.

Puis, un jour, j'ouvre les yeux, je me réveille et reviens à moi. Je me redresse dans mes draps, et me concentre sur la fenêtre en face de moi. Dehors, les rayons du soleil dansent entre les branches des arbres, teintant le monde d'une douceur nouvelle. Cependant, tous est différents maintenant, je connais la vérité, je sais ce que je suis et pourquoi je suis né. Tremblant, je prends conscience de la main contre la mienne, des ongles qui s'enfoncent dans ma peau.

Pitié, qu'elle soit vivante.

Son visage est marqué de bleus, sa peau meurtrie de lacérations profondes. Elle a coupé ses cheveux courts, et elle flotte dans des vêtements trop grands. Des larmes glissent sur ses joues tuméfiées et ses doigts trouvent le chemin de ma joue.

— Je t'aime, Jacob. On est là, on est vivants.

C'est à mon tour de pleurer, de serrer sa main dans la mienne. Mais ce moment est de courte durée, une infirmière au teint hâlé et au nez crochu nous interrompt et se place derrière Lily. Cette dernière fait volte-face sans quitter ma main, elle bouge comme dans un rêve, laissant des traînées blanchâtres à chacun de ses mouvements.

—   Mademoiselle, veuillez attendre à l'extérieur, nous avons quelques questions à lui poser. Les infirmières doivent elles aussi effectuer leur travail.

Lily acquiesce et serre ma main une dernière fois avant de disparaître, accompagnée d'autres médecins qui font leur apparition. Ils la conduisent hors de ma chambre. Je crois qu'elle pleure et je pense distinguer la main d'Alec qui l'attire contre lui.

Pendant ce temps, une infirmière vérifie mes fonctions vitales avant d'introduire un homme dans ma chambre. Malgré moi, un recul me secoue à la présence d'un homme adulte.

Les adultes qui étaient censés nous protéger.

Le visage de Victor, les cris de Lily résonnent dans ma tête, je m'accroche à mes draps.

— Heureux de vous voir réveillé. Les médecins craignaient le pire, commence-t-il.

Il pointe du doigt vers la porte.

— Et vous êtes bien entouré, avec vos amis.

L'image de mes parents me traverse l'esprit. Muré dans le silence, je me languis déjà des bras de Lily et fermer les yeux.

Le policier m'informe de la situation. Seuls quelques-uns d'entre nous ont survécu. Nia et son père sont les héros de cette histoire. Son père est arrivé en ville après nos parents, mais contrairement à la plupart, il est resté. Ses théories du complot n'étaient pas sans fondement, il avait raison. Leurs tirs sur l'île ont sauvé nos vies. Il avait également raison à propos de l'eau ; nos parents nous ont empoisonnés avec l'eau du robinet, expliquant ainsi l'obsession de mon père pour l'eau en bouteille.

Le fou et sa fille sont la raison pour laquelle je suis en vie.

La police a placé en détention provisoire certains de nos parents. Ils gardent loin de nous, loin de leurs victimes. Maëva, Gwen et Camille, les mystères ont été résolus, et menés par les enquêteurs vers une seule piste : les macabres origines de Clémentine Lake.

Maëva voulait s'enfuir, elle avait fouillé et confronté ses parents au sujet du rite. Avec l'aide de mon père, ils l'avaient tuée, et nous l'avions mangée marquant ainsi le début de la saison. Camille, elle, s'était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Gwen, quant à elle, Lily avait vu juste, elle voulait sauver sa petite sœur. Par une macabre coïncidence, la police a découvert que mon père entretenait une liaison avec Gwen. Elle travaillait dans le club départemental. Gwen avait trop fouillé, et mon père avait fini par comprendre, l'enquêteur a même affirmé que Gwen s'était mis dans cette situation pour récupérer des informations et prouver à sa petite sœur qu'elle était en danger. Mon cœur rate un mouvement. Si rien ne lui était arrivé, je n'aurais pas connu Lily, peut-être n'aurais-je pas eu de raison de survivre ?

Je m'allonge en arrière, prêtant attention aux les paroles du policier sans vraiment les entendre. Pour la première fois de ma vie, je suis libre. Mon père est loin, il ne me fera plus de mal. Je me laisse aller, rêvassant en fixant les murs blanchâtres de ma chambre d'hôpital.

Tout est fini.

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