Chapitre 21 - Premier vu, premier pris
J'ai senti mon cœur exploser.
Elle me souriait avant de se faire percuter, c'était un accident.
La voiture l'a heurtée de plein fouet, même si elle avait ralenti en apercevant l'adolescente courir le long de la route.
« Elle a fait exprès. »
Les pompiers l'ont emportée, elle respirait toujours. Moi, ils m'ont laissé sur le bord de la route, perdu. Alec me tenait dans ses bras, et Nia était partie dans l'ambulance alors que les larmes me brûlaient la peau et traçaient leur chemin sur mes joues meurtries. J'entendais les paroles d'Olive, elle était mauvaise, cela je le savais, mais à ce point, elle était prête à se servir d'un viol pour attaquer une rivale.
Elle a été violée. Les mots me tombent dessus comme un coup de massue.
Elle a perdu sa sœur et ils l'ont violée.
Mue par la colère, je me détache de mon ami pour repartir en courant vers l'école. Il m'emboîte le pas, mais je sais qu'il ne sera pas capable de contenir la rage qui brûle dans mes veines. Sur le chemin, je trouve Rosa, les joues rougies par l'effort. Elle m'attrape le bras et plonge son regard paniqué dans le mien.
— Elle est où, Jacob ? me demande-t-elle
Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas envie de l'étrangler, je me contente de poser ma main sur son épaule.
— À l'hôpital, elle s'est fait renverser par une voiture.
Je ne reconnais pas ma propre voix, c'est comme si je flottais dans un autre monde.
— Quoi ?! Rugit-elle.
Son visage se décompose tandis qu'elle détale vers la cour intérieure. Je lui emboîte le pas et pénètre dans la cour juste à temps pour voir l'impact violent. Rosa hurle quand elle pousse Olive au sol. La reine autoproclamée, bien qu'elle fasse trente centimètres de plus, ne voit pas le coup venir.
Rosa hurle, et je vois son poing se lever encore et encore. Kali tente d'entrer dans la danse, mais Violette et Sam ne sortent de nulle part. Avant même que je puisse comprendre ce qu'il se passe, une bataille éclate autour de moi, et je me retrouve là, totalement désemparé, à écouter les cris de Rosa. Olive essaie de se défendre, en vain, elle ne peut rien contre le petit pitbull. Dans une autre vie, j'aurais peut-être réagi avec violence, mais je suis vidé de toute énergie.
Clementine Lake a eu raison de moi.
Je ne bouge pas, je reste immobile le reste de la journée. Je ne bouge pas quand la police vient mettre fin à la baston et nous annonce d'un air grave que le corps de Camille a été retrouvé dans un fossé. Je reste immobile quand mon père me demande ce qu'il s'est passé. J'attends, je veux juste la voir avec elle. C'est en silence que je prends les clés de ma voiture pour me diriger vers le poste de police. C'est en silence que je m'assois en face du bureau du nouvel inspecteur de police.
Il m'a fait venir alors que mon père est toujours sur la scène de crime. J'aurais dû l'envoyer balader, mais je n'en ai pas eu la force. Je veux aider Lily, je veux découvrir ce qui ne va pas dans cette foutue ville. Alors, lorsque je m'assois en face de lui, j'ai envie de parler. J'inspire un grand coup et lance un dernier regard par-dessus mon épaule pour m'assurer que les larbins de mon père ne sont pas dans les parages.
— Mon père est un escroc, craché-je.
L'homme lève le visage de ses papiers, interloqué.
— Ce n'est pas lui qui a tué Maëva, mais il sait qui l'a fait. Il me l'a avoué lorsqu'il m'a frappé dans le salon et interdit de voir Lily.
Le policier fronce les sourcils avant de répondre.
— Jacob, tu es sûr que tu ne parles pas sous le choc. Je sais ce qui est arrivé à Lily.
Je tressaille tandis que l'image du choc revient me hanter. Non, je ne suis pas sous le choc, j'ai honte, incroyablement honte de m'appeler Jacob Rossi, honte d'être le fils de mon père.
Concentre-toi.
— Vous avez retrouvé Camille ce matin, près de la route, mais Lily l'a vue morte, hier dans un sac dans l'hôtel.
L'homme fronce les sourcils, maintenant il est en colère, comme en témoigne la veine qui palpite sur son front.
— Vous n'êtes pas venu me voir ? Vous n'avez pas appelé la police ?
Je ricane et attrape un stylo au couloir du département de police avant de le faire tourner dans mes doigts.
— Mon père est probablement celui qui l'a tuée. Et puis personne n'est sûr de ce que l'on voit à Clémentine Lake.
Le flic ne dit rien, choqué. Je comprends que lui aussi doute, qu'il ne peut pas faire confiance à ce qu'il voit, à ses propres sens. Alors je me redresse dans la chaise et pose mes coudes sur le bureau.
— Vous n'êtes pas fou, vous voyez des choses, vous aussi,, des ombres qui murmurent à votre oreille la pire de vos cauchemars.
— De quoi tu parles ? me répond-il.
Je continue, crachant mes paroles avec haine.
— Il y a quelque chose de pourri dans cette ville. J'ai grandi et vécu ici, pourtant, j'ai vu mourir plus de personnes que je ne peux le compter.
Je marque une pause pour reprendre mon souffle.
— Rien, pas de presse, pas d'inquiétude. On a mangé une fille, putain, et rien, rien à la télévision, rien dans les journaux. Juste, vous.
Le policier lâche son téléphone des mains, abasourdi.
— Faites votre boulot, sortez-nous d'ici.
Puis je me lève et le laisse seul dans son bureau, le regard vide devant son moniteur et la lumière des néons. Sur mon chemin, je ne croise personne, il semblerait que le poste de police se soit vidé durant mon interview, pire encore, je ne croise personne sur la route. Mais sur le moment, je n'y fais pas attention.
Je veux la voir, elle.
***
— Elle n'a rien de cassé, juste une petite commotion cérébrale. Cette fille est faite d'acier. Je me laisse tomber dans les bras d'Alec, et Victor se détend enfin. C'est à cet instant de lucidité que je remarque quelque chose d'anormal. L'odeur de javel est familière, les murs blancs sont en place, mais il manque quelque chose. Je comprends enfin. Aucun parent anxieux ne parcourt les couloirs, aucune infirmière ne court dans tous les sens. Je me redresse, quittant la chaise en plastique sur laquelle je suis avachi depuis quelques heures. À l'exception de la mère d'Alex qui s'est occupée de Lily, nous sommes les seuls dans ces couloirs.
— Où sont ses parents ? demandé-je.
Mes amis haussent les épaules tandis qu'une voix vient briser le silence. Alec se détache lorsque Rosa et les autres apparaissent au bout du couloir. Mon ami tire son téléphone de la poche et se rapproche de la fenêtre tandis que les autres nous rejoignent. Rosa a apporté la bande : Violette et Sam. Mais cette fois, elles n'ont pas envie de se battre, elles me fixent avec pitié, leur regard débordant d'interrogations. Je leur livre le compte rendu de l'infirmière, ce qui a pour effet de les détendre.
— Les connexions sont coupées, on n'arrive pas à appeler personne en dehors de la ville, dit mon ami en revenant vers nous, téléphone à la main.
Je fronce les sourcils.
— De quoi tu parles ?
Il hausse les épaules et répète.
— Rien ne passe en dehors de la ville, on ne sait pas pourquoi.
Victor secoue son téléphone dans l'air, comme pour vérifier ses dires. Je ferais de même, mais je veux voir Lily. J'ai attendu toute la journée pour ce moment. Le réseau capricieux de Clementine Lake est le dernier de mes soucis.
Je me dirige vers la chambre de Lily. Lorsque j'ouvre la porte, je trouve la mère d'Alec en train de lui bander la main. Les deux femmes détonnent du décor sobre de la petite pièce. Mais à vrai dire, dans cet instant précis, plus rien ne compte à part Lily.
— Juste un mauvais accident, rien de grave, assure l'infirmière en se levant pour quitter la pièce.
Elle s'en va, portant au loin une bassine. Je jette un coup d'œil à l'intérieur pour y découvrir une lame de rasoir tachée de sang.
— Jacob.
Elle sourit et se redresse. Je m'empresse de la rejoindre, me laissant tomber à ses côtés. Le côté de son visage commence déjà à noircir, venant compléter les entailles qui constellent sa peau de marbre.
— Je suis désolé, murmure-t-elle en baissant le regard.
Sans hésiter, je glisse mon index sous son menton et la force à me dévisager.
— Tu n'y es pour rien.
Elle essaie de sourire, en vain.
— Lily, je suis désolé, désolé d'avoir été un imbécile...
Elle attrape ma main et entrelace ses doigts aux miens. Je comprends, elle ne veut pas en parler. Alors, au prix d'un effort incommensurable, je ravale mes questions pour me concentrer sur elle, sur Lily et son beau visage.
— Tu sais quand mes parents arrivent ? me demande-t-elle.
Je me raidis, me remémorant les paroles d'Alec.
— Le réseau joue des siennes, sûrement à cause du pont et des câbles là-bas.
Elle se redresse et s'expose à la lumière, dévoilant l'autre côté de son visage. Les larmes me montent aux yeux, et je mords ma langue jusqu'à ce que le goût métallique du sang coule sur mes lèvres. Tout son visage est violacé, des morceaux de peau manquent là où elle a raclé contre le sol.
Je fonds carrément en larmes.
— Jacob, c'était juste un accident, tente-t-elle de me rassurer.
C'est un mensonge, j'en suis certain maintenant. Elle a vu un cadavre hier, et je ne l'ai pas crue. Elle a perdu sa sœur et elle a été...
Non, pas maintenant.
Je l'ai vue la première nuit que nous avons passé ensemble, elle se faisait du mal, et égoïste que je suis, je n'ai pas essayé de lui parler, de l'aider.
Je m'essuie le nez du dos de la main et lève mon visage pour trouver son regard inquiet.
— Je suis tellement désolé, désolé pour Olive.
Elle se décompose et s'enfonce dans le lit, s'éloignant de moi et de mes mots.
— Je ne veux pas en parler, Jacob, je ne veux pas y penser, je ne veux pas...
J'acquiesce, désireux de la satisfaire, de la rassurer.
— D'accord, je prends soin de toi maintenant, Lily. Je te le promets.
Je prends sa main valide entre les miennes, y dépose un baiser. J'aimerais lui dire ce que je ressens et lui promettre de la protéger, mais elle grimace.
— Je me sens étrange, les médecins m'ont administré un médicament, j'ai l'impression de pouvoir explorer le monde entier.
J'accueille le changement de sujet avec joie ; au moins, son corps, je peux le comprendre, c'est physique.
— C'est sûrement de l'adrénaline, Lily. Il faut juste que tu te reposes. Quand tes parents arriveront, tu pourras rentrer chez toi.
Elle tremble, un mouvement presque invisible. Alors, je fronce les sourcils et attends son explication. Lily inspire profondément et lève les yeux vers les néons avant de répondre.
— Je ne sais pas si mes parents vont revenir. Hier soir, j'ai trouvé une étrange photo, dans la chambre de Gwen, commence-t-elle d'une petite voix.
— Une photo ? Je répète.
Ses mains lâchent les miennes et trouvent le chemin de son avant-bras, celui qu'elle gratte jusqu'au sang. Avec douceur, je l'en empêche.
— Non, tu arrêtes. Pour l'instant, je veux bien te laisser dans un mutisme. Mais un jour, il faudra que tu parles.
Elle grimace, et je continue.
— Mais pas question que je te laisse te faire du mal.
Elle esquisse un sourire triste avant d'acquiescer.
— Mes parents, je pense qu'ils savent ce qui est arrivé à Gwen, je ne pense pas qu'ils sont venus à Clémentine Lake par hasard.
Je fronce des sourcils, inquiet.
— J'ai trouvé une photo, dessus il y avait mes parents plus jeunes, il y avait tes parents, la mère d'Alec, et je pense même ceux des autres enfants de notre classe.
Rien, je ne sais pas quoi dire. J'ai besoin de voir cette photo par moi-même.
— Elle est où cette photo ?
— Chez mes parents, je ne savais pas quoi en faire. J'ai pensé que c'était encore une de mes putains d'hallucinations.
Je ne comprends rien, plus rien.
— Je pense que nos parents se connaissaient, je pense qu'ils savent tous ce qui se passe ici, continue-t-elle.
— Mon père le sait, il est flic.
Lily se redresse, et je n'ai pas la force de la clouer dans le lit. Elle devrait se reposer, mais à vrai dire, elle n'a pas l'air de s'être fait renverser par une voiture.
— Non, je pense que tous nos parents savent quelque chose.
— Pourquoi en es-tu si certaine ? Je répète.
Elle hausse les épaules.
— La photo, mais pas seulement.
Elle marque une pause avant de continuer.
— Tu ne penses pas que c'est étrange qu'ils nous laissent faire ce que l'on veut, pourquoi nous laisser sortir après que Maëva ait été tuée ! Après que l'on a mangé Maëva !
J'acquiesce en silence. J'ai moi aussi envisagé la même chose. J'avais consacré des heures à fouiller les sites d'information à la recherche du moindre indice sur ce qui se tramait dans cette maudite ville isolée de Clémentine Lake.
En vain.
— Tu essaies de dire quoi, Lily ?
Elle a l'air d'une folle, avec son visage marqué et ses yeux éclatés, mais je ne peux m'empêcher de la croire. Bien au contraire, cette fille déformée est la seule dont je suis certain dans ma putain de vie.
— J'essaie de dire que les adultes nous cachent quelque chose ! J'essaie de te dire que trop de choses sont bizarres dans cette ville pour qu'elles puissent être ignorées !
J'ai envie d'appeler une infirmière, de lui administrer de la morphine. J'ai envie de lui dire que c'est le choc de sa journée qui lui donne des idées.
Mais c'est vrai, Lily a raison. J'ai relevé des incohérences concernant la jeunesse de mes parents. Ils n'avaient jamais quitté Clémentine Lake et s'opposaient fermement à l'idée que je puisse partir avant mes dix-huit ans.
Lily a raison, nos parents nous cachent quelque chose, et nous devons découvrir quoi.
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